Un épisode de la guerre de Sécession en France. Le CSS Alabama
. La guerre de Sécession (Civil war) opposa entre 1861 et 1865 les Etats-Unis (du nord), dirigés par Abraham Lincoln, aux Etats Confédérés regroupés autour de Jefferson Davies, onze états du sud qui avaient fait sécession. Ce conflit résultait de quatre décennies de conflits d'intérêt sur les plans économique (coton), social (esclavage) et bien sûr politique. Le conflit se déroula majoritairement sur terre mais également sur mer, un aspect moins connu de cette histoire qui s'acheva par la victoire des Nordistes.
Le CSS Alabama
Le contexte
. A la suite du blocus des ports du sud décrété par Lincoln en avril 1861, les Sudistes firent construire le CSS Alabama, un sloop de guerre, armé de 8 canons, à propulsion mixte (vapeur -300 CV- et voiles -3 mats-) de 67 m, déplaçant 1.050 tonnes à 13 noeuds. Construit secrètement en Grande-Bretagne en 1862, il appartenait à la Confederate States Navy (marine de guerre des États confédérés d'Amérique). La construction fut supervisée par un agent confédéré, James Dunwoody Bulloch, (lequel dirigea l'effort de construction de la jeune marine de guerre sudiste), et menée à bien grâce à l'appui financier de la Fraser, Trenholm & Co., une firme de cotton brokers (négociants, intermédiaires en coton) de Liverpool, qui avait de fortes attaches avec la Confédération. Son équipage de 145 marins comprend pour moitié des volontaires britanniques.
. Sur les 145 membres d’équipage, près de la moitié sont des volontaires britanniques. La plupart des engagés du premier jour resteront à bord jusqu'à la fin.
Les campagnes du CSS Alabama
. Son objectif était de perturber au maximum le commerce des Etats du nord. Pour cela, il traversa à trois reprises l'océan Atlantique jusqu’au Brésil, deux fois l'océan Indien, ainsi que la mer de Chine méridionale. Outre la soustraction de matières premières nécessaires à l'Union en plein effort de guerre, la désorganisation de son commerce et l'effet psychologique désastreux créé chez les Nordistes par cet insaisissable « bateau fantôme », le CSS Alabama a attiré à sa suite, loin du théâtre des opérations, d'importants effectifs matériels et humains, créant ainsi une diversion bienvenue pour la Confédération. Camouflé en bateau de commerce, pendant les deux années que dura son activité, l’Alabama détruisit, grâce sa vitesse et à sa maitrise de l'abordage, un grand nombre de navires de commerce de l'Union, ainsi qu'une canonnière à vapeur, l'USS Hatteras.
. Commandé par l'intrépide Raphael Semmes, le bateau corsaire était devenu pour le président Lincoln, l'ennemi public numéro 1.
La dernière croisière
. Après presque deux ans de mer, l'Alabama eut besoin de réparations importantes. II gagna donc Cherbourg le 11 juin 1864 où il fut mis en cale sèche. Mais les Etats-Unis disposait d'un consul à Cherbourg qui fut informé de la présence du navire ennemi. Aussi lorsque l'Alabama fut réparé et gagna la haute mer le dimanche 19 juin 1864, il trouva en face de lui l'USS Kearsarge, du capitaine Winslow, une corvette de l'Union dont les flancs avaient été cuirassés (ce qu’ignorait Semmes). L’Alabama est donc pris au piège. Cependant le capitaine Semmes, qui avait déjà dû abandonner son navire, le CSS Sumter, en février 1862, alors qu'il était bloqué à Gibraltar dans des circonstances identiques, refusa de subir à nouveau la même humiliation. Son caractère combattif le pousse à choisir d'essayer de forcer le blocus et à livrer un combat qu'il assimile à un duel
. L'affrontement eut lieu à quelques encablures des côtes françaises avec de nombreux spectateurs à terre, certains avaient même envahi le clocher de l'église pour profiter pleinement du spectacle.
Le combat tourne rapidement à l'avantage du Kearsarge, grâce à sa supériorité de feu, alors que l’Alabama est fortement défavorisé par la mauvaise qualité de ses munitions. Après un peu plus d'une heure de combat, le feu des puissants canons du Kearsarge a réduit l’Alabama à l'état d'épave. Le capitaine Semmes en est réduit à amener ses couleurs et envoie deux chaloupes, encore en état de flotte, demander assistance à l'ennemi. En quelques heures, les canons du navire nordiste vont envoyer l'Alabama par le fond. L'Amérique de Lincoln tenait sa revanche
Le Kearsarge et un voilier français assurent le sauvetage de la majorité des marins sudistes, mais un yacht britannique, le Deerhound, arrive sur les lieux et recueille le capitaine Semmes, blessé, et son second, Kell, ainsi que 40 de ses officiers et marins, et les conduisit à Southampton en Angleterre. Le capitaine Winslow ne peut qu'assister, impuissant, à l'évasion de l'ennemi qu'il a si longtemps et ardemment poursuivi.
Le bilan
. Le combat a fait trente victimes. L’Alabama a perdu vingt-neuf hommes. À bord du Kearsarge, on a dénombré trois blessés, soignés à l'hôpital de la Marine dans la même salle que leurs adversaires. C'est là que William Gowin, le seul mort nordiste, a expiré. Avec lui, deux autres victimes de cet épisode de la guerre de Sécession reposent dans le vieux cimetière de Cherbourg-Octeville.
. L’Alabama, lors de ses 7 campagnes sur les mers du globe, a tenu la mer pendant 534 jours sur 657, sans jamais visiter un port confédéré. Il a arraisonné près de 450 navires, et détruit 65 navires de l’Union de tous types, dont 52 navires incendiés, pour la plupart des navires de commerce.
Dans la mesure du possible, pendant chacun de ses raids l’Alabama a épargné les équipages ennemis. Il a capturé plus de 2.000 prisonniers, qui ont été déposés à bord de bateaux neutres ou dans des ports amis ou neutres. Jusqu’à son naufrage, il ne déplora aucun mort à son bord, hormis un « décès accidentel lors d'une manipulation d'arme à feu ».
Les suites
. Après la guerre, le gouvernement des États-Unis attaqua en justice la Grande-Bretagne, depuis longtemps alliée objective de la Confédération et qui d'ailleurs avait failli entrer en guerre aux côtés de la Confédération. L'action en justice est couramment nommée réclamations de l'Alabama, (Alabama Claims) car les énormes dégâts causés à la marine marchande nordiste sont le fait de corsaires confédérés (en particulier le CSS Sumter, le CSS Shenandoah et particulièrement le CSS Alabama), et incrimine la Grande-Bretagne et ses colonies pour l'aide en sous-main qu'elle a apportée aux Confédérés malgré le British Neutrality Act du 13 mai 1861.
. Signé en 1871, le Traité de Washington offrira de faire résoudre ce conflit entre les deux États par une cour d'arbitrage internationale. Réunie à l'hôtel de ville de Genève l'année suivante, dans une salle appelée depuis « salle Alabama », la cour d'arbitrage ne reconnaît que les dommages directs commis par les navires confédérés construits en Angleterre et accorde d'importants dommages-intérêts aux États-Unis, qui reçoivent 15 millions de dollars.
La fin de l’histoire
. A travers les journaux, ce combat naval fut connu en France ; de plus le peintre Edouard Manet (1832-1883) entreprit sa première toile marine (Le combat du Kearsarge et de l’Alabama -1864)) en immortalisant cet affrontement. Quant aux Américains, beaucoup connaissent le nom de Cherbourg à travers cet épisode de leur histoire intitulé : The Battle of Cherbourg. (ou Battle off Cherbourg ou Sinking of CSS Alabama).
Le Kearsarge et l’Alabama, par Édouard Manet.
Le combat entre l’Alabama et le Kearsarge, peint par Louis Le Breton
. Le capitaine de l'Alabama fut jugé et acquitté après la guerre malgré les accusations de piraterie ; il terminera sa carrière comme professeur de littérature et de philosophie à l'université de Louisiane. Ironie de l'histoire, en 1851 le juriste qu'était Raphael Semmes avait écrit : « les corsaires ne sont que des pirates porteurs d'une licence. Il convient que toutes les nations civilisées luttent contre cette pratique pour la supprimer… ».
. En novembre 1984, le chasseur de mines Circé de la Marine nationale découvrit l’épave par environ soixante mètres de fond au large de Cherbourg. Le navire se situait à un peu moins de 10 km au nord de l'entrée ouest de la grande rade. Le 3 octobre 1989, les États-Unis et la France signèrent un accord reconnaissant l'épave comme un important héritage pour les deux nations et établirent un comité scientifique franco-américain pour son exploration archéologique. Le canon remonté de l'épave du CSS Alabama est exposé dans la nef d'accueil de La Cité de la Mer à Cherbourg-en-Cotentin.