Plusieurs idées reçues sur le Far West, les cow-boys et les Indiens
GEO - François Vey – 06 déc 2018 / François Reynaert
. Le western, puis la BD, ont transformé l’image de l’Amérique du XIXe siècle. Retour sur quelques clichés, toujours ancrés dans l’imaginaire collectif. Souvent à tort.
Sitting Bull et Buffalo Bill, Montreal, QC, 1885. © Wm. Notman & Son
Les cow-boys, une vie à la dure
. Le cow-boy ressemblait à John Wayne ? Un aventurier qui passe sa vie à se battre contre les Indiens et éventuellement avec des bouteilles de whisky, navré quand il abat un shérif, qui dort avec son chapeau, son cheval mustang et sa winchester ?
Le cow-boy passait la majeure partie de son temps à cheval : il devait surveiller de près des animaux restés en liberté qui s’affolaient facilement, ou, leur faire traverser des rivières ou des étendues désertiques, groupés en convois. Le travail de convoyeur de bestiaux était pénible ; on comptait 8 à 10 cavaliers et une cinquantaine de chevaux par troupeau de 2.000 à 2.500 têtes. Le voyage est interminable, il peut durer plus de 3 mois, quelles que soit les conditions météo. Il faut risquer de se faire mordre par les serpents, dormir dehors, vaincre la maladie, … Et cela 16 à 18 heures par jour, tous les jours. Un travail harassant, mal rémunéré et peu valorisé : le salaire mensuel variait de 30 à 40 dollars, quand une paire de bottes en coûtait 15. Le cuisinier de l’équipe était le mieux payé !
Les cow-boys n’étaient pas tous blancs
. Au XIXe siècle, l'Amérique apparait comme le nouvel Eden. Pas surprenant qu’en 1870, 30% des enfants nés dans les territoires de l’Ouest étaient issus de parents étrangers. Le Far West a constitué une brève bulle de liberté en particulier pour les Afro-Américains après des siècles d'esclavage et avant la mise en place de la politique de ségrégation raciale. C’est ainsi qu’à la fin du siècle, 45% des cow-boys étaient noirs, mexicains, métis ou indiens.
Il fallait être au bas de l’échelle sociale pour accepter le travail de cow-boy. Les Blancs venaient de familles de fermiers pauvres ou étaient des vagabonds (hobos) louant leurs services à la saison. A l’issue de la guerre civile, la victoire du Nord à débouché sur l'abolition de l'esclavage dans les États du Sud où commence alors à sévir le Ku-Klux Klan qui fait subir le pire racisme aux noirs. Ceux qui n’ont pu partir vers l’Ouest, dans le Kansas ou le Colorado, pour y trouver un lopin de terre, se sont contentés des pires boulots, comme, par exemple, convoyer du bétail. Ainsi un quart de la population des cow-boys était faite de Noirs, contrairement à ce que montrent les films western.
. Qu'imagine-t-on en parlant de cow-boy ? Clint Eastwood, chapeau sur la tête et cigare au bec ? John Wayne, étoile de shérif sur le torse et canon en main ? Le fameux monsieur Marlboro ? Lucky Luke et son fidèle Jolly Jumper ? Sauf que ces personnages ont tous un point de commun qui occulte une partie de l'histoire : ils sont blancs, et … ne s’occupent pas de bétail. Pendant des années et des années, aux Etats-Unis, il était juste absolument hors de question d’avoir un héros de qui était noir. Un Afro-Américain ne pouvait pas être un héros, ne pouvait pas être le héros. Et quand bien même, il n’aurait pas été « commercial » ! Les cow-boys noirs ont été délaissés par l’histoire du Far West.
La tradition équestre dans la population afro-américaine remonte quasiment à la naissance des Etats-Unis, puisque de nombreux esclaves utilisaient des chevaux pour cultiver la terre. Par endroits, les lois ségrégationnistes dites Jim Crow (abolies en 1965) leur interdisaient de participer aux rodéos. Pour s'entraîner, ils se réunissaient entre eux, dans les champs, et organisaient leurs propres compétitions. S’ils étaient admis lors de rodéos mixtes, on leur donnait souvent les pires montures ...
Si les livres d'histoire, le folklore, les westerns n’ont véhiculé que l’image du Blanc stoïque et héroïque, style John Wayne, certains Noirs ont toutefois eu une postérité : l’esclave affranchi Nat Love (1854-1921), illustre cow-boy du Far West, ou le dénommé Bill Pickett (1870-1932), inventeur du bulldogging (l’art de sauter d’un cheval sur un taureau pour maîtriser ce dernier par les cornes), dont le nom fut inscrit en 1972 au Rodeo Hall of Fame, à Oklahoma City. Une première pour un homme de couleur ! Les rodéos de l’époque en firent une épreuve officielle et le Bill Pickett Rodeo est aujourd’hui le seul rodéo noir itinérant des Etats-Unis.
Jamil Hunt Junior (ci-dessus), 7 ans, prend la pose à Memphis, lors du Bill Pickett Rodeo, ainsi nommé en hommage au premier cow-boy noir devenu célèbre, il y a un siècle. © Rory Doyle.
Aujourd’hui, même si personne ne sait précisément combien il y a de cow-boys noirs aux Etats-Unis, force est de constater que cette tradition reste vivace : les communautés de cavaliers afro-américains sont très présentes dans les Etats du sud et de l'ouest, et même dans des villes du nord, par exemple Philadelphie ou Baltimore. Les Afro-Américains participent depuis toujours à la saga des cow-boys. L’une des étoiles montantes du circuit du rodéo américain, Ezekiel Mitchell, est texan et black.
Les cow-boys, une courte saga
Leur histoire ne s’inscrit pas dans une sorte d’éternité américaine, mais au contraire dans une époque très courte. A la sortie de la guerre de Sécession (avril 1865), dans le nord-Est des Etats-Unis qui connaît alors un boom économique spectaculaire, la population des grandes villes de la côte Est comme Boston ou New York commence à se lasser de manger du porc, une viande de pauvre, pour lui préférer le bœuf.
Justement, on élève des milliers de bovins de l'autre côté du pays au Texas. Les cow-boys, tous les ans à partir de 1868, vont convoyer les immenses troupeaux sur des trajets de plus de 1.000 km jusqu'aux grandes gares plus au nord, où on les embarque dans les trains qui les mènent jusqu’aux abattoirs situé à Chicago.
Mais dans les années 1890, la densification du réseau ferroviaire va rendre inutile ces grandes transhumances : on n’a plus besoin de cow-boys convoyeurs. Leur « âge d’or » aura duré 30 ans. Leur légende peut naître, qui fait du cow-boy viril, individualiste, courageux, le type même du héros américain. Un caractère bientôt colporté par le cinéma en inventant le style western.
Les Indiens ne portaient pas tous des plumes
. Seuls les Sioux – qui rassemblaient les Lakotas, Nakotas et Dakotas – portaient effectivement de larges coiffes à plumes. Mais ils réservaient ces parures à leurs grandes fêtes et à leurs cérémonies. Le reste du temps, ces cavaliers émérites étaient beaucoup mois apprêtés. Ils endossaient des tenues de chasseur, beaucoup plus commodes pour rester longtemps en selle et tirer. Les bisons constituaient le principal moyen de subsistance de ces Indiens nomades, au point que l’armée américaine procéda à des éliminations massives de troupeaux entiers afin de les affamer. Autre cliché : la majeure partie des Indiens étaient sédentaires, les Sioux faisant exception ; ils dormaient l’été dans des tentes, les fameux tipis, et passaient l’hiver dans des huttes et cabanes.
Les indiens n’étaient pas si «sauvages»
. Entre 500 000 et 600 000 Indiens vivaient au-delà du Mississippi quand les colons blancs arrivèrent au début du XIXe siècle. On a pu dénombrer une centaine de tribus, parlant 375 langues différentes et pratiquant l’agriculture, la chasse et la pêche. Dans les vallées du Missouri et de l’Arkansas, elles occupaient des maisons en terre dans des villages. Les Pawnees cultivaient le maïs. Les Sioux, les Cheyennes et les Comanches, eux, chassaient le bison. Les Blancs leur firent signer des traités pour s’installer chez eux, mais n’en respectèrent pas les termes, ce qui provoqua les révoltes indiennes. Guerriers sans pitié – ils scalpaient leurs victimes –, les Indiens faisaient souvent preuve de courage et d’abnégation. Entre 1866 et 1891, ils perdirent près de 4 000 combattants, tandis que 932 soldats américains furent tués et plus d’un millier, blessés.
Les cow-boys ne glissaient pas deux colts à leur ceinture
. A quoi bon s’embarrasser d’un revolver quand on est un simple travailleur à cheval ? La mission essentielle des «garçons vachers» était de convoyer le bétail entre les Grandes Plaines et les gares du Kansas, afin que les troupeaux puissent ensuite être acheminés en train vers les abattoirs des grandes villes. Inutile donc de porter une arme à feu pour garder les vaches : les détonations ne pouvaient qu’effrayer les bovins. Pour se faire obéir des bêtes, les cow-boys utilisaient plutôt des lassos et des fouets. Seuls les chefs chargés de l’encadrement des équipes pouvaient détenir une arme, qu’ils devaient néanmoins laisser à l’entrée des hôtels et des saloons. Alors, si au Far West il arrivait que l’on croise par malheur des individus armés de deux colts, il ne pouvait s’agir que de tueurs à gages ou de redoutables hors-la-loi.
Les cow-boys ne ressemblaient pas du tout à Buffalo Bill
. Les cow-boys portaient des habits rustiques, adaptés à leurs tâches : une chemise en toile épaisse, un pantalon en cuir sans ceinture avec des jambières, une paire de bottes… Pas de chapeau sur la tête car il se serait envolé, mais dans le dos, retenu par une lanière. Un mouchoir autour du cou servait à se protéger de la poussière. Les fameux jeans Levi’s, eux, ne firent leur apparition dans les ranchs que dans les années 1880, alors qu’approchait la fin des grandes transhumances. On est donc loin de l’élégance d’un Buffalo Bill arborant Stetson et tuniques en cuir à franges, dorures et étoiles. Ces tenues d’opérette étaient réservées à la scène ou aux photos et firent leur effet lors de spectacles de théâtre équestre ou de rodéos.
Les «villes du bétail» n’étaient pas toutes dangereuses
. Dodge City, Abilene, Ellsworth, Wichita… Les villes des cow-boys (cattle towns) se ressemblaient toutes. Près de la gare, des milliers de bêtes étaient parquées avant leur départ. Les maquignons fréquentaient des hôtels et des bars assez luxueux où les cow-boys n’étaient pas admis. Ces derniers allaient s’amuser dans un quartier réservé à la prostitution et au jeu, avec des saloons où ils pouvaient boire et fumer… mais où le port d’arme était interdit, sous peine d’amende ! L’entrée était la plupart du temps refusée aux Mexicains, Indiens et métis. Des shérifs à poigne faisaient régner l’ordre. Entre 1867 et 1890, on a dénombré dans ces villes 55 homicides seulement (39 par fusil, dont 16 causés par la police) et un seul cow-boy a été abattu. Sur tout le Wyoming, il n’y eut que 4 meurtres en 1872. Ces bourgades étaient donc bien moins dangereuses que certaines villes d’aujourd’hui.
Les indiens attaquaient rarement les diligences ou les convois
. Le cinéma a multiplié les scènes où des Indiens attaquaient des chariots. Mais ces agressions étaient rares. Car les tribus indiennes en guerre s’en prenaient plutôt à l’armée. A l’arrivée des Blancs, ils acceptèrent de signer des traités autorisant le passage sur leurs terres, puis l’installation de fermiers. Malgré ces compromis, beaucoup d’Indiens furent ensuite conduits de force dans des contrées inhospitalières, comme l’Oklahoma. Ils menèrent alors des raids lorsque la situation leur paraissait favorable, n’attaquant qu’à coup sûr, mais cherchant avant tout à se défendre. Ils volaient des chevaux et du bétail, et faisaient parfois des captifs. Buffalo Bill, qui n’eut pas à se plaindre des Indiens à l’époque où il convoyait colons puis troupeaux, en engagea même quelques-uns pour jouer leur propre rôle dans ses spectacles.
Le cow-boy ne tenait pas le premier rôle
. Héritiers des garçons vachers mexicains (vaquero), les cow-boys sont apparus dans l’Ouest américain au milieu du XIXe siècle, et ce métier s’est répandu en l’espace d’une génération, entre 1865 et 1890. Les historiens estiment leur nombre entre 30.000 et 40.000, alors que 360.000 pionniers s’étaient lancés sur les pistes du Far West, à partir du Mississippi, entre 1840 et 1860, et que la population des Etats-Unis se chiffrait à 36 millions d’habitants. Ces salariés agricoles itinérants étaient donc beaucoup moins nombreux que les fermiers sédentaires ou que les ouvriers employés à la construction des chemins de fer. Sans compter les prospecteurs d’or, dont beaucoup étaient devenus mineurs.
Les Indiens n’étaient pas toujours battus par la cavalerie
. C’est un classique des westerns : l’attaque de centaines d’Indiens contre les soldats des Etats-Unis. Une vision un peu épique de l’Histoire, car les Amérindiens, moins armés et souvent moins nombreux, préféraient la guérilla aux batailles rangées. Ainsi, les Sioux lakotas multiplièrent les escarmouches contre les Blancs lorsque les traités de cohabitation ne furent pas respectés. Dépassé par l’ampleur des attaques, le général nordiste Sheridan dut quitter leur territoire en 1868. Mais les intrusions dans les montagnes sacrées des Lakotas reprirent en 1874, suite à la découverte d’or. Les autorités tentèrent d’acheter ces terres aux Indiens, qui refusèrent. Le 25 juin 1876, le 7e régiment de cavalerie de Custer affronta les Lakotas, alliés aux Cheyennes, lors de la bataille de Little Bighorn ; Custer et 263 soldats y périrent. Cette victoire indienne reste une fierté pour la communauté et a inspiré de nombreux livres et films, dont La Charge fantastique (1941).