Les Américains à la peine ?
Le Figaro –Jean-Pierre Robin – 28 fév 2022
. A l’issue de deux années de pandémie, il est des réalités qui singularisent la société américaine et la fragilisent à l’extrême. D’un côté, la surmortalité liée à la Covid 19 s’est traduite par une chute spectaculaire de l’espérance de vie sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Et de l’autre, les États-Unis font face à une épidémie historique d’homicides au point que le millésime 2020 aura été bien plus meurtrier que la sinistre année 2001 marquée par les attentats terroristes du 11 Septembre, qui avaient fait 3.047 morts.
. Plus encore que la létalité de la Covid-19 (2.838 décès par million d’habitants à ce jour outre-Atlantique et 2.249 dans l’Union européenne), le recul de l’espérance de vie à la naissance est impressionnant. Durant la première année de la pandémie, où l’on ne disposait pas encore de vaccin, celle-ci a chuté de 1,8 année, passant de 78,8 ans en 2019 à 77 en 2020 (79,9 ans pour les femmes et 74,2 ans pour les hommes), selon le bilan publié en décembre dernier par le National Center for Health Statistics (NCHS). Une baisse trois fois plus importante qu’en France, par exemple, où l’espérance de vie des Françaises a diminué de 0,5 an en 2020, revenant à 85,2 ans, et celle des Français de 0,6 an, à 79,2 ans, selon l’Insee. Il ne s’agit ni d’une prévision ni d’un espoir à proprement parler mais de la photographie d’une année précise (2020) dont on fait l’hypothèse théorique que les conditions de mortalité se perpétueront à l’avenir.
La baisse plus accentuée de l’espérance de vie aux États-Unis qu’en France s’explique par les décès prématurés pour cause de Covid dont ont été victimes les jeunes générations fréquemment atteintes de comorbidités (obésité, diabète) outre-Atlantique ou vulnérables du fait de la drogue et des opiacés. « Les personnes âgées de 35 à 45 ans ont été les plus touchées par une hausse du taux de mortalité », soulignent les experts du NHSC.
. Autre conséquence mortifère de la Covid, certes de moindre ampleur statistique, les États-Unis ont connu en 2020 une recrudescence vertigineuse des homicides. Le FBI (Federal Bureau of Investigation) en a identifié 21.570 sur tout le territoire contre 16.669 en 2019, en augmentation de 29 %, un rythme inédit depuis 1905 (les données partielles n’indiquent pas de reflux en 2021). Aucun État n’est épargné, avec des records dans le Montana (+ 84 %) et dans les grandes villes comme New York (+ 47 %). Le taux d’homicide a bondi, de 6 pour 100.000 habitants à 7,8 dans l’ensemble du pays. La palme revient à Philadelphie, la cité « de l’amour fraternel », berceau de la démocratie américaine, qui déplore un ratio d’homicides de plus de 35 pour 100.000. « Notre ville a un fort taux de pauvreté, d’insécurité alimentaire, de problèmes de logement, de problèmes psychologiques, et un système éducatif sous-financé », note Dorothy Johnson-Speight, directrice de l’association Mothers in Charge.
Les experts réputés pour leur impartialité du Pew Research Center (PRC), centre d’études transpartisan disposant d’énormes moyens, n’arrivent pas à s’expliquer un tel déluge de violence. Ils évoquent « une variété de causes, incluant les changements économiques et sociétaux liés à la pandémie de coronavirus et les changements dans les relations entre la police et la population après le meurtre de George Floyd, au printemps 2020 ».
Seule certitude, les Américains considèrent à 61 % que les actes criminels constituent « un gros problème pour le pays », devançant de très loin les autres préoccupations (déficit budgétaire, changement climatique, racisme, inégalités, immigration illégale), selon un sondage du Pew Research Center de juillet 2021. Ce consensus n’empêche pourtant pas l’opinion publique d’être très divisée. Les progressistes accusent les ventes d’armes (à un niveau historique, 23 millions d’unités vendues en 2020, selon Small Arms Analytics & Forecasting), les conservateurs leur reprochant de vouloir transférer les crédits de sécurité vers des programmes sociaux (« Defund the Police »).
. À l’évidence, la crise sanitaire contribue à exacerber les faiblesses propres à chaque pays. L’addiction à la violence devenue emblématique de la société américaine a empiré et son taux d’homicides est de à cinq à six fois celui des Européens (en France, 2 meurtres d’hommes pour 100.000 habitants et un taux de féminicides de 0,9). De même, parmi les pays « riches », les États-Unis confrontés à la paupérisation de la classe moyenne se distinguent depuis 2014 par un reflux ininterrompu de l’espérance de vie. Laquelle est désormais inférieure au niveau de la Chine (77,3 ans) !