Les Pères Pèlerins (Pilgrim Fathers)
Herodote.net – Alban Dignat – 23 aoû 2019 / Wikipedia / https://www.worldhistory.org / www.history.com/
La situation religieuse en Angleterre
. Après que le pape Clément VII eut refusé de reconnaître la nullité de son mariage avec la catholique Catherine d’Aragon, qui ne lui donnait pas de fils, le roi d’Angleterre Henri VIII a provoqué en 1534 le schisme anglican de l'Église d'Angleterre avec Rome. Après sa mort en 1547, vont régner successivement Edouard VI (1547/1543), Jeanne Grey (9 jours), Marie I° (« Bloody Mary », 1553/1558), Elizabeth I° (« La reine vierge », 1558/1603) et Jacques I° (1603/1625).
Cependant certains protestants, les « puritains », veulent aller plus loin et purifier le culte de l’Église. Parmi ceux-ci, les « séparatistes », vont jusqu’à estimer que chaque congrégation doit se diriger seule, indépendamment de l’Église nationale. Ce qui naturellement contrarie le pouvoir anglais.
Le roi Jacques I°, élevé dans le calvinisme écossais bien que fils de la catholique Marie Stuart et donc aussi roi d’Ecosse, une fois monté sur le trône d’Angleterre se convertit à l’anglicanisme. Pour « venger » le règne de la catholique Marie I°, il renforça le combat de l’anglicanisme contre le pape, et étendit son emprise sur les séparatistes, poussant à l’émigration ces « dissidents » puritains, qui désiraient vivre librement leur foi.
. Robert Browne, fut ordonné prêtre anglican tard dans la vie, sous l’influence de théologiens puritains, dont Thomas Cartwright et Richard Greenham. Bientôt ses prêches qui critiquaient les doctrines et la discipline de l'Église d'Angleterre attirèrent l’attention. Browne devint le chef de file d’un mouvement à Norwich, les « Brownistes », qui tenta de créer une église congrégationaliste dissidente de l'église d'Angleterre officielle. Arrêté, puis libéré, Browne, avec ses compagnons, quitta l'Angleterre pour s’installer, en 1581, à Middelburg aux Pays-Bas. Là, ils ont organisé une église sur ce qu'ils pensaient être le modèle du Nouveau Testament, mais la communauté a éclaté, deux ans plus tard, suite à des dissensions internes. Browne revint en Angleterre où, employé comme maître d'école et, après 1591, curé de l'église d'Angleterre, il fut souvent en désaccord avec ses compagnons séparatistes d’alors qui le considérèrent finalement comme renégat.
. Le cas de William Brewster illustre bien la complexité des hommes qui ont participé à la création de Plymouth. Adolescent, Brewster fut secrétaire de William Davison, l'un des trois secrétaires d'État de la reine Elizabeth I, lequel s'est probablement occupé des documents relatifs à l'exécution de Mary, reine d'Écosse. Présent à Windsor au procès de Mary, Davison fut envoyé à la Tour de Londres après l'exécution de Mary, car il était devenu le bouc émissaire d'Elizabeth qui devait se dégager de toute responsabilité dans la mort de Mary. Brewster resta à Londres au service de Robert Devereux, le second comte d'Essex (disgracié en 1600, puis après avoir fomenté un complot, décapité à la hache). Brewster connaissait des personnalités intellectuelles et politiques clés de l'époque : Francis Bacon, Robert Dudley, le comte de Leicester, Sir Philip Sydney, Lord Burleigh et Sir Francis Walsingham. (Burleigh et Walsingham ont inspiré le Polonius dans Hamlet). Il y vit les intrigues de la cour au plus haut niveau, et comprit les dangers d'être proche de la couronne.
Dans les années 1590, il choisit de retourner dans la campagne anglaise à Scrooby, une petite ville dans le Nottinghamshire au centre de l’Angleterre, où il prit la suite de son père, comme huissier de justice au Scrooby Manor, un palais appartenant à l'archevêque de York. Mécontent de l'Église anglicane telle qu'elle se développait à l'époque, il était de plus en plus sensible aux idées brownistes, et devint un dissident religieux. D’autre part, les troubles religieux laissaient entrevoir la chute de la monarchie et la dictature de Cromwell. La rupture d’avec l'Église anglicane devenait fatale. L'Allemagne souffre de la guerre de Trente Ans. En France, la régence troublée de Marie de Médicis fait suite à l'assassinat d'Henri IV ... Il allait orienter sa vie vers la Hollande puis la Nouvelle-Angleterre. Après une première tentative infructueuse de partir pour les Pays-Bas en 1607, Brewster et sa congrégation libre de Scrooby, sous la conduite de John Robinson, réussirent en 1608 à s’enfuir à Amsterdam qui offrait plus de liberté.
Un refuge en Hollande
. En mai 1609, le groupe des émigrés, fort de 300 membres, s'est déplacé à Leyde. Et puis, avec le temps, les séparatistes se trouvèrent moins à l’aise dans leur nouvelle terre d’accueil qu’ils ne l’étaient en Angleterre, tant la Hollande, aux mœurs relâchées, était tolérante à l’égard des autres religions. Aussi les difficultés d'existence, économiques et religieuses, les incitèrent dès 1617 à envisager de quitter l’Europe, pour élire domicile en Amérique du Nord, dans l'intention d'y réaliser dans des conditions meilleures le projet d'une communauté, libre à l'endroit des autorités, une « Nouvelle Jérusalem » (le cœur du Royaume terrestre du Christ) fondée sur la libre adhésion de ses membres, attendant de ceux-ci un strict biblicisme et une conduite irréprochable. La volonté de ces « millénaristes » de partir loin de chez eux pour vivre en accord avec leurs croyances leur vaudra l’appellation de « pèlerins ».
. Le premier soin des exilés de Leyde fut de s’assurer le libre exercice de leur religion. Jacques I° accueillit leur projet de colonisation avec une certaine faveur bien qu’il refusa de donner une promesse explicite de tolérance. Il paraît cependant que les émigrants obtinrent l’assurance qu’on ne les inquiéterait pas ; ils se contentèrent de cette vague garantie. N’espérant rien de plus de ce côté, ils traitèrent avec la Compagnie de Virginie, pour une concession de terres dans le cadre de la patente (la loi royale anglaise), ce qu’ils obtinrent facilement d’une société désireuse d’encourager l’émigration de peuplement dans cette vaste contrée de la colonie britannique de Virginie, dont elle n’occupait que la moindre place.
. Après 12 ans aux Pays-Bas, la congrégation séparatiste de Leyde négocia donc un contrat avec un marchand aventurier, Thomas Weston qui monta le financement de l'expédition, pour qu'il ne transporte qu'eux-mêmes vers le Nouveau Monde. Cependant, Weston n’avait rien à faire de leurs convictions religieuses ni de leurs projets d'établir leur propre communauté ; son seul objectif était d’assurer une rentabilité à ses investisseurs. Il engagea donc ou invita un certain nombre d'autres personnes à se joindre à l'expédition, des anglicans que les séparatistes appelaient des étrangers (ceux qui n'étaient pas de leur confession), dont certains des membres les plus connus de la colonie de Plymouth.
. L’expression « Pilgrim fathers » (Pères Pèlerins) n’est apparue qu’au début du XIX° siècle aux Etats-Unis d’une référence de William Bradford à un passage de l’écriture aux Hébreux. Elle désigne plus spécialement ces 35 membres de l’Église séparatiste anglaise de Leyde, dont William Bradford (†1657) et William Brewster (†1644). Parmi les 67 autres passagers, émigrants anglais, certains étaient bien connus, beaucoup venaient de milieux modestes (petits fermiers, artisans…), mais tous adhéraient aux principes puritains. Ce groupe de 102 passagers, hommes, femmes et enfants, dont Bradford raconte la geste dans The History of Plymouth Plantation, étaient majoritairement des séparatistes brownistes, et furent ainsi connus pendant deux siècles comme des émigrés brownistes.
Le difficile voyage
. L’organisation de la traversée fut mouvementée : après accord avec la Virginia Company et Weston, un bateau, le Speedwell, quitte Delftshaven le 1er juillet 1620 et gagne Southampton, où il rejoint le Mayflower, (un voilier de 180 tonneaux) pour faire route avec lui. Ce dernier n’était à priori destiné qu'à servir de cargo et à transporter tout excédent de passagers.
. Après des escales à Dartmouth (05 août) et Portsmouth (12 août), ils durent retourner à terre deux fois pour réparer le Speedwell qui prenait l'eau, et finalement abandonnèrent le navire. Un certain nombre de passagers embarquèrent alors sur le Mayflower tandis que d'autres restèrent sur la terre ferme. On découvrit plus tard, selon Bradford, que le capitaine du Speedwell avait fait exprès de surmâter le navire dans le but de provoquer des fuites afin de pouvoir se dégager de son contrat qui prévoyait que lui et son équipage devaient rester en Amérique du Nord pendant un an, pour que le Speedwell puisse répondre aux besoins éventuels des colons. Une fois le Mayflower parti, les mâts du Speedwell furent coupés et le navire reprit du service sans aucun problème jusqu'en 1635.
. Les membres de la communauté, après un jeûne solennel, quittent enfin Plymouth le 16 septembre 1620 (06 septembre selon le calendrier julien alors en vigueur en Angleterre) sur le seul Mayflower.
. Le Mayflower était censé traverser l'Atlantique au milieu de l'été sur une route directe vers la colonie de Virginie où les Anglais avaient établi la colonie de Jamestown en 1607. Bien que Jamestown ait connu des difficultés au début, en 1620, elle était florissante grâce à la culture lucrative du tabac, et la congrégation de Leyde avait prévu de s'installer au nord, assez loin pour ne pas être dérangée par ceux qui ne partageaient pas leur foi, mais assez près pour leur permettre de demander de l'aide au cas où.
Les problèmes du Speedwell, firent que le navire ne partit qu’à la saison où la mer devenait plus agitée et il dévia de sa route. À la suite d’une halte pour se ravitailler à Terre-Neuve auprès de pêcheurs locaux, ils aperçurent finalement la terre le 9 novembre 1620 et la reconnurent comme étant le Massachusetts. Christopher Jones, capitaine du Mayflower, essaya de descendre la côte pour se rapprocher de la Virginie, mais le manque de provisions, le mauvais temps et les hauts-fonds dangereux l'en empêchèrent, l'obligeant à faire demi-tour. Sans le stratagème du capitaine du Speedwell, l'expédition aurait pris la mer en juillet, aurait probablement débarqué pas très loin de Jamestown, et l'histoire de la colonisation de la Nouvelle-Angleterre aurait été bien différente.
. Le vaisseau aborda les rivages de l’Amérique au Cape Cod (sur le site de la ville de Provincetown) le 21 novembre 1620 (11 novembre). Les passagers doivent se résigner à débarquer sur une terre inhospitalière, encore inconnue des Européens, et non sur les bords du fleuve Hudson, là où plus tard fut établi New-York, but initial du voyage. A moins que le capitaine du vaisseau, payé, dit-on, par les Hollandais qui projetaient un établissement sur ce beau fleuve, les porta beaucoup plus au nord-est, loin de la Virginie !
The Mayflower II, a replica of the 17th-century ship
Le Mayflower Compact Act.
La signature du pacte du Mayflower Compact, par Jean Leon Gerome Ferris (1863)
. La patente des passagers du Mayflower n'était valable qu'en Virginie, et une fois qu'ils décidèrent de s'installer au Massachusetts, certains des étrangers firent remarquer qu'ils pourraient désormais vivre comme bon leur semblait puisque la licence n'avait aucune autorité dans leur nouveau pays. Les membres de la congrégation de Leyde s'y opposèrent, reconnaissant qu'ils devraient tous travailler ensemble pour survivre, et non pour faire des bénéfices. C'est ainsi que certains d'entre eux, très probablement menés par le futur premier gouverneur John Carver (1584-1621), rédigèrent le pacte du Mayflower, un document juridique établissant une forme démocratique de gouvernement qui donnait à chaque homme de plus de 21 ans un droit de vote dans les lois de la colonie.
. Cet accord, le Mayflower Compact Act, fut signé le 26 nov 1620, à bord du Mayflower avant de débarquer, par les 41 hommes chefs de famille qui s’engageaient ainsi par un contrat mutuel de bonne entente. Cette règle, constitution de la nouvelle colonie, met sur pied une démocratie locale espérée efficace et respectueuse des croyances de chacun : stricte observance de la foi et du culte calviniste, vie communautaire intense, discipline sociale et morale sans faille. Elle servit de base politique et juridique à la colonie jusqu'en 1691, date à laquelle Plymouth sera absorbée par la plus grande Massachusetts Bay Company. Le document aura toutefois une influence considérable, d'abord dans la création des Articles de la Confédération de la Nouvelle-Angleterre en 1643, puis en inspirant les constitutions des États, la Déclaration d'indépendance et la Constitution des États-Unis.
Le débarquement
. Une fois débarqués sur le site de Provincetown, ne trouvant pas d’endroit où s’établir durablement, une mission exploratoire d’une quinzaine d’hommes commandée par le capitaine Myles Standish fut organisée vers le 15 novembre. Puis, une deuxième mission avec un groupe de 34 hommes, commandés par Christopher Jones, partit le 27 novembre à bord d’une chaloupe que les pèlerins avaient eux-mêmes construite. Une troisième mission subira quelques premières escarmouches avec des indiens Wampanoags de la tribu des Nausets au niveau de Eastham, le 6 décembre. Devant ces échecs successifs, les colons du Mayflower levèrent l’ancre. Le navire longea alors les côtes de la baie du Cape Cod, et aborda le 18 décembre (8 décembre) sur la côte sauvage du Massachusetts dans la petite baie de « New Plymouth » (en Nouvelle-Angleterre, pas très loin de l’actuelle ville de Boston) sur le site d’un village indien abandonné nommé « Patuxet » dont les habitants étaient morts de maladie.
À l'embouchure d’un ruisseau se trouvait un marais salé, où les colons purent ancrer leur bateau. Ils y restèrent trois jours pour explorer la zone marécageuse, hésitant à s'y installer en raison du manque d'eau douce, d'autant plus que leurs réserves de bière, la boisson préférée des Puritains s'épuisaient. Quelques hommes partirent à bord de la chaloupe jusqu'à la terre ferme et découvrirent ce qu’ils ont décrit comme "un ruisseau très doux", alimenté par des sources fraîches d'eau « suffisamment bonne pour être buvable". L’emplacement (aujourd’hui le lieu-dit Town Brook, à 1,5 mile de Plymouth) fut donc finalement choisi, bénéficiant d’une situation défensive, et par le fait que les terres pouvaient être facilement mises en culture, puisque précédemment occupées par des autochtones.
Landing of the Pilgrims by Michele Felice Cornè, circa 1805. Displayed in the White House
Harold M. Lambert/Kean Collection/Archive Photos/Getty Images
. Le 21 décembre 1620 (11 décembre), William Bradford, le chef de la communauté, débarqua avec quelques hommes, au pied d’un rocher devenu célèbre, sur le site qu’ils baptisèrent Plymouth Rock et fondèrent officiellement la première ville baptisée naturellement « New Plymouth » (actuellement la ville de Plymouth).
. Les Pères Pèlerins du Mayflower ne furent cependant pas les premiers colons anglais établis dans cette partie du monde. Bien que l'Amérique du Nord fût déjà connue depuis près d'un siècle par les Espagnols, et que les Français établirent Fort Caroline en 1564, les Anglais ne commencèrent à la coloniser qu'en 1584 avec l'envoi de navires vers la colonie de Roanoke, la « colonie perdue ». Cette première tentative d'installation durable ayant échoué, les Anglais renvoyèrent des navires en 1606 en Virginie, alors récemment achetée à l'Espagne où ils fondèrent le fort de Jamestown (qui fut plus tard détruit par les Amérindiens, la famine, le paludisme et les rudes hivers).
Dès 1607 une compagnie commerciale non religieuse fonda, avec charte royale, la colonie anglaise de Jamestown en Virginie, en souvenir de la Reine Vierge Élisabeth Ière, dans la zone fertile de la baie de Chesapeake, pour cultiver du tabac. Ce fut la première colonie britannique sur l’emplacement de ce qui deviendra plus tard les États-Unis.
L’organisation
. La colonie, après des débuts difficiles, finit par s’implanter durablement, malgré les conditions climatiques défavorables. Le ruisseau était riche de harengs qui remontaient la rivière au printemps pour frayer ; il attirait également les anguilles, et de nombreux oiseaux aquatiques affluaient vers le petit étang à sa source qu'ils appelèrent, assez pompeusement, la mer de Billington.
. Pourtant au cours du premier l'hiver, la famine et la maladie eurent raison de nombreux colons, et beaucoup moururent du scorbut. Squanto, un interprète indien (Note 1) put leur offrir de la nourriture, des dindes sauvages et du maïs permettant à 50, parmi les 102 débarqués, de survivre.
Les conseils de Squanto les ont aidés à survivre à leur première année. Puis il leur apprit à pêcher, à cultiver des plantes locales et à utiliser les ressources naturelles et aussi bien vite à utiliser les poissons morts pour amender les sols ensemencés de maïs. L’automne 1621 fut donc le temps des toutes premières récoltes pour la colonie qui s’assura ainsi sa survie durant leur second hiver américain.
Presque totalement dépendants des importations européennes à leur arrivée, ils devront bientôt fabriquer les produits de première nécessité, et les barrages au fil de l’eau leur fourniront l'énergie. John Jenney, arrivé de Leyden dans la colonie de Plymouth en 1623, a construira un moulin à grains sur le ruisseau en 1636 (lequel sera détruit par un incendie bien plus tard, en 1847), ce qui allégera la corvée du pilage du maïs à la main pour produire la farine. D'autres moulins à eau seront ensuite construits, pour travailler la laine et, plus tard, produire du cuir et du tabac à priser.
. En 1621, un accord financier ayant été conclu avec Weston, une charte fut accordée à la colonie par le Conseil de la Nouvelle-Angleterre. Il est prévu une assemblée, le General Court, où se réunissent autant que de besoin tous les planteurs mâles et majeurs, nommée par le suffrage universel et assistée d’un conseil de cinq membres. Telle fut la forme primitive de la constitution de New-Plymouth.
Elle élit le gouverneur et les administrateurs, fait les lois, lève les impôts et établit les tribunaux. John Carver, qui avait négocié les conditions du voyage, en fut le premier gouverneur. William Bradford lui succéda peu après et devait être réélu jusqu'en 1656. Dès 1639, avec l'extension de la colonie et l'impossibilité pour beaucoup de fermiers d'assister aux réunions, il faudra recourir à un système représentatif. William Brewster dirigea la congrégation de Plymouth jusqu'à sa mort en 1644.
Reconstitution du village des colons dans le musée en plein air de Plymouth Plantation (Massachusetts)
Les relations avec les autochtones.
. Le 16 mars 1621, eurent lieu les premiers contacts pacifiques entre colons et indiens : Samoset (Note 2) entra dans la colonie, salua les colons en anglais et leur présenta ensuite Squanto et Massasoit, le chef de la tribu des Wampanoags. Il servit d’interprète (il avait précédemment appris un peu d’anglais grâce au contact des pécheurs venant d’outre-Manche).
Le 22 mars 1621, Massasoit et le premier gouverneur, John Carver, signèrent un traité de paix qui, bien que parfois tendu, fut respecté par les deux parties jusqu'à la mort de Massasoit en 1661 (Note 4). On prétend parfois que les pèlerins profitèrent de la confédération Wampanoag, mais, en réalité, Massasoit prit l'initiative du contact parce que sa population avait été si fortement réduite par la maladie, qu'il avait perdu son statut et son pouvoir et qu'il devait payer un tribut à la tribu voisine des Narragansetts alors qu'auparavant, c'est elle qui lui était redevable. En s'alliant aux « chrétiens », il espérait retrouver son ancienne stature, ce qu'il réussit, et ce traité était un moyen d'y parvenir. Les indiens leur apprennent alors l’agriculture et l’élevage local, en échange d’une coopération militaire implicite contre d’autres tribus ennemies.
. En effet, bien que la présence de femmes, d'enfants et de personnes âgées pouvait signifier aux autochtones que les nouveaux arrivants étaient venus sans intention violente ni guerrière, les premières rencontres avec les autres Indiens des environs furent tendues et obligèrent les colons à s’organiser militairement sous le commandement de Myles Standish, un officier anglais qui avait été spécialement recruté dans ce but par les Pères Pèlerins. La communauté, avec l’appui de Massasoit, n'aura dès lors à se plaindre que d'incidents de voisinage, nombreux, mais sans gravité.
. Afin de célébrer la première récolte, à l’automne suivant, en novembre 1621, le gouverneur Bradford décréta trois jours d’action de grâce à Plymouth. Les colons invitèrent le chef Massasoit de la tribu des Wampanoags, et 90 de ses hommes à venir partager leur repas, cuisiné par les colons britanniques pour leurs hôtes, en guise de remerciement pour l’aide apportée, et afin de sceller une amitié durable en concluant un pacte commercial. De la dinde sauvage et du cerf furent servis à cette occasion : ce fut le premier Thanksgiving fêté sur le territoire américain (Note 3).
Edward Winslow a relaté l’événement peu de temps après: « Notre moisson étant rentrée, notre gouverneur envoya quatre hommes à la chasse, afin que nous puissions, d’une manière spéciale, nous réjouir ensemble après avoir récolté les fruits de notre travail. En un jour les quatre tuèrent tant de volailles que, avec un peu d’aide, ils ont pu servir tout le monde durant près d’une semaine. A ce moment, entre autres récréations, nous avons exercé nos armes, beaucoup d’Indiens venant parmi nous, et parmi eux leur plus grand roi Massasoit, avec quelque quatre-vingt-dix hommes, que pendant trois jours nous avons reçu et festoyé avec eux ; et ils sont sortis et ont tué cinq cerfs, que nous avons apportés à la plantation et remis à notre gouverneur, ainsi qu’au capitaine et aux autres. Et bien qu’elle ne soit pas toujours aussi abondante qu’elle l’était à cette époque chez nous, cependant, par la bonté de Dieu, nous sommes si loin du besoin que nous vous souhaitons souvent de devenir participants à notre abondance ».
. Deux ans plus tard, la colonie souffrit de la sécheresse et le colonel Bradford ordonna une journée de jeûne et de prière. On dit que peu de temps après il commença à pleuvoir. Pour remercier Dieu, ils proclamèrent le 29 novembre jour « d’action de grâce ». Ce jour est présumé être celui du premier « Thanksgiving ».
Le premier repas de Thanksgiving, par Jean Leon Gerome Ferris
. Quelques semaines plus tard, les Indiens, qui commencent à s'inquiéter de l'enracinement des Blancs, envoient à ceux-ci une troupe de 50 guerriers porteurs d'une poignée de flèches liées par une peau de serpent. À ce signe évident d'hostilité, Bradford répond en renvoyant une peau bourrée de poudre et de balles. Les Indiens se le tiennent pour dit et la paix est préservée entre les deux communautés.
Il peut paraître singulier, qu’il soit accordé tant d’importance à l’établissement d’une poignée d’hommes qui ne joua jamais un rôle considérable ; mais ce qui rend la mémoire des pèlerins impérissable, c’est moins leurs actions que l’esprit nouveau qu’ils apportèrent sur le continent, car c’est cet esprit qui a fait la grandeur des États-Unis. Les puritains du Mayflower et leurs compagnons d'aventure vont apprendre non sans difficulté les vertus de la tolérance et de la démocratie locale. Ces vertus nées de la cohabitation de différentes communautés de réfugiés sont devenues l'idéal nord-américain. C'est pourquoi le souvenir du Mayflower reste encore si vif aux États-Unis et au Canada.
Note 1 -Squanto (également connu sous le nom de Tisquantum, ~1585-1622), n'était pas membre de la tribu Pokanoket qui formait la majeure partie de la confédération Wampanoag gouvernée par Ousamequin (plus connu sous le nom de Massasoit, ~1581-1661), qui jouera un rôle déterminant dans l'aide à la colonie de Plymouth. Il avait été kidnappé en 1614 par l'explorateur anglais Thomas Hunt, un associé de John Smith,à Jamestown, qui l'a conduit en Espagne, et vendu comme esclave à Malaga. Il faisait partie des captifs achetés par des moines locaux qui se consacraient à leur éducation et à l'évangélisation. Tisquantum s’est échappé et, aidé par des religieux espagnols, est ensuite allé en Angleterre, où il a peut-être rencontré Pocahontas, une Amérindienne de Virginie, en 1616-1617. Il est retourné avec l'explorateur Thomas Dermer en Amérique en 1619 dans son village natal, pour découvrir que sa tribu avait été totalement anéantie par une infection épidémique ; Tisquantum était ainsi le dernier des Patuxet.
Massasoit recueillit (ou fit prsonnier) Squanto et lorsque le Mayflower accosta dans la baie de Cape Cod en 1620, Squanto s’'employa à négocier des relations pacifiques entre les Pèlerins et les Pokanokets locaux. Un minimum anglophone, il a joué un rôle clé dans les premières entrevues en mars 1621, comme interprète. Il a ensuite vécu avec les Pèlerins pendant 20 mois, jusqu’à sa mort, avec les rôles de traducteur, de guide et de conseiller. Il initia les colons au commerce des fourrures et leur apprit à semer et à fertiliser les cultures indigènes, ce qui s'avèrait essentiel, car les graines que les Pèlerins avaient rapportées d'Angleterre ont pour la plupart péri. Alors que les pénuries alimentaires s'aggravaient, le gouverneur de la colonie de Plymouth, William Bradford, s'est appuyé sur Squanto pour piloter un navire de colons dans le cadre d'une expédition commerciale autour de Cape Cod et à travers des hauts-fonds dangereux. Au cours de ce voyage, Squanto a contracté ce que Bradford a appelé une "fièvre indienne". Bradford est resté avec lui pendant plusieurs jours jusqu'à sa mort, en novembre 1622, que Bradford a décrite comme une "grande perte". Toutefois, Squanto auraiit tenté secrètement de saper l'autorité de Massasoit auprès de la confédération Wampanoag, en montant les colons, les clans tribaux et Massasoit les uns contre les autres. Aussi, peut-être mourut-il empoisonné par des agents de Massasoit.
Une mythologie considérable s'est développée autour de Tisquantum au fil du temps, en grande partie grâce aux premiers éloges de Bradford et en raison du rôle central que la fête de Thanksgiving de 1621 joue dans l'histoire populaire américaine. Tisquantum était un conseiller et un diplomate, et non pas le noble sauvage que le mythe ultérieur dépeindra.
Note 2 -Samoset (également connu sous le nom de Somerset, ~1590-1653) n'était pas non plus membre de la tribu Pokanoket, mais un chef abénaki. Selon le colon voisin Thomas Morton, Samoset était probablement un prisonnier de Massasoit à qui l'on offrit la liberté en échange de son rôle d'émissaire auprès de la colonie de Plymouth car il connaissait un peu l'anglais. Il sera le premier Amérindien à nouer des contacts avec les Pères pèlerins de la colonie de Plymouth. Au printemps, après avoir observé de loin ces « pilgrims » durant des semaines, Samoset le sachem (chef amérindien) d'une tribu des Abénaquis qui résidaient dans l'actuel Maine avait pu constater qu’ils étaient assez faibles… mais qu’ils pourraient être utiles. Samoset part alors seul, et d’un pas rapide arrive au centre du village de colons, leur lance en anglais « Welcome englishmen » et leur demande s’ils ont de la bière ! Ainsi, le 16 mars 1621, les colons, au milieu de leur campement, découvrent Samoset qui les salue en anglais, une langue qu'il avait commencé à apprendre de pêcheurs anglais qui fréquentaient les eaux de ce qui est maintenant le Maine.
Note 3 - Que saurions-nous du premier Thanksgiving si des pirates français n'avaient saisi le manuscrit de William Bradford relatant la première année des pèlerins ? Les « gentils » pirates ont fait imprimer les extraits du journal, les essais et les lettres privées avant de les restituer deux semaines plus tard. Ils ont également imprimé la lettre d'Edward Winslow - la seule description du premier Thanksgiving qui subsiste. Le manuscrit de William Bradford, Plimoth Plantation, a été volé dans la flèche de l'Old South Meetinghouse pendant la Révolution américaine et n'a été redécouvert que dans les années 1850, dans la bibliothèque du Bishop de Londres et a été rendu au Commonwealth du Massachusetts en 1897. Heureusement, certaines parties des quatre ou cinq carnets volés du gouverneur Bradford ont survécu grâce à des notes prises par des écrivains de la Nouvelle-Angleterre avant 1768.
Note 4 - Pourquoi les Wampanoag ont-ils signé un traité de paix avec les pèlerins du Mayflower ?
Dès l'arrivée du Mayflower au large des côtes du Massachusetts en novembre 1620, les Wampanoags de la région ont observé les nouveaux arrivants de près, mais ont gardé leurs distances. Les précédents explorateurs européens, à commencer par Giovanni da Verrazzano en 1524, avaient d'abord été relativement bien accueillis pour les éventuelles opportunités de commerce. Cela changea après 1614, lorsque le capitaine Thomas Hunt enleva un groupe de Wampanoags de la communauté de Patuxet (le futur site de la colonie de Plymouth) pour les vendre comme esclaves.
Puis, vers 1616, une maladie inconnue probablement apportée par des commerçants européens a frappé les Wampanoags et d'autres tribus amérindiennes de la région. Les causes possibles de cette maladie mystérieuse vont de la variole à la rougeole (ou une combinaison des deux), en passant par la fièvre jaune et la méningite cérébro-spinale ou encore la leptospirose, mais probablement pas la peste bubonique, comme cela a pu être affirmé. La maladie décima les groupes autochtones de la région où la colonie de Plymouth allait bientôt être fondée. La nation Wampanoag en fut affaiblie par la perte des deux tiers de sa population, soit jusqu'à 45.000 personnes. En 1620, la faiblesse des Wampanoags avait été mise à profit par un groupe rival à l'ouest, les Narragansetts, sur lequel la maladie n’avait eu qu’un faible impact.
Lorsque les colons de Plymouth sont arrivés, Ousamequin luttait donc contre les tentatives de soumission de la part des Narragansetts et le tribut à payer qui en résulterait. Bien qu'il ait d'abord gardé ses distances avec les passagers du Mayflower, craignant de nouvelles agressions et à nouveau la maladie, Ousamequin en est naturellement venu à la conclusion qu'une alliance avec les nouveaux arrivants anglais dans la région pourrait l’aider à protéger son peuple.
D’où ce traité par lequel les Wampanoags et les colons de Plymouth, au nom du roi Jacques Ier, acceptèrent de maintenir la paix entre eux et de se défendre mutuellement contre les attaques potentielles d'autres groupes autochtones.
Si pour la colonie de Plymouth, le traité de paix avec les Wampanoag, le premier traité officiel entre les colons anglais et les Amérindiens, signifiait l'acquisition des compétences nécessaires à l'obtention des premières récoltes pour leur survie, pour Ousamequin, il était le garant de l'autonomie de son peuple ainsi que du maintien de son propre pouvoir et de son influence, même si certains Wampanoags désapprouvaient sa décision de coopérer avec les colons anglais.
Carver est mort en avril 1621, mais Bradford et Winslow, ses successeurs, ont continué à honorer le traité avec les Wampanoags. Malgré des tensions périodiques, la paix entre les deux groupes perdura jusqu'à la mort d'Ousamequin en 1661, faisant du traité de 1621 le seul entre Amérindiens et colons anglais à être honoré tout au long de la vie de ceux qui l'avaient signé et un exemple rare de coopération entre les deux peuples.
La paix, cependant, ne durera pas. Le premier fils et successeur d'Ousamequin, Wamsutta, meurt en 1662 pendant les négociations avec les colons au sujet des terres. Son frère Metacom, connu plus tard sous le nom de roi Philippe, lui succède et prétend que Wamsutta a été empoisonné. L'escalade des tensions entre la colonie de Plymouth et une coalition de tribus sous le commandement de Metacom explosera dans la guerre du roi Philippe (1675-78), un conflit sanglant qui conduira à l'exécution de Metacom en 1676 et au meurtre ou à la capture de milliers d'Amérindiens.
Et ensuite (citations de William Bradford, Of Plymouth Plantation)
. « Nous ferons ensemble pousser nos récoltes et en partagerons les fruits équitablement ».
. Bien entendu, conformément à l’expérience séculaire du comportement des hommes, certains membres de la communauté (notamment les adolescents) travaillèrent moins que d’autres et même, la disette survenant, volèrent les aliments.
De toute évidence cette situation ne pouvait qu’aboutir à la famine et à la disparition de la petite communauté dont le chef, le gouverneur Bradford dans son journal de bord, notait « Nous commençâmes à réfléchir sur les moyens de produire le plus de maïs possible afin d’échapper à la famine ». La réponse fut aussi simple qu’efficace « Attribuer à chaque famille une parcelle de terre ».
L’institution de la propriété
. Certes la collaboration technique et sociale avec les indiens facilita la production abondante de maïs mais, alors que ceux-ci avaient des droits de propriété tribaux mal définis, les pilgrims réinventèrent l’institution de la propriété, concept importé du Royaume d’Angleterre et consacré par la Magna Carta de 1215, fondement de la Common Law.
. « Chacun pour son compte gèrera son propre maïs et de ce fait ils se devront mutuelle confiance ; toutes les autres choses continueront au profit de la communauté comme avant. Et ainsi, à cette fin, fut assignée à chaque famille une parcelle de terre, en proportion de leur nombre, seulement pour une utilisation immédiate (sans aucune division sujette à héritage), après que les garçons et les jeunes aient été répartis dans des familles. Cela fut un grand succès, car chacun fut motivé pour travailler plus intensément et s’organiser, de sorte qu’il fut planté beaucoup plus de maïs qu'il ne l’aurait été par quelque autre moyen qu’aurait pu proposer le gouverneur ou mis en oeuvre par quiconque. Beaucoup de troubles furent évités, pour une bien plus grande production. Les femmes allaient maintenant volontiers dans les champs, et emmenaient leurs petits avec elles pour semer du maïs ; alors qu’auparavant, elles auraient allégué la faiblesse et l'inaptitude ou fait état de tyrannie et d’oppression. »
Le Mayflower Compact Act
Le document original a été perdu, mais la transcription qu’en a donné William Bradford dans son journal est généralement reçue comme très fidèle.
. Au nom de Dieu, Amen.
. Nous soussignés loyaux sujets de notre puissant Souverain, le Roi Jacques.I°, par le grâce de Dieu, Roi de Grande-Bretagne, de France et d'Irlande, défenseur de la foi, etc, ayant entrepris, pour la gloire de Dieu, et l'extension de la Foi Chrétienne, et l'honneur de notre roi et de notre pays, un voyage pour établir la première colonie dans la partie septentrionale de la Virginie, décidons par la présente, solennellement et de concert devant Dieu, et en présence les uns des autres, de nous engager et de nous constituer par nous-même et ensemble en un corps politique civil, en vue d'une meilleure organisation et protection et dans le but de servir lesdites fins; et en vertu de cela de promulguer, constituer et développer de justes et équitables lois, ordonnances, actes, constitutions, et mandements, qui pourront être conçus comme très séants et convenables pour le bien général de la colonie, sous réserve de quoi nous y promettons tous soumission et obéissance.
En témoignage de quoi nous avons ci-dessous inscrit nos noms, à Cape Cod en ce 11 Novembre, sous le règne de notre Seigneur et Souverain, Jacques, Roi d'Angleterre, de France et d'Irlande en sa dix-huitième année, et d'Ecosse en sa cinquante-quatrième année, Anno Domini 1620.
. Mr . John Carver, William Bradford, Edward Winslow, William Brewster, Isaac Allerton, Myles Standish, John Alden, John Turner, Francis Eaton, James Chilton, John Craxton, John Billington, Joses Fletcher, John Goodman, Samuel Fulle, Christopher Martin, William Mullins, William White, Richard Warren, John Howland, Steven Hopkins, Digery Priest, Thomas Williams, Gilbert Winslow, Edmund Margesson, Peter Brown, Richard Bitteridge, George Soule, Edward Tilly, John Tilly, Francis Cooke, Thomas Rogers, Thomas TinkerJohn Ridgdale, Edward Fuller, Richard Clark, Richard Gardiner, John Allerton, Thomas English, Edward Doten, Edward Liester.
102 au départ et ... 102 à l’arrivée !
. Une naissance fut enregistrée à bord durant la traversée : celle d'un petit garçon, au nom d'Oceanus Hopkins. Mais le valet d'Edward Fuller, William Butten, mourut pendant le voyage. Une naissance fut également enregistrée alors que le Mayflower n'avait pas encore accosté et que les pèlerins cherchaient un endroit où s'établir : celle de Peregrine White. La toute première femme européenne à débarquer fut Mary Chilton. La dernière survivante des passagers du Mayflower fut Mary Allerton, décédée à l'âge de 83 ans le 28 novembre 1699.
Présidents des États-Unis descendant des passagers du Mayflower :
John Adams, 1735 - 1826
John Quincy Adams, 1767 - 1848
Zachary Taylor, 1784 - 1850
James Abram Garfield, 1831 - 1881
George Herbert Walker Bush, 1924
George Walker Bush, 1946
Le désaveu de John Smith
. Les histoires de la colonie de Plymouth et de Jamestown sont souvent racontées comme si l'une n'avait rien à voir avec l'autre, mais en réalité, elles sont intimement liées. Lorsque les pèlerins firent des recherches et organisèrent leur expédition, ils demandèrent d'abord conseil au capitaine John Smith (1580-1631). Smith était l'un des premiers colons de Jamestown et son chef jusqu'à ce qu'il ne soit blessé dans une explosion de poudre à canon en 1609 et qu'il retourne en Angleterre. Après sa guérison, il retourna dans le Nouveau Monde en 1614 et cartographia la Nouvelle-Angleterre, nommant même l'endroit (ou demandant au roi Jacques Ier de le nommer) où les pèlerins allaient finalement s'installer.
Carte de la Nouvelle-Angleterre par le capitaine John Smith. Basée sur le voyage de Smith en 1614, cette carte est la première carte imprimée (par Geor. Low, 1624) à utiliser le nom de "Nouvelle-Angleterre" pour désigner la région. Elle a été utilisée par les pèlerins qui ont fondé la colonie de Plymouth.
. Après avoir discuté avec Smith, cependant, les pèlerins estimèrent qu'il était trop cher, que son caractère était trop fort et qu'il pourrait en venir à dominer le groupe. Smith les critiquera plus tard comme des fanatiques entêtés qui ne pouvaient rien apprendre "tant qu'ils n'étaient pas battus avec leur propre bâton". Pourtant, s'ils avaient au moins utilisé ses cartes, ils auraient vu qu'il avait désigné le site de l'actuelle Boston comme le meilleur pour une colonie, mais, au lieu de cela, ils passèrent plus d'un mois - du 11 novembre au 21 décembre 1620 - à chercher le long de la côte un endroit approprié pour s'établir, avant de choisir finalement Plymouth. Après avoir désavoué Smith, les pèlerins invitèrent Myles Standish à être leur consultant militaire et leur guide, bien que Standish n'eût jamais mis les pieds en Amérique du Nord. Le seul passager à bord du Mayflower qui avait une quelconque expérience du Nouveau Monde était Stephen Hopkins.
. Celui-ci avait quitté l'Angleterre à bord du navire, le Sea Venture, pour approvisionner Jamestown en 1609 en tant qu'assistant du prêtre anglican Richard Buck qui était envoyé comme aumônier. Le Sea Venture fit naufrage dans une tempête au large des Bermudes. Les Bermudes avaient été découvertes par l'explorateur espagnol Juan de Bermudez en 1505 mais n'avaient jamais été colonisées en raison de sons étranges et de vues bizarres rapportés par l'équipage (très probablement des oiseaux tropicaux) interprétés comme des démons et des sorcières et les îles étaient connues en tant qu'îles des démons. Après des mois aux Bermudes, les passagers et l'équipage partirent à bord de deux navires qu'ils avaient construits et atteignirent Jamestown en mai 1610. Hopkins partit pour l'Angleterre en 1614 après avoir appris le décès de sa première femme. Ses expériences serviront plus tard à la colonie de Plymouth.
Avant les Pilgrim Fathers, le 15 mai 1602, l'explorateur anglais Bartholomew Gosnold avait jeté l'ancre au large des côtes du Massachusetts. L'équipage pêcha tellement de morues qu'il « dût en rejeter un grand nombre par-dessus bord". Gosnold décida ainsi de nommer cet endroit "Cape Cod", comme il avait auparavant nommé une île voisine généreuse "Martha's Vineyard", en l’honneur de sa première fille décédée, puis "Elizabeth's Isle" pour une fille survivante. Après avoir rencontré des indigènes Wampanoag, l'équipage construisit un poste de commerce sur l'île de Cuttyhunk. Mais il fut abandonné lorsque l'équipage décida de retourner au pays plutôt que de s’installer sur place. Aujourd’hui, un monument marque cet emplacement. Gosnold aidera ensuite à la fondation de la colonie anglaise de Jamestown en 1607, où il mourut seulement 6 mois plus tard.
Vue du Gosnold Monument, près de Cuttyhunk Island et Elizabeth Island / Gosnold, Massachusetts, United States
Une autre facette de l’histoire.
. Ce n'est pas une histoire d'amitié
. Il est assez bien documenté que les Anglais, et plus tard les Américains, ne s'entendaient pas avec leurs voisins indigènes. Les Amérindiens ont été chassés de leurs terres et pratiquement exterminés par les colons au cours des siècles qui ont suivi l'arrivée de ces derniers.
S'il est vrai qu'au départ, les colons de Plymouth entretenaient d'assez bonnes relations avec la tribu Wampanoag (auraient-ils eu, en fait, une alliance contre les Français et d'autres rivaux indiens ?) cette amitié s'est érodée. Peu à peu, les colons de Plymouth, bien que redevables aux Wampanoags, prirent possession de leurs terres, mettant à rude épreuve le mode de vie des habitants. Et comme si cela ne suffisait pas, la maladie, propagée par les nouveaux arrivants, a décimé la population autochtone.
. En plus de la famine et de la maladie, les raids sont devenus de plus en plus fréquents. Les enlèvements, les massacres, les razzias et les pillages sont devenus monnaie courante et, des deux côtés, les victimes ont été nombreuses. Mais alors que les colons ont eu le privilège de s'installer dans des villages plus fortifiés, les Wampanoag ont été contraints de quitter leurs villages et de fuir vers des régions éloignées.
. L’épidémie de variole de 1633 avait emporté la moitié de la tribu des Pequots. Leur rivalité avec les Narragansetts et les tentatives de colonisation de leur terre par les colons ne leur laissèrent pas le choix … Les Pequots entrèrent en guerre contre l’envahisseur anglais. Le 26 mai 1636, la garnison du capitaine John Mason, épaulée de guerriers Niantics, Mohegans et Narragansetts, attaqua le village fortifié des Pequots en bordure de la Mystic River. Ils brûlèrent le village, bloquèrent les sorties, et mirent le feu aux palissades. Les Pequots étaient faits comme des rats : quiconque escaladait les portes finissait fusillé. 500 hommes, femmes et enfants furent exterminés. Le Massacre de Fort Mystic est resté ancré dans bien des mémoires, surtout chez les Natifs. Le conflit se solda par une amère défaite des Pequots et la signature du Traité de Hartford le 21 septembre 1638, qui enterra définitivement l’existence des insurgés. Cette lutte émancipatrice des Pequots a été passée sous silence et oubliée de beaucoup d’Américains.
. Metacomet le nouveau chef Wampanoags ordonna des raids contre les colonies après l'exécution de plusieurs de ses hommes pour le meurtre d'un interprète Punkapoag. En 1675, le conflit conduisit à une guerre dévastatrice et totale. Les combats durèrent un an, dans le sud de l’actuelle Nouvelle-Angleterre. Près d'un dixième des Amérindiens et des Anglais furent tués ou blessés. Le conflit se termina par la victoire des colons anglais qui finirent, grâce à leurs alliés Iroquois, par tuer Metacomet. En 1676, à l’issue de ce que l'on a appelé la "guerre du roi Philippe", les colons avaient perdu environ 30 % de leur peuple, tandis que près de la moitié de la population amérindienne avait été anéantie. Un lourd tribut.
La colonie de Massachussets.
Edouard Lefebvre de Laboulaye (1866)
. La seconde colonie puritaine qui vint peupler la Nouvelle-Angleterre, fut celle qui s’établit autour de la baie de Massachussets. C’est de toutes la plus importante ; celle qui, dès l’origine, a pris la direction du mouvement politique et religieux aux États-Unis, et qui longtemps y tient le premier rang, sinon pour le commerce, du moins par son poids sur l’opinion. C’est Boston qui a commencé la guerre de l’indépendance ! … L’histoire du Massachussets sera celle de la Nouvelle-Angleterre.
. À peu près vers l’époque où, les pèlerins achevaient leur voyage, Jacques Ier, voyant que la Compagnie du Nord ne donnait point suite à ses projets de colonisation, accorda, le 3 novembre 1620, une charte nouvelle au duc de Lennox, au marquis de Buckingham et à quelques autres personnages de distinction. Cette charte était imitée de la concession première, mais elle étendait le territoire accordé. Le roi donnait à la compagnie, qui prit le titre de Grand conseil de Plymouth, tout le pays compris entre le 40e et le 48e degré de latitude nord, et s’étendant en profondeur d’une mer à l’autre, réserve faite des possessions qui se trouveraient appartenir à quelque autre puissance : on songeait sans doute à nos établissements du Canada.
Cette concession, malgré son étendue, n’amena point d’expédition sérieuse ; la compagnie dans laquelle figurait un certain nombre de courtisans intéressés, s’occupa de vendre des terres plutôt que de coloniser, et la Nouvelle-Angleterre serait restée longtemps inhabitée, si les causes qui avaient amené l’exil des brownistes, n’avaient déterminé une émigration de puritains beaucoup plus considérable.
. Les Indépendants, dont le nombre et le zèle augmentaient chaque jour, malgré ou plutôt à cause de la persécution, désespérant d’obtenir dans leur patrie un relâchement des lois qui les frappaient sans pitié, encouragés d’ailleurs par les récits qui représentaient la colonie de New-Plymouth comme l’asile et le sanctuaire de leurs croyances, résolurent de chercher, eux aussi, par-delà les mers, une patrie nouvelle, où leurs opinions ne seraient point inquiétées, où la persécution n’atteindrait ni leurs femmes ni leurs enfants.
Ce fut dans cette intention qu’on ouvrit avec le Grand conseil de Plymouth une négociation qui, en 1627, aboutit à une concession considérable, car elle comprenait le territoire de l’État actuel de Massachussets, le Connecticut, New-Hampshire, Rhode-lsland et le Maine.
. Les premiers concessionnaires n’étaient ni assez riches, ni assez nombreux pour entreprendre avec leurs seules ressources une aussi lourde entreprise que la colonisation d’un pays lointain ; ils cherchèrent donc des associés parmi leurs coreligionnaires, et en trouvèrent bientôt un assez grand nombre parmi des marchands ou des personnes aisées, qui en public ou en secret professaient les opinions puritaines. Mais ces derniers, en hommes habitués aux affaires, ne voulurent point tenir leur titre d’une compagnie qui pouvait bien leur concéder la propriété du sol, mais non pas la juridiction et l’administration. Ils s’adressèrent donc au roi, à qui seul il appartenait d’accorder cet attribut de la souveraineté.
Charles Ier consentit à leur demande avec une facilité qui étonne, quand on sait quelle était la sévérité du roi en matière de non-conformité. Le 4 mars 1629, il constitua les concessionnaires en corporation, sous le nom de Gouvernement et compagnie de la baie de Massachussets dans la Nouvelle-Angleterre, et leur donna une charte toute semblable à celle que Jacques Ier avait accordée au grand conseil de Plymouth.
Cette charte, qui porte la signature de Charles Ier, et qui, pendant plus d’un demi-siècle fut chérie comme le plus précieux des privilèges, constituait, non point un État, mais simplement une corporation, dont le siège était en Angleterre, et qui était organisée comme toutes les grandes compagnies commerciales que l’esprit de la monarchie avait alors multipliées par tout le pays.
. … Aussitôt la patente obtenue, une première expédition de cinq navires emmena trois cents émigrants vers leur nouvelle patrie. C’étaient, pour la plupart, d’ardents puritains qui quittaient la terre natale, non par ambition, non par avarice, mais uniquement parce qu’il leur semblait que rien ne pouvait les défendre de la furie des évêques que le vaste Océan et les solitudes sauvages de l’Amérique. Des ministres éminents dans le parti non conformiste accompagnaient cette colonie qui ne ressemblait à aucune de celles qu’avait connues l’histoire, colonie non point d’aventuriers, mais de chefs de famille qui se rendaient au désert, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, pour y porter le flambeau de l’Évangile, pour y prier Dieu en liberté.
. … À leur arrivée, le 29 juin 1629, les colons trouvèrent le reste misérable d’une première émigration partie l’année précédente, sous la conduite d’un enthousiaste nommé Endicott, et établie dans un lieu que le gouverneur avait nommé Salem, du nom de la ville sainte.
Les émigrants qui avaient suivi Endicott, et les nouveaux arrivants avaient les mêmes principes religieux ; c’étaient des puritains de l’espèce la plus rigide, et pour des hommes de ce caractère, l’établissement d’une église était un intérêt qui devait effacer tous les autres. Aussi, dès le premier jour, et sans égard pour la charte qui leur imposait la conformité, ils organisèrent leur Église suivant leurs doctrines.
. … Ce fut avec passion que les puritains, libres de leurs mouvements pour la première fois, constituèrent cette pure Église qu’ils avaient rêvée si longtemps. Cependant quelques émigrants, effrayés de cette brusque rupture avec l’Église anglicane, s’assemblèrent séparément pour honorer Dieu suivant le rite de la métropole. Exclusifs comme tous les partis qui sortent de la persécution, les colons déclarèrent qu’ils ne supporteraient point l’épiscopat. Craignant toujours une invasion de leurs droits, ils regardaient les partisans de l’Église établie comme des espions dans leur camp.
. … Cependant, les directeurs de la compagnie en Angleterre travaillaient à renforcer la colonie, et comme on était au moment où l’esprit intolérant de l’archevêque Laud dominait dans le conseil du roi, le nombre était grand de ceux qui se résignaient à chercher un abri dans la Nouvelle-Angleterre. Parmi eux, se trouvaient des gens d’une condition plus relevée, d’une fortune plus grande que celle des premiers émigrants.
. Mais des hommes qui voulaient risquer leurs biens et hasarder leur vie à fonder un grand établissement dans un monde nouveau, ne pouvaient accepter ce gouvernement à distance. … Des Anglais habitués dès lors à la pratique de la liberté, n’entendaient pas devenir les serviteurs d’une corporation placée à Londres et ils refusaient d’accepter des lois faites sans leur aveu, et rédigées par un conseil que l’éloignement condamnait à ne jamais connaître qu’imparfaitement la société qu’il prétendait régir.
On savait que la Virginie s’était fait concéder une espèce de charte, et qu’elle n’avait été vraiment libre qu’après la chute de la compagnie. Les colons qui se présentaient pour la Nouvelle-Angleterre, prirent une mesure plus simple et plus énergique, et qui leur permettait de se passer de la royauté. Ils demandèrent à la corporation de se transporter, en quelque façon, d’Angleterre en Amérique, en remettant tous les pouvoirs, tout le gouvernement de la colonie aux mains de ceux des membres de l’association qui s’établiraient dans le nouveau monde.
La compagnie hésita, doutant de la légalité de cette mesure, qui, en apparence, semblait ne changer que le siège de la société, qui, en fait, transformait une corporation commerciale en un gouvernement provincial indépendant ; elle se décida cependant, en présence des offres brillantes des nouveaux colons, qui emmenaient plus de huit cents personnes à leur suite. L’élection des officiers de la plantation se fit parmi ceux des concessionnaires qui émigraient. John Winthrop, protestant zélé, dont l’intégrité et la capacité étaient célèbres, fut choisi pour gouverneur. L’administration et la patente furent ainsi portées outre-mer, et ce qui n’était que la charte d’une compagnie devint la loi d’un État.
. … Dès le premier jour, les planteurs du Massachussets ont été pris de l’esprit d’innovation en politique aussi bien qu’en religion, et l’habitude de rejeter les usages établis dans un cas, les avait préparés à s’en écarter dans un autre. Et si en Angleterre, ils avaient agi comme une compagnie de commerce qui a besoin d’une charte royale pour confirmer ses possessions, à peine débarqués en Amérique, ils se considérèrent comme des individus unis par une association volontaire, et ayant de droit naturel le choix du gouvernement, et des lois qui leur convenaient le mieux.
… Ce nouvel État avait, du reste, un caractère particulier, et qui n’était rien moins que démocratique. Les émigrants, on l’a vu, étaient bien moins une société politique qu’une église plantée dans le désert. Conserver la foi, n’admettre que des hommes purs, était le but principal de la communauté ; aussi se constitua-t-elle comme une théocratie. Une loi de 1631 décida que personne autre qu’un membre de l’Église ne pourrait prendre part au gouvernement, être élu magistrat, faire fonction de juré. En d’autres termes quiconque ne professait pas les opinions reçues en fait de dogme et de discipline, était dépouillé de ses droits de citoyen, et mis au ban, de la société.
. … Dans les premières années du transport de la charte en Amérique, on avait procédé comme le voulait l’acte royal ; le gouverneur et les assistants étaient choisis dans la cour générale (c’est le nom qu’on donnait alors dans la Nouvelle-Angleterre, au pouvoir législatif) formée par la réunion de tous les propriétaires (freemen). C’est également dans cette assemblée que, d’un commun accord, on arrêtait toutes les mesures qui intéressaient la plantation.
Mais quand les colons se furent répandus au loin, une réunion générale de tous les propriétaires devint impossible, et dès 1634, les planteurs choisirent, de leur propre mouvement, des délégués pour les représenter dans l’assemblée. Ces délégués, par une décision hardie, transformèrent en une démocratie représentative ce qui n’était encore qu’une assemblée d’actionnaires. … Ce système de gouvernement dura jusqu’à la révocation de la charte en 1684.
Telle fut la constitution que se donna le peuple de la nouvelle Angleterre. Les colonies de Rhode-Island, Connecticut et New-Hamsphire tirèrent leur origine du Massachussets, et en suivirent l’exemple.