« White Flight » : pourquoi de nombreux Américains veulent s’enfuir des mégapoles

Le Figaro - Renaud Beauchard – 17 sep 2020

.             En raison des mesures de sécurité sanitaire et du climat de grande tension suscité par le mouvement Black Lives Matter, l’attractivité des grandes agglomérations américaines, comme New York, s’est effondrée brutalement.

.             Sur le site Unherd, sous le titre The Commuters Are Revoltingles banlieusards se révoltent »), la chroniqueuse américaine Mary Harrington souligne les conséquences révolutionnaires de l’expérience entamée au printemps dans le monde entier.

.             La crise sanitaire a propulsé du jour au lendemain le château de cartes de l’économie de la connaissance dans celle de la distanciation physique et du télétravail. Dans nul endroit au monde l’exode hors des grands centres urbains n’est actuellement aussi brutal qu’aux États-Unis, qui connaissent un nouveau White Flightexode des Blancs ») bien plus soudain que le précédent désastreux des années 1950-1970, causé à la fois par l’instauration permanente de mesures sanitaires qui bouleversent la vie dans les grandes agglomérations et par le déchaînement de violence urbaine et le climat de peur liés au mouvement Black Lives Matter.

Début août, une tribune publiée dans le New York Post annonçait rien de moins que la mort définitive de New York. Son auteur, James Altucher, propriétaire d’une salle de spectacle et ancien gérant de hedge fund, se demandait ce qui pourrait justifier un retour massif de la population des banlieusards pendant la journée alors que leurs employeurs ont découvert que le bureau sur le modèle de l’usine était rendu obsolète par l’internet à haut débit. Et, d’autre part, il s’interrogeait sur ce qui pourrait bien convaincre les résidents de revenir dans des villes désertes, où écoles, universités, restaurants, salles de spectacles et magasins sont fermés, pour une partie d’entre eux définitivement. De surcroît, à New York, la criminalité violente est revenue à des taux plus vus depuis le milieu de la décennie 1990, ce qui n’est pas pour endiguer l’exode.

.             Les conséquences cataclysmiques pour les grands centres urbains de l’imprévoyance des décideurs sont illustrées par les propos surréalistes du gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo. Le 3 août dernier, dans un mélange de franchise brutale et d’impuissance, Cuomo annonçait que, dorénavant, la question n’était plus la conservation d’une base fiscale qui pourrait être tentée par des horizons plus attractifs, mais son retour. Il a souligné que 50 % des recettes fiscales de l’État de New York proviennent des 1 % de contribuables par définition les plus mobiles, partis du jour au lendemain sans intention de retour. Et Cuomo en était réduit à les implorer de revenir, faisant assaut de vaines promesses (résoudre la criminalité galopante, nettoyer les graffitis) et offrant pathétiquement de les inviter à dîner.

La dynamique n’est pas près de s’inverser avec la posture suicidaire du maire de New York, Bill de Blasio. Celui-ci annonce - au moment où l’État de New York et la ville sont la cible d’une class action de 2 milliards de dollars intentée par quelque 300 restaurateurs - que les restaurants ne rouvriraient pas avant juin 2021, au motif qu’il s’agit avant tout d’un loisir pour des personnes bénéficiant de revenus moyens à élevés.

.             Le confinement a ainsi, non pas suspendu, mais tué le ressort fragile sur lequel reposait l’économie de la connaissance en rendant obsolètes les grands centres urbains, où, selon le mythe de la mondialisation heureuse, les méritants de la classe créatrice devaient venir se concentrer pour créer en l’expérimentant la grande vision algorithmique qui débarrasserait une bonne fois pour toutes l’humanité de toute conflictualité.

.             Les mêmes phénomènes se reproduisent à Los Angeles, Washington DC, Portland, Seattle, Minneapolis : les centres gentrifiés se vident ou se revident de leurs habitants, nourrissant un boom de l’immobilier résidentiel à leur périphérie et dans des localités moyennes, et, à l’inverse, un krach qui s’annonce sans précédent de l’immobilier commercial dans leurs centres. En quelques mois seulement, des lieux qui étaient supposés être le nirvana de la mondialisation, sont devenus soudainement peu désirables en raison de l’état d’urgence sanitaire permanent lié au Covid (d’où l’expression « Covid State ») et de l’atmosphère de peur qui s’est installée dans les rues, comme l’ont montré des vidéos devenues virales de clients des terrasses de restaurant de Washington forcés par des foules hostiles à faire le salut Black Lives Matter. A Portland, des bandes violentes envahissent même les quartiers résidentiels, braquent des lumières vives dans les yeux des habitants, hurlent : « Wake up, motherfucker ! » sous leurs fenêtres, voire appellent au massacre.

Ces méthodes de terreur procèdent de ce que Murray Bookchin (1920-2006) appelait l’anarchisme du mode de vie ou anarchisme existentiel. Par opposition à la tradition de l’anarchisme social, qui tend à faire advenir une société fondée sur des principes coopératifs, l’anarchisme existentiel fait de la décomposition sociale un mode de vie par les sensations qu’il procure. On ne saurait en trouver meilleure illustration que dans le nouveau phénomène de librairie du livre In Defense of Lootingéloge du pillage »), de la journaliste transgenre Vicky Osterweil. Son auteur soutient que le pillage, par l’expérience régénératrice « de plaisir, de joie et de liberté » qu’il procure, est la clé pour mettre un terme à la violence du capitalisme « cishétéropatriarcal » et racial et appelle à se débarrasser du préjugé bourgeois en faveur de la non-violence (sic) . ...

.             ... Nul ne sait ce qui sortira de cette étrange dialectique. Serons-nous tentés, comme semblent en prendre le chemin les autorités britanniques - qui parlent de mesures coercitives contre le télétravail, selon la chroniqueuse Mary Harrington -, de tenter de faire repartir le gigantisme urbain par une coercition étatique qui ne peut être que d’une ampleur inédite ? Ou pourrons-nous espérer, comme nous y invitait Lewis Mumford dans La Cité à travers l’histoire, réinventer la cité non plus comme un lieu où les individus célèbrent le règne de la machine, mais comme un centre régional et politique à échelle humaine, visible, où pourrait s’épanouir le règne des associations volontaires ?

Qu’est-ce que le « White Flight » ?

www.breizh-info.com – 17 nov 2017

.            Le terme, d’abord apparu aux Etats-Unis, puis au Royaume-Uni, désigne tout simplement la fuite des populations blanches des zones dites « multiculturelles » vers des lieux de résidence à la population plus homogène.

Né aux États-Unis

.            C’est aux États-Unis que le phénomène a été identifié en premier. Cela remonte aux années 1960. Mais les choses se sont accélérées au cours des années 1970 et 1980. Les populations blanches états-uniennes ont alors progressivement fui les centres des métropoles pour les suburbs, ces quartiers périphériques, voire pour les campagnes plus éloignées.

Il était alors question de quitter des quartiers pauvres, souvent synonymes de violences urbaines. C’est ainsi que se sont constituées les célèbres zones pavillonnaires de la classe moyenne blanche américaine. Cependant, les centres-villes restaient des endroits prisés pour le travail et la consommation.

Pour la démographe française Michèle Tribalat, « les processus de concentration et de ségrégation sont très anxiogènes pour les autochtones lorsqu’ils deviennent minoritaires et voient se transformer leur environnement ».

Signalons au passage que, depuis les années 2000, il est également question de « Black Flight » outre-Atlantique. Les classes moyennes noires fuyant elles aussi les ghettos populaires pour des quartiers plus calmes.

Aucun tabou chez les Anglais

.            Plus récemment, c’est le Royaume-Uni, et principalement Londres, qui ont vu le « White Flight » se mettre progressivement en place. L’autorisation des statistiques ethniques en Grande-Bretagne a largement facilité le travail des chercheurs, et leurs conclusions sont sans appel : 600.000 Londoniens de souche européenne ont quitté la capitale entre 2001 et 2011. Dans le même temps, la population de Londres a augmenté de près d’un million d’habitants.

D’autre part, signe d’une fracture ethnoculturelle grandissante de l’autre côté du Channel, les études révèlent que plus de la moitié des minorités ethniques vivent dans des quartiers comptant moins de 50% de blancs. C’est ce que soulignait déjà en 2013 le think tank Demos, groupe de réflexion interpartis en Grande-Bretagne.

Les non-dits du cas français

.            Faute de données autorisées sur l’appartenance ethnique des populations, la situation est beaucoup moins lisible en France. Mais des phénomènes similaires aux cas américains et anglais sont tout de même observables.

D’une part, les centres des villes moyennes en voie de déclassement (Nord, Est et Centre de la France), voient les populations autochtones partir progressivement. Saint-Étienne et Mulhouse en sont de bons exemples. En effet, par le truchement de divers phénomènes, certains de ces cœurs de ville concentrent désormais une population noire, turque et maghrébine importante qui rappellent le phénomène déjà observé dans les banlieues des grandes métropoles. La partie visible de l’iceberg étant le développement des commerces non-européens.

Les démographes soulignent par ailleurs que la migration des populations des centres-villes vers des quartiers périphériques ou vers les campagnes est soumise à deux conditions : avoir les fonds suffisants pour accéder à la propriété immobilière (quoique pas impératif) et disposer d’une autonomie de déplacement (véhicule), ce qui n’est pas une évidence pour tout le monde.

Quant aux métropoles, elles connaissent un sort différent. Toujours attractives malgré tout et productrices de richesses, elles voient deux types de populations se développer de plus en plus : une population aisée aux situations professionnelles confortables (cadres, professions libérales, haute fonction publique) dans les hyper-centres et une population d’origine immigrée extra-européenne dans les zones plus excentrées.

De plus, le « white flight » à la française est soumis à un dilemme dans son interprétation. Les démographes, géographes et autres experts s’étant penchés sur la question considèrent qu’il pourrait s’agir davantage d’une volonté d’évitement des villes par les natifs (blancs) que d’une réelle fuite de ces derniers. Et arguent par exemple que des logements désormais occupés par des populations d’origine immigrée ont d’abord été boudés par ces mêmes natifs.