Le western classique

 Contrepoints - Gérard-Michel Thermeau – avril 2015 - nov 2017 - 10/17/24 déc 2017

Un genre libéral ?

 

.         Il est tentant de voir dans le western un genre libéral. Qu’en est-il vraiment ?

.          Le western est un genre cinématographique américain par excellence, même s’il y eut des westerns français (au bon temps du cinéma premier), allemands (choucroute familiale à l’ouest, pamphlets antiyankees à l’est), italiens, hélas, voire britanniques et même australiens.

En coma avancé depuis 1970, le western ne cesse pourtant pas de survivre voire de renaître de ses cendres. La télévision a repris le flambeau de la série B avec ses séries (de Gunsmoke à Deadwood) et ses téléfilms. Des acteurs de renom continuent à vouloir figurer un jour ou l’autre dans un western sur grand écran.

La frontière, thème récurrent du western

.          Selon Pierre Berthomieu, un des meilleurs connaisseurs du cinéma hollywoodien, « le paysage d’abord, et le paysage seul, définit un western. » La plupart des westerns s’ouvrent sur l’image d’un ou de cavaliers s’inscrivant dans le paysage. Ce n’est parfois qu’un point minuscule soulignant ainsi l’écrasante majesté du cadre naturel comme dans le générique de Shane. « C’est un grand pays. La seule chose plus grande est le ciel. » déclare Jim Deakins, le héros de La Captive aux yeux clairs (The Big Sky, 1952, Howard Hawks). Les héros de l’histoire, inspiré par l’expédition de Lewis et Clarke, doivent affronter les rapides, les moustiques, la pluie en remontant la Platte, la Cheyenne et la Yellowstone.

Le western est un genre géographique par excellence. Il raconte l’avancée inexorable de la frontière, la civilisation mettant fin à l’état de nature. Frédéric Jackson Turner avait lancé l’hypothèse en 1890 : l’histoire des États-Unis depuis les origines est l’histoire de la frontière, ce point de rencontre entre le monde primitif et la civilisation, aux confins des régions habitées. C’est le recul continu d’une zone de terres libres et vacantes. La frontière progresse par faim de terre et soif de liberté, dit Turner. Peu importe la pertinence de l’hypothèse de Turner, qui a subi bien des critiques savantes et argumentées : le western l’a faite sienne.

C’est même le titre d’un film d’Anthony Mann : The Last Frontier (en français La charge des tuniques bleues, 1955) où un vieux trappeur, Gus, exprime tout son mépris des « tuniques bleues », ces émissaires de la civilisation qui ne seront satisfaits tant qu’ils n’auront pas avalé toutes les terres à l’ouest du Mississipi.

Le territoire du western ne se limite d’ailleurs pas à celui des actuels États-Unis : le héros de western traverse souvent la frontière mexicaine en général, le Rio Grande en particulier, et un peu moins souvent le 49e parallèle. Mais c’est aussi une expression de la « destinée manifeste ».

La frontière contribue, toujours selon Turner, à façonner un nouveau type d’homme qui n’a plus rien à voir avec l’Européen. Le pionnier est vigoureux, énergique, d’esprit pratique, et individualiste, méfiant à l’égard de l’autorité et du pouvoir. Pour Nicole Gotteri « liberté et individualisme symbolisent en effet, le vieil Ouest mythique ».

Il est donc tentant de voir dans le western, un genre libertarian-friendly. Qu’en est-il exactement ?

Les Indiens et le monde sauvage

.          À l’image des romans de Fenimore Cooper et de son héros, Natty Bumpo dit Hawkeye, dit Longue Carabine, dit Bas-de-Cuir, source d’inspiration directe ou indirecte de nombreux films, le western ne cesse d’osciller entre une nostalgie du paradis perdu et l’exaltation de la Destinée manifeste.

Du moins a-t-on longtemps fait des westerns ayant pour héros des Indiens. En revanche, les westerns « révisionnistes » plus récents tant vantés pour leur attitude pro-indienne (de Little Big Man à Danse avec les Loups) sont centrés sur des « héros » blancs. Danse avec les loups de Kevin Costner perpétue d’ailleurs la vision de Fenimore Cooper, opposant les nobles Sioux aux perfides Pawnees, façon de résoudre la contradiction entre l’image du Sauvage sanguinaire et celle du Noble Sauvage.

La conquête de l’Ouest implique la disparition de peuples et de modes de vie. Bon ou mauvais, l’Indien est voué à disparaître. Dans les premiers temps du cinéma muet, c’est l’image du bon sauvage victime de la civilisation corruptrice qui l’emporte.

Par la suite, alterneront les films présentant soit des « bons Indiens » soit des « sauvages vicieux et peinturlurés ». Nombreux sont en effet les westerns classiques où la paix est menacée par les machinations de blancs perfides. Mais comme le déclare Luther S. Kelly (Yellowstone Kelly ou Le Géant du Grand Nord, 1959, de Gordon Douglas), l’Indien est comme un animal sauvage qu’on ne peut apprivoiser : il tombe malade, meurt ou tente de s’enfuir.

Le combat des Indiens est inutile : quoi qu’ils fassent, ils vont perdre leurs terres. Ce message pessimiste est présent dans de nombreux westerns : de la Porte du Diable de Mann à Bronco Apache de Robert Aldrich.

À l’âge d’or du western, les rôles importants d’Indiens sont généralement confiés à des acteurs aussi peu « indiens » que possible : Robert Taylor et ses yeux bleus, le rouquin Burt Lancaster, le blond Chuck Connors.

Le western : désert VS ville civilisée

.          Le désert tient une place fondamentale dans le western où les références bibliques sont légion. L’accès au paradis terrestre passe par la traversée d’un interminable désert. Dans cet espace hostile par excellence, l’homme se révèle à lui-même. Il doit y affronter le vent, les nuages de poussière, le manque d’eau : les puits sont asséchés, les sources se révèlent souillées ou empoisonnées, les gourdes ou les tonneaux criblés de balles voient le précieux liquide s’écouler irrémédiablement.

La nature est toujours cruelle dans le monde du western. D’autres films ont pour cadre les « déserts blancs » propres tout autant à la folie : nombreux sont les « méchants » qui y meurent de froid. Mais les « faibles » ou « ceux qui n’ont pas de chance » sont tout autant condamnés à périr dans un environnement dur et une nature impitoyable.

La civilisation, elle, s’incarne d’abord dans la « ville », nom qui désigne ordinairement une très modeste bourgade, annoncée par son linge flottant au vent et ses cochons. Les rues en sont ordinairement boueuses : des passerelles en bois se révèlent nécessaires pour éviter de s’y noyer (La Diablesse en collant rose de Cukor, 1960 ; Le Grand Sam de Hathaway, 1960).

Elle comporte un certain nombre de commerces traditionnels : le saloon, l’hôtel, l’atelier du maréchal-ferrant, l’épicerie, l’échoppe du barbier (endroit dangereux propice aux attaques sournoises). En arrivant dans la petite ville, le premier geste des protagonistes est d’entrer au saloon pour se rafraîchir le gosier. Cette ville pionnière voit aussi le déchaînement de la violence : des cavaliers ivres passent au galop en tirant en l’air.

Peu à peu, la ville s’étoffe. Une église est construite, des rues se créent, des immeubles de belle allure s’édifient, le centre-ville s’oppose aux faubourgs, diverses activités se développent et de nouveaux services plus raffinés : le journal, la bijouterie, le magasin de modes et l’église.

Mais cette évolution n’est pas toujours acceptée de gaieté de cœur. Dans Young Billy Young (Burt Kennedy, 1969), le patron du saloon de Lordsburg déclare : « Notre ville n’a pas besoin de trottoirs, de messes et de lois ». L’entraîneuse de saloon dans Frontier Marshall d’Allan Dwan voyant l’ouverture d’une caisse d’épargne comprend qu’elle n’a plus qu’à faire ses bagages : quand les hommes commencent à économiser, c’en est fini pour elle.

La civilisation progresse aussi par l’abandon des pendaisons publiques : autant ne plus pendre du tout, constate mélancolique le juge Bean dans Roy Bean de John Huston.

Le cowboy est rarement un cowboy

.          Le combat entre passé et avenir s’incarne aussi dans de nombreux westerns dans l’affrontement entre éleveurs et fermiers. C’est le combat des « gros » contre les « petits », du bétail contre la culture, de l’espace ouvert contre le fil barbelé, de la grande propriété « aristocratique » à la communauté « démocratique ». Le « Land Baron » ou « Cattle Baron », homme dur qui a su créer un vaste domaine contre les Indiens et les Mexicains et imposer sa loi au pays, n’est pas toujours présenté négativement : c’est un self made-man. Mais le ou les fils du grand éleveur se révèlent inférieurs, voire dégénérés, trop gâtés par leur paternel, dont ils n’ont aucune des qualités, si ce n’est l’orgueil.

Le western prend toujours parti pour les petits fermiers contre les gros éleveurs qui s’efforcent d’accaparer l’espace à leur seul bénéfice et s’opposent au mouvement continu qui caractérise la société américaine. Le maître de la prairie s’oppose en vain aux nouveaux venus qui, eux aussi, viennent réaliser leur rêve d’indépendance. La défaite des grands éleveurs marque aussi la fin de la loi de l’Ouest au profit de l’ordre légal venu de l’Est.

Le héros de la plupart des westerns est donc rarement un « cow-boy » au sens technique du terme : il est à cheval, porte un chapeau et une arme mais là s’arrête la ressemblance. Incarné par Gary Cooper, Randolph Scott ou John Wayne, il est cet homme rude, laconique, habité par le sens de l’honneur et du devoir.

En fait, le héros de western est un personnage plus complexe qu’on ne l’imagine. Sa morale est souvent particulière. Il ne s’agit pas d’être juste, il s’agit de rester en vie, comme le déclare Yellowstone Kelly au jeune Ase Harper (dans Le Géant du grand Nord, ndlr). Ce rude chasseur connaît bien la nature mais moins bien les gens. Il vit seul et la solitude n’est pas une bonne chose lui apprend le jeune Ase Harper, qui ne connaît rien à l’ouest mais apporte son regard sensible de « pied tendre ».

Les cow-boys à proprement parler sont les employés des grands propriétaires de ranchs dans le cadre de l’élevage extensif. Red River de Hawks ou Cow-boy de Delmer Daves donnent une image assez réaliste d’une activité aussi dure que monotone. Le déplacement du troupeau se déroule selon un schéma immuable : traversée du désert, tempête de sable, attaque de voleurs de chevaux et/ou attaque d’Indiens. Arrivant à destination, le cow-boy s’empresse de dilapider sa paye au saloon et dans les bras des prostituées.

Le cow-boy de western est souvent un personnage solitaire, sans le sou, illettré, sale et incapable d’exercer une autre activité. La profession de foi de Rick (Joel McCrea) dans The San Francisco Story (La Madone du désir de Robert Parrish) exprime un individualisme farouche : « Je ne suis à personne, je vais droit devant moi au milieu des bagarres ».

Le western pose la question fondamentale de la loi

.          Le héros de western est l’homme libre, qui refuse les entraves (The Big Sky), qui se guide à l’aide d’une étoile, se sent nu sans son arme et fuit les barbelés (L’homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor) mais les progrès de la civilisation le rendent obsolète et font de lui un éternel déraciné. Dans The Kentuckian (B. Lancaster, 1955), l’acteur réalisateur incarne Eli qui, errant avec son jeune fils, est farouchement attaché à son indépendance et n’est guère apprécié dans les petites villes qu’il traverse.

Mais à l’image de Natty Bumpo fuyant la civilisation, l’homme de l’Ouest contribue cependant à sa progression toujours plus loin, à l’image de Buffalo Bill (Joel McCrea), ami des Indiens, qui participe à leur extermination dans le film de W. Wellman en 1944.

Le rapport à la loi n’est pas simple dans les westerns. « Individualistes par nature, mais solidaires par nécessité, les pionniers forment déjà une sorte de communauté ambulante qui a ses lois non écrites pour la défense de ses intérêts vitaux » (Nicole Gotteri). Notons le grand nombre d’œuvres qui reposent sur le thème de la vengeance : c’est, par exemple, le schéma de tous les westerns d’Anthony Mann avec James Stewart. « À l’Est, la loi se trouve dans les livres, à l’Ouest elle se porte à la ceinture », déclare au pied-tendre Willie Duggan, Liam (Rod Cameron), devenu hors-la-loi après avoir été spolié légalement, (Le Chasseur de primes, The Bounty Killer, Gordon Bennet, 1965).

« La loi c’est comme l’alcool, déclare le juge dans Run for Cover (À l’ombre des potences, 1955, Nicholas Ray), il ne faut pas en abuser la première fois ». Aussi, tend-il à relâcher les lyncheurs contre une faible amende. Le juge Prescott (Frontier Gal) trempe son doigt dans l’alcool pour tourner les pages de son code de loi : il est vrai qu’il a élu domicile au saloon.

Le pittoresque mais dangereux Roy Bean (1825-1903), « la seule loi à l’ouest du Pecos », est incarné successivement par les talentueux Walter Brennan (The Westerner, William Wyler, 1940), Victor Jory (A Time for dying de Boetticher, 1969) et Paul Newman (The Life and the Times of Judge Roy Bean de John Huston, 1972) est le type même du Hanging Judge. Edgar Buchanan a également campé le personnage dans la série Judge Roy Bean (1956-1957) et Ned Beatty dans la minisérie Lonesome Dove. En fait, Bean a été plus ou moins confondu avec le terrible juge Parker de Fort Smith (True Grit, Henry Hathaway, 1969).

La loi peut prendre la figure douteuse du chasseur de primes, rarement sympathique dans le western. Les primes attachées à la tête des hors-la-loi reflètent la logique du marché : mais c’est le plus mauvais produit qui est le plus cher remarque Willie Duggan (Dan Duryea) dans The Bounty Killer, de Spencer G. Bennet.

L’homme de la loi est parfois le « Town Tamer », le redresseur de profession (The Man with the Gun de R. Wilson, 1955), parfois un comité de citoyens, des Vigilantes comme dans la Madone du plaisir : au capitaine J. Martin, le propriétaire du SF Journal qui exprime son désir de nettoyer la ville, l’ancien milicien Rick (Joel McCrea) réplique : peut-être que les gens ne veulent pas d’une ville propre.

Mais la loi est incarnée le plus souvent dans les westerns par le shérif ou le marshal, traduit souvent par sheriff dans les versions françaises qui amalgament et mélangent allègrement marshal de ville, shérif du comté et marshal fédéral. Mais il n’est pas toujours à la hauteur de sa tâche : nombreux sont les représentants de l’ordre trop âgés, corrompus, lâches, incompétents. Gary Cooper, au physique creusé par la maladie, campe la figure fragile d’un représentant de la loi abandonné de tous (High Noon, Fred Zinneman 1952) auquel répond l’assurance un peu trop appuyée de John Wayne dans Rio Bravo de Howard Hawks (1959).

Et puis, on passe facilement d’un côté à l’autre de la loi : les Dalton n’ont-ils pas été marshals avant d’être bandits ?

Western crépusculaire

.          La dégradation des héros de western est à l’image d’un genre qui a perdu son innocence, Little Big Man (Arthur Penn, 1970), grand film mais féroce satire des mythes westerniens, est passé par là. Désormais le ton du western sera crépusculaire même si un Clint Eastwood poursuivra une certaine tradition libérale du western. Mais c’est un autre sujet pour un autre article.

Le western a privilégié le personnage historique de Wyatt Earp. John Ford en a dessiné la silhouette idéale dans My Darling Clementine (1946). Henry Fonda, aussi adroit au revolver qu’il est gauche avec les dames, est un héros modeste au service de la communauté. Dans Washita (Jacques Tourneur), Joel McCrea campe un héros discret devenu marshal par hasard, ayant assommé un cowboy trop violent. Randolph Scott (Du sang sur la piste, Ray Enright) est un Earp bien habillé et flegmatique, qui rêve d’être écrivain et finit par se lancer dans le journalisme.

Règlement de comptes à OK Corral (1957, John Sturges), montre les frères Earp comme des entrepreneurs de la justice : ils sont shérifs à Dodge City, Tombstone et Deadwood. Déjà le mythe se ternit : OK Corral tourne au règlement de comptes personnel. L’orgueil familial passe avant la loi. L’affrontement tourne à la boucherie répugnante. Dans le long et morne Wyatt Earp (Laurence Kasdan, 1994), Kevin Costner campe un homme froid, misogyne et brutal qui tente, vainement, d’échapper à un destin de policier et de tenancier.

Mort et transfiguration

 

.          À l’âge d’or du western, de la fin des années 1930 à la fin des années 1950, succède une période de doutes et de remise en question dans les années 1960-1970. Mort et transfiguration pour un genre qui ne devait plus cesser de mourir pour renaître de temps à autre.

Le western entre révisionnisme et nostalgie

.          Little Big Man (Arthur Penn, 1970) marque une date fondamentale dans l’histoire du western. Dans une des plus fameuses séquences du film, le 7e de cavalerie attaque au petit matin un campement cheyenne sur les bords de la Washita au son de Gary Owen.

Le massacre évoqué renvoyait de façon explicite pour les spectateurs de 1970 au massacre des civils vietnamiens par des soldats américains à My Lai. La guerre du Viet-Nam voyait sombrer une certaine image que l’Amérique s’était faite d’elle-même.

Le western, de la célébration de la conquête d’un espace, devenait le lieu de la dénonciation d’une conquête brutale et sans pitié entraînant l’extermination des populations amérindiennes. Le western devenait révisionniste, reflet de la mauvaise conscience de l’Amérique de la part d’artistes et intellectuels progressistes (de Soldat bleu à Danse avec les loups) creusant ainsi sa tombe.

On est frappé par la nostalgie qui imprègne de nombreux westerns réalisés entre la fin des années 60 et le milieu des années 70. La mode des génériques constitués de photographies renforce ce caractère, confrontant les images de l’ouest authentique à celles du western finissant.

Les acteurs de western encore vivants ont pris un terrible coup de vieux. Dans un petit film de série B assez fauché, un des derniers du genre (The Bounty Killer, Spencer Gordon Bennet, 1965), l’Ouest ne paraît plus peuplé que de représentants du troisième âge.

Broncho Billy Anderson, ex star du muet, a même quelques lignes de dialogue pour regretter la maladresse au lancer de couteau du malfrat joué par Buster Crabbe, ex gloire du serial des années 30. Rod Cameron, héros de séries B des années 40-50, joue un bandit au grand cœur. Et Dan Duryea, âgé de 58 ans, a du mal à nous persuader qu’il est un jeune et naïf pied-tendre.

Surtout nombre de ces westerns se situent après 1890. La frontière a disparu, c’est le règne des premières automobiles et de l’électricité. Dans Dead of a Gunfighter (Une poignée de plombs, Don Siegel, 1969) Richard Widmark campe un shérif vieillissant qui doit prendre ses lunettes pour lire la lettre qui le révoque. Dans une chaleur étouffante, les notables de la ville, qui transpirent surtout de lâcheté, vont tout faire pour se débarrasser de ce représentant encombrant de l’ancien temps qui sait trop de choses sur trop de monde. Après de multiples échecs, les habitants vont devoir se résoudre à faire le sale boulot eux-mêmes en criblant de balles leur shérif.

Mais les derniers westerns de John Wayne sont sans doute encore plus symboliques. Le grand gaillard juvénile et gauche conduisant les pionniers vers un avenir meilleur de The Big Trail (Raoul Walsh, 1930) est devenu un vieux shérif grognon, borgne et bedonnant dans True Grit (Henry Hathaway, 1969). Il est tué aux 2/3 du film The cowboys (Mark Rydell, 1972, titré en français John Wayne et les cow-boys !!) et ce sont les jeunes adolescents qu’il a formés qui vont le venger.

The shootist de Don Siegel (1976), magnifiquement titré en français, Le Dernier des géants, met en scène la mort cinématographique et mythique de l’acteur peu avant sa mort réelle : le film ne s’ouvre-t-il pas par l’annonce de la mort de Victoria, symbole de toute une époque ? Hommage à John Ford, Wayne arbore moustache et mouche comme dans Rio Grande. James Stewart, John Carradine et Richard Boone l’entourent pour cette ultime prestation sous le regard émerveillé de la jeune génération incarnée par Ron Howard.

Sergio Leone et le western spaghetti

.          Les Italiens étant les rois européens de la contrefaçon cinématographique ne pouvaient manquer de se pencher sur le western. Sergio Leone devait commencer de façon curieuse en plagiant sans vergogne un film de Kurosawa. Le Garde du corps, chambara avec Toshiro Mifune (1961), devint, à peine modifié, Pour une poignée de dollars (1965) avec Clint Eastwood. Le maître japonais avait, il est vrai, placé son film sous le signe du western.

Leone ne se contentait pas de copier une bonne histoire, qui développait l’idée d’un relativisme moral, il devait largement s’inspirer du style kurosawien qui opposait de longs moments contemplatifs à des explosions de violence sauvage.

Il était une fois dans l’ouest (1968), dont le titre traduisait toute l’ambition, croisait deux thèmes classiques du western, la vengeance et l’avancée inéluctable de la civilisation, dans le décor majestueux de Monument Valley, car c’est bien de décor qu’il s’agissait. Dans Le bon, la brute et le truand (1966), le décor était fourni par la Guerre civile dont des épisodes guerriers étaient placés de façon fantaisiste dans le sud-ouest.

Les longues scènes purement statiques soutenues par la musique, avec les fameux très gros plans sur les yeux, généralement bleus, des personnages, soulignent la dimension opératique, et donc profondément italienne, de la mise en scène chez Leone. L’affrontement final dans Le Bon, la Brute et le Truand en est le meilleur témoignage.

À la différence d’un western classique comme Winchester 73 (Anthony Mann, 1950), par exemple, ancré dans un cadre historique très précis (le centenaire de l’Indépendance, Little Big Horn) et où la quête du héros s’inscrivait dans un itinéraire géographique non moins cohérent (de Dodge City à Tascosa), l’Ouest chez Leone est un espace purement exotique. Il peint l’Ouest comme Bizet l’île de Ceylan dans Les pêcheurs de perles ou Delibes l’Inde dans Lakmé, d’où l’importance primordiale de la musique d’Ennio Morricone, élément clé de la réussite de ces films.

La guerre civile américaine, au cœur de l’histoire américaine comme la nouvelle « Naissance d’une nation » (titre du célèbre film de Griffith, 1915), est dépourvue de signification pour des Européens. Leone ne pense pas à Gettysburgh quand il peint l’extraordinaire séquence du pont, mais à Caporetto. C’est l’ombre des deux guerres mondiales qui plane sur Le Bon, la Brute et le Truand, introduisant une réflexion, certes intéressante, mais qui n’a plus rien à voir avec celle du western classique.

La gratuité et l’arbitraire des situations, l’irréalisme profond des scènes d’affrontement, qui devait sombrer dans la surenchère et le n’importe quoi chez ces épigones, le séparent fondamentalement du western classique : dans ce dernier, le héros a beau être plus fort que ses adversaires (sinon, il ne serait pas le héros), il est néanmoins un être humain avec ces limites et ses faiblesses, non cette figure impassible et surhumaine dessinée par Clint Eastwood et repris jusqu’à l’épuisement parodique par la suite dans tant de productions italiennes.

Phil Hardy, dans sa bible sur le western, souligne que le western spaghetti repose sur une formule très stéréotypée combinant film d’espionnage et péplum qu’il résume par la formule : James Bond + Hercule = l’Homme sans nom.

Les westerns spaghettis, tournés en Espagne (si l’on excepte Il était une fois), avec des acteurs italiens, espagnols et français ou des acteurs américains, souvent de troisième ordre (Lee Van Cleef), mettent en scène des archétypes (les Django, Sabata et autres héros anonymes) dans un Sud-Ouest très mexicanisé, voient se multiplier avalanches de cadavres, jets d’hémoglobines et très vite tournent à la parodie, au point qu’un Terence Hill fera carrière sur ce seul registre.

Les seuls westerns italiens qui délivrent un message le font dans une approche antilibérale. Venant de l’extrême gauche, les réalisateurs projettent sur leurs histoires, situées dans un Mexique de convention, leurs fantasmes tiers-mondistes : Tomas Milian, acteur d’origine cubaine, barbu, éventuellement coiffé du béret, est un Che Guevara prolétarisé et idéalisé, dans une optique révolutionnaire qui annonce le crépuscule des Gringos.

La spaghettisation du western américain, vérification de la loi de Gresham

.          Les westerns américains, de plus en plus souvent tournés en Espagne, vont adopter notamment la surenchère de violence : l’exemple le plus réussi étant sans doute La Horde sauvage de Peckinpah, cinéaste original mais à la narration ordinairement confuse, dont le film s’achève dans un massacre généralisé.

L’exemple le plus ridicule de ces westerns spaghettisés est donné par L’or de McKenna (Jack Lee Thompson, 1969). Le scénario pourrait d’ailleurs être étudié avec profit dans les écoles de cinéma comme l’exemple de ce qu’il ne faut surtout pas faire : interminable introduction verbeuse, improbable commentaire en voix off qui essaie de nous faire comprendre ce qui se passe, accumulation de personnages dont on ne sait quoi faire et que l’on fait tuer en masse un quart d’heure plus tard, apparition et disparition aléatoire des Apaches et de la cavalerie, final d’une bêtise rarement atteinte. À moins que le film n’ait servi à financer l’hospice des vieux acteurs hollywoodiens, on ne comprend guère l’intérêt de rassembler Burgess Meredith, Lee J. Cobb, Edward G. Robinson pour les réduire à la condition de figurants hagards.

Ainsi était vérifiée une fois de plus la loi de Gresham : la mauvaise monnaie chasse la bonne.

Mais le western spaghetti n’a eu un effet délétère que dans la mesure où le western américain était moribond. Pas plus que les barbares n’ont détruit Rome, les Italiens n’ont détruit le western américain. En fait, la fin des années 60 voit la mort du système traditionnel des studios. La télévision contribuait à faire disparaître la série B dont Audie Murphy fut la dernière star. La production de masse laissait désormais la place à un nombre de films plus coûteux et moins nombreux. Le western, genre identifié à la série B, migrait donc essentiellement vers le nouveau média où se multipliaient les séries dans lesquelles seconds rôles vieillissants (Ward Bond) et petits jeunes ambitieux (Steve McQueen) se côtoyaient. Les goûts du public des salles obscures, désormais majoritairement juvénile, avaient changé : le western paraissait ringard tandis que montaient en puissance le film policier, le film d’horreur et la science-fiction. La disparition du Code Hays, qui avait longtemps édulcoré la représentation de la violence à l’écran, a joué aussi son rôle.

Et Clint Eastwood vint

.          Le principal titre de gloire de Leone est peut-être d’avoir lancé la carrière de Eastwood. Il appartenait à cette nouvelle génération venue au cinéma par la télévision. Clint Eastwood avait été le héros d’une série TV western, Rawhide (1959) avant d’être appelé par Leone. Sa carrière américaine était lancée et il devait être le dernier acteur de premier plan associé au western, genre auquel il est resté fidèle jusqu’à une date avancée.

L’acteur va vite se faire réalisateur. Si les westerns d’Eastwood subissent l’influence du western spaghetti et du western révisionniste, ils s’inscrivent de nouveau fermement dans une mythologie américaine. The Outlaw Josey Wales est peut-être le plus représentatif : tourné la même année que le dernier western de John Wayne, il ne respire ni la nostalgie ni la dérision.

L’histoire commence au Missouri et s’achève au Texas, pendant et après la guerre civile, la géographie et l’histoire imprimant leur marque à l’action. Paisible fermier, Wales voit sa ferme brûlée, sa femme et son fils tués, lui-même laissé pour mort par les Redlegs du Kansas, francs-tireurs pillards qui se réclament de l’Union. Il s’engage dans la sinistre milice d’Anderson dit Bloody Bill qui joue le même rôle pour le compte de la Confédération. Avec la défaite du Sud, Josey Wales refuse de se soumettre, début d’une longue errance.

S’il reprend la figure taciturne et invincible de sa période italienne, Josey Wales appartient cependant à la tradition westernienne : héros individualiste qui refuse de se soumettre, ne vivant plus que pour la vengeance, il finit par trouver l’amitié et l’amour avec une fille de l’autre camp après une longue quête sanglante. Le monde politique est présenté sous un angle peu ragoûtant au travers du personnage de l’ignoble sénateur qui fait massacrer les francs-tireurs du Missouri, du drolatique récit du voyage de Lone Watie à Washington ou du dialogue entre Wales et le chef indien.

Le héros s’entend mieux avec les Indiens qu’avec les Blancs : il tue beaucoup tout au long du film mais aucun peau-rouge ne figure dans le nombre. Chief Dan George campe, par ailleurs, la pittoresque figure d’un indien civilisé qui apporte une note comique dans un film assez sombre. La petite communauté qui se constitue à la fin du film mêlant jeunes et vieux, Blancs, Indiens et Mexicains, marque enfin le triomphe de la vie sur la mort. La solitude du héros était le fruit des circonstances et, sans l’avoir cherché mais sans la refuser non plus, il finit par accepter la compagnie de ceux qu’il a sauvés et qui l’aident à leur tour dans le règlement de comptes final.

Le western serait-il du genre féminin ?

 

.          En dépit de l’imagerie virile associée au western, ce genre donne souvent la part belle au deuxième sexe. Le western féminin n’est pas une vue de l’esprit.

Les deux antagonistes sont face à face, l’arme au poing, prêts à faire feu. Le gunfight final, indispensable à tout western. Seulement il s’agit ici non de rudes cow-boys mais de deux femmes. Cette séquence ne sort pas d’un obscur nanar mais d’un classique du western, Johnny Guitar (1954) de Nicholas Ray. En dépit de l’imagerie virile associée au western, ce genre donne souvent la part belle au deuxième sexe. Le western féminin n’est pas une vue de l’esprit.

Dans Red River (La rivière rouge) d’Howard Hawks n’est-ce pas la douce héroïne qui vient, à coups de revolver, calmer l’humeur belliqueuse de John Wayne et Montgomery Clift se battant comme des chiffonniers ? Histoire de rappeler sans doute que le plus souvent le caleçon s’incline devant le jupon. Le western serait-il donc du genre féminin ?

Voici en tout cas un libre parcours dans l’univers du western classique.

Fiancée, épouse ou mère, la destinée de la femme dans le western ?

.          Chez John Ford, le grand maître du western, la femme est, à n’en pas douter, cantonnée à son rôle traditionnel. Pilier de la communauté mais pilier discret, elle est indispensable au bal, ce moment réconciliateur. Jeune fille, elle tourne la tête des jeunes officiers (She wore a yellow ribbon, La charge héroïque, 1949), épouse, elle regarde les hommes partir se battre ou revenir du combat. Elle assure avant tout la douceur du foyer, douceur interdite à Ethan, le héros solitaire qui ne fait que passer (The Searchers, La Prisonnière du désert, 1956).

Cette vision n’est pas propre à Ford. Ainsi apparait-elle également sous les traits de Kati Jurado (Broken Lance, La lance brisée, 1954, Edward Dmytryk) ou de Lilian Gish (Unforgiven, Le Vent de la Plaine, 1960, John Huston). Elle est la mère vénérée. Les épouses ou fiancées sont souvent encore plus effacées. Elles se tiennent toujours à l’arrière-plan même si elles motivent les actions des protagonistes.

La femme peut se voir ainsi comme accessoire, moins importante qu’un cheval selon l’interprétation délirante donnée au sujet par Jean-Louis Bory. Le western confirmerait son statut de genre macho et misogyne décrit par tant de critiques qui redécouvrent la lune tous les six mois. Les choses ne sont pas si simples.

Entraîneuse ou institutrice ?

.          Il y a deux métiers possibles pour une femme dans l’Ouest fait remarquer tante Abigail (Frontier Gal, La Taverne du Cheval Rouge, Charles Lamont, 1945) : l’un respectable, institutrice, l’autre non respectable, entraîneuse de saloon. Le héros, le fade Rod Cameron, est partagé entre la blonde et insignifiante institutrice et la brune et volcanique Lorena Dumont (Yvonne de Carlo). Le scénario s’inspire de La Mégère apprivoisée : le mariage de Johnny et Lena étant suivi d’affrontements où la moindre porcelaine sert de projectile à l’irascible épouse.

Au début de Winchester 73, l’entraineuse est expulsée de Dodge City par Wyatt Earp à la demande des dames respectables de la cité. Ce personnage, véritable cliché westernien, se retrouve chez Ford (Stagecoach) comme chez Preminger (Rivière sans retour avec Marylin Monroe). La prostituée au grand cœur aidant l’accouchement de la respectable épouse ou s’occupant du jeune orphelin est la figure féminine par excellence du western. Duel dans la boue (These Thousand Hills, Richard Fleischer, 1959), voit Callie, l’entraîneuse amoureuse sans espoir, contribuer à l’ascension sociale de l’ambition cow-boy Lat Evans (Don Murray).

Le Code Hays s’effaçant, l’entraîneuse se transforme plus explicitement en patronne de bordel. Le shériff vieillissant de Dead of a Gunfighter (Une poignée de plomb, 1969) de Don Siegel ne vit-il pas avec une dame exerçant cette ancienne profession ? Le fait qu’elle soit noire de surcroît n’améliore pas la faible cote de popularité du héros.

Les comédiennes

.          Les comédiennes sont des personnages proches, par leur mauvaise réputation, des entraîneuses. Lily Langtry, comme le savent tous les lecteurs de Lucky Luke, fit fantasmer le fameux juge Roy Bean. Elle n’est d’ailleurs guère plus qu’un fantasme dans les westerns. Chez Wyler (The Westerner, 1940), elle le conduit à sa perte et à la mort. Dans le film de John Huston, le juge se contente de couvrir les murs des affiches de sa bien-aimée dont il suit la carrière par la lecture du New York Times.

Une autre fameuse comédienne peut être signalée. Lola Montes (Yvonne de Carlo), en tournée dans l’ouest, s’arrête à Sacramento. Elle fascine le distingué Black Bart de George Sherman (1948), interprété par Dan Duryea. Il n’hésite pas à coiffer le haut de forme pour montrer qu’il est homme du monde, du moins quand il ne dévalise pas les diligences.

Mais à côté de ses figures historiques, évoquons un personnage de fiction mais dont Sofia Loren donne une interprétation toute charnelle. La diablesse en collant rose de George Cukor (Heller in pink tights, 1960) suit ainsi une petite troupe itinérante dans l’Ouest. Le film, mêlant la comédie au western, est entièrement centrée sur son personnage féminin.

Des personnages à part entière

.          Raoul Walsh, cinéaste viril associé au film d’aventures, a toujours réservé une place de choix à ses personnages féminins. Dans Colorado Territory (La Fille du désert, 1949), le hors-la-loi Wes McQueen (Joel McCrea) s’illusionne un moment en espérant connaître l’amour avec une jeune fille bien sous tout rapport. Mais il va trouver son destin avec Colorado (Virginia Mayo) en qui il reconnaît la partenaire absolue. Superbe avec sa chevelure débordante, son corsage qui découvre une épaule nue, elle n’est pas simplement un fantasme masculin. Refusant de trahir celui qu’elle aime, elle crache au visage du shériff et tombe, l’arme à la main, criblée de balles. Le plan des mains enlacées des deux amants dans le sable du désert conclut ce western flamboyant.

Duel in the Sun (1946) de King Vidor, mais davantage de son producteur David O. Selznick, offre par son célèbre final des éléments de comparaison. Pearl (Jennifer Jones), objet du désir, porte malheur à tous les hommes qui l’entourent. Ce western baroque ou kitsch, question de point de vue, tourne autour des rapports tourmentés de son héroïne avec les autres. Elle finit par tirer sur le vil Lewt (Gregory Peck) mais, agonisante, rampe pour mourir à ses côtés.

Des westerns féminins

.          Convoi de femmes (Westward the Women, 1951) de Wellman a innové en son temps. En compagnie de son boss, un vieil homme, et d’un cuisinier japonais minuscule, Robert Taylor doit convoyer 150 femmes jusqu’à une vallée californienne peuplée uniquement d’hommes. Le film s’inscrit dans la tradition du convoi de pionniers. Il n’y manque ni la descente de chariot le long d’une pente raide à l’aide d’un treuil, ni l’orage torrentiel, ni la traversée du désert. Mais l’attaque indienne est habilement éludée : après une première tentative qui tourne court, les Indiens attendent que le héros soit ailleurs pour faire leur seconde tentative. Occupé à rattraper une Française qui s’est enfuie et ne lui est pas indifférent, il revient trop tard et découvre, impuissant, les résultats du combat.

Ce sont donc avant tout les forces de la nature que doivent affronter ces femmes qui se dépouillent peu à peu de leurs « froufrous » féminins pour adopter une allure toujours plus masculine. Elles sont amenées à conduire les attelages, encadrer le troupeau, faire le coup de feu. À ce jeu, l’impressionnante Hope Emerson dépasse tout le monde d’une tête. Vers la fin du film, une petite troupe de cavaliers résolus se dirige vers R. Taylor qui conduit une voiture pleine de tissus. Aussitôt ces rudes cowboys se rappellent de leur « sexe ». Ils se métamorphosent en femmes se disputant les chiffons comme au premier jour des soldes.

Le thème est repris en mineur par The Guns of Fort Petticoat (Le fort de la dernière chance, 1957) de George Marshall avec Audie Murphy. Officier déserteur, il entraine des Texanes pour résister à une révolte indienne alors que les hommes sont à la guerre : nous sommes à la fin de la Guerre civile en 1864.

Une autre variation constitue le sujet de The Secret of Convict Lake (L’énigme du lac noir, Michael Gordon, 1951). Un groupe de femmes se trouvent confronté à des bagnards évadés. Les maris, mineurs partis extraire de l’argent, ont laissé leurs épouses et filles dans ce hameau perdu dans les montagnes du Nevada. Le groupe sous l’autorité d’une matriarche paralysée (Ethel Barrymore) devra surmonter ce défi.

Le garçon manqué ou la femme émancipée de l’Ouest

.          Dans West of the Pecos (Edward Killy, 1945), Rill (Barbara Hale), fille du colonel Lambeth, arrivant de Chicago habillée comme une dame est prise pour une entraîneuse. Elle décide donc de s’habiller en homme. Le brave Pecos (Robert Mitchum) s’imagine qu’il s’agit d’un adolescent (quelque peu troublant) dans une variation mineure du Sylvia Scarlett de Cukor.

Bref, la jeune femme prend souvent des allures de garçon manqué qui mène la vie des cowboys : Missy (El Perdido), Juanita (Manhunt), Tess (L’homme qui n’a pas d’étoile) qui dresse les chevaux. ou Tonia (Passion, 1954) qui monte à cru, manie le lasso et marque le bétail en opposition à sa sœur jumelle, tout en féminité traditionnelle.

Le personnage trouve son origine historique avec Calamity Jane. Elle sait faire claquer son fouet, instrument qui la caractérise de The Plainsman (1936) à Wild Bill (1995). Cette femme rude a souvent été incarnée par des interprètes très féminines à l’écran : Jean Arthur, Yvonne de Carlo ou Jane Russell.

Le garçon manqué, toujours connoté positivement, s’oppose systématiquement à la belle aux fanfreluches : telle la brave Dusty et la dangereuse Opale de Duel at Silver Creek (Duel sans merci, Don Siegel, 1952).

Les serpents à sonnette et les autres

.          Les femmes trop belles et trop bien habillées sont en effet rarement fiables. La capiteuse Adelaïde (Yvonne de Carlo) « dame et amie du peuple », se révèle un serpent à sonnette (The Francisco Story, 1952). Elle se déplace en calèche et vit dans une superbe maison au décor chargé et luxueux, à l’image de la créole de Iron Mistress (La maîtresse de fer, Gordon Douglas, 1952) et de l’aventurière originaire de la Nouvelle Orléans (Heddy Lamar dans Copper Canyon, John Farrow, 1950) qui porte des robes non moins somptueuses et dirige le grand établissement de divertissement de la ville.

Mais le « garçon manqué » peut se métamorphoser à tout instant en « vraie femme » : Tonia, amoureuse secrètement de Juan, revêt une robe quand celui-ci vient à l’hacienda du grand propriétaire ; Tess revêt une robe pour servir à table les invités de son père ; Missy utilise la robe des 16 ans de sa mère et Juanita revêt également une robe à la fin de Manhunt (La Fureur des hommes, Henry Hathaway, 1958) pour exprimer son amour pour Lohman (Don Murray) qui va enfin décider de cesser de fuir.

Barbara Stanwyck, reine de la Prairie

.          Barbara Stanwyck est sans doute la plus remarquable interprète du western classique. Elle campe des femmes fortes, portant aussi bien la robe que le pantalon (la Reine de la prairie, Cattle Queen of Montana, Allan Dwan 1954). Elle est capable tout autant d’abattre un homme (McCord dans le même film) ou de mener un ranch (Les Quarante tueurs, Forty Guns de Samuel Fuller, 1957). Il faut la voir, vêtue de noir, chevauchant à la tête de quarante mâles redoutables mais soumis à son pouvoir. La baronne du bétail, figure assez fréquente dans les westerns classiques, manifeste toujours une énergie toute virile.

Femme de caractère, elle reste femme néanmoins : elle se baigne au moment de sa rencontre avec Ronald Reagan (Cattle Queen). Le caractère érotique de cet équipement hygiénique n’est plus à démontrer. Elle est celle que tous désirent dans le film de Fuller mais que nul ne peut dompter.

Elle incarne également une autre figure féminine de l’ouest : la femme blanche devenue paria pour avoir partagé la couche d’un indien. Squaw du dangereux Nanchez, elle suscite le mépris des honnêtes gens dans Femme d’Apache (Trooper Hook) de Charles Marquis Warren (1957). Une femme blanche ne doit pas tomber vivante entre les mains des Indiens. Le héros prévenant lui remet d’ailleurs une arme au cas où (Winchester 73, Last of the Comanches). Mais Cora est un personnage résolu à vivre à n’importe quelle condition tout en étant déterminée à ne pas abandonner son fils né de son « union » avec le chef apache. Barbara Stanwyck ici retrouve son ancien partenaire d’Union Pacific, Joël Mc Crea en sous-officier vieillissant et compréhensif.

Le dernier mot reste au personnage féminin

.          J’avais évoqué Red River en introduction. Les femmes interviennent souvent à la fin des récits pour dénouer la situation. Même Amy (Grace Kelly) toute quakeresse qu’elle est, encore vêtue de sa robe de noces, décroche un fusil et sauve son mari (Gary Cooper) en abattant un des criminels (High Noon, Le Train sifflera trois fois, Fred Zinnemann, 1952).

Dans Heaven with a gun (Au paradis à coups de revolvers, 1959) de Lee H. Katzin, ce sont les femmes qui vont obliger éleveurs de bovins et éleveurs de moutons à cesser leur conflit. Sans leur assistance, jamais l’ancien gunfighter devenu preacher (Glenn Ford) ne serait parvenu à ses fins. Les hommes peuvent fanfaronner, ce sont bien ces dames qui ont le dernier mot. Une vision attentive de nombreux westerns classiques devrait convaincre les plus sceptiques.

Les exemples pourraient être multipliés sans épuiser le sujet. La femme révèle bien des surprises dans l’univers westernien de l’âge classique.

L’Indien, une figure ambivalente du western

 

.          La peinture plutôt négative que le cinéma a faite de l’Indien se modifie dans les années 50 avec des westerns pro-Indiens. Panorama du genre.

.          Si le terme amérindien ou Native American s’est imposé pour désigner les populations occupant l’actuel territoire des États-Unis avant l’arrivée de l’homme blanc, dans le western, le « sauvage » est l’Indien. Dans sa marche vers l’ouest pour faire reculer la frontière, le pionnier se heurte sans cesse aux Indiens.

Pour les enfants pendant des décennies, le western était un genre mettant en scène des « cowboys » et des « indiens ». Pour les adultes, le western présente la conquête d’un espace, conquête qui passe par la disparition de peuples et de modes de vie. Dans l’accomplissement de la Destinée Manifeste (selon laquelle la nation américaine avait pour mission divine de répandre la démocratie et la civilisation vers l’Ouest), l’Indien est la victime. Bon ou mauvais, il est voué à s’effacer.

Obstacle à la marche irrésistible de la civilisation, l’Indien est-il montré comme un sauvage féroce et assoiffé de sang ? On attribue au général Sheridan la formule : « Un bon Indien est un Indien mort ». Il aurait plus exactement déclaré : « Les seuls bons Indiens que je connaisse sont morts ».

Les années 50 voient pourtant l’essor d’un grand nombre de films pro-Indiens dans le sillage de La Flèche brisée de Delmer Daves. Ces westerns seraient en rupture avec une peinture négative dominante dans les années 30 et 40. Qu’en est-il exactement ?

La flèche brisée : enfin Delmer Daves vint ?

.          La Flèche brisée (Broken Arrow) a été un film événement en 1950. Le film, comme la plupart des bons westerns, repose sur des faits historiques. Au lendemain de la guerre civile, Tom Jeffords (James Stewart) devenu responsable des postes de l’Arizona cherche à joindre le chef Cochise (Jeff Chandler) pour assurer la sécurité des courriers. Une relation amicale s’établit entre les deux hommes. Un traité négocié par le général Howard va permettre aux Apaches Chiricahuas d’obtenir un territoire garanti par le gouvernement américain.

Une idylle amoureuse se noue parallèlement entre Jeffords et une jeune Apache, Sonseehray (Debra Paget). Cette relation débouche sur un mariage mais la jeune femme est victime des Blancs. Ce rapprochement suscite en effet bien des oppositions. Les Blancs de Tucson voient dans les Indiens des sauvages sanguinaires. Au sein de son peuple, Cochise se heurte à l’hostilité d’un Geronimo.

Delmer Daves, qui connaissait bien les Pueblos et les Apaches, s’attache à montrer le mode de vie et les rites de la communauté apache. Le point de vue vise ainsi à faire de l’Apache un être humain aux yeux du spectateur. Mais il montre aussi la supériorité de la « civilisation ». En brisant la flèche pour accepter le traité, Cochise renonce au « langage des flèches » au profit du « langage des papiers » pour reprendre l’analyse de Philippe Sabot.

Le succès du film va susciter une véritable mode dans les années 50.

La trilogie de Cochise

.          Une trilogie de Cochise se constitue avec Au mépris des lois (Battle at Apache Pass) de Sherman (1952) puis Taza, son of Cochise de Douglas Sirk (1954, tourné en 3 D). Apache Pass se situe une dizaine d’année avant Broken Arrow, au début de la Guerre Civile, tandis que Taza s’ouvre sur la mort de Cochise en 1875, avec une brève apparition de Jeff Chandler non crédité au générique.

Apache Pass démarque sans vergogne Fort Apache de John Ford dans plusieurs séquences. Néanmoins la mise en scène de Sherman utilise bien les décors naturels, notamment dans la bataille qui donne son titre au film. Le film s’inspire de l’affaire Bascom qui a déclenché une guerre de 25 ans entre Apaches et Américains.

Cet officier avait arrêté Cochise le 5 février 1861 à la suite de l’enlèvement d’un jeune garçon. Le chef apache réussit à s’évader et les otages pris de part et d’autre (dont le frère et les neveux de Cochise) sont exécutés. La scène ne manque pas d’intensité dans le film. L’otage blanc est entraîné et meurt hors champ, les Indiens sont pendus mais on ne voit que l’ombre des corps oscillant dans le vide.

Les 15 et 16 juillet 1862, et non quelques jours après comme peut le faire penser le film, a lieu un affrontement lié à l’origine à la Guerre Civile. Une colonne de l’armée nordiste s’apprêtait à passer d’Arizona au Nouveau-Mexique pour éliminer toute présence confédérée. Une avant-garde, composée essentiellement de fantassins avec quelques cavaliers et deux pièces d’artillerie avec chariots et train de mules est attaquée dans Apache Pass par 500 guerriers apaches. Dans le film, seule la cavalerie joue un rôle. Mais les canons des Blancs montrent leur supériorité technique et effraient les Apaches.

Si Apache Pass s’appuyait sur des faits historiques, Taza est beaucoup plus fantaisiste et reprend le schéma des films précédents. Le fils de Cochise tente de maintenir la paix et se heurte à Geronimo mais aussi à son propre frère, Naiche. Néanmoins, avec le temps, la situation des Apaches s’est dégradée. Ils sont désormais contraints de vivre dans la réserve de San Carlos et de dépendre de l’assistanat des Blancs. La mise en scène de Sirk et l’interprétation de Rock Hudson et Barbara Rush sauvent néanmoins le film de la banalité.

Les westerns pro-indiens de Universal

.          Broken Arrow a inspiré d’autres films dont de nombreux westerns Universal dirigé par George Sherman. L’assez médiocre Comanche Territory (1950), série B poussive située à une époque plus ancienne, où Jim Bowie, égaré à l’Ouest et joué par l’insignifiant Macdonald Carey, s’efforce de maintenir la paix entre Blancs et Indiens en dépit des machinations d’un Blanc perfide.

Le même réalisateur récidive avec le tout aussi peu exaltant Comanche (1956) où Quanah Parker en sage leader, l’éclaireur Jim Read, le général Miles et Nuage Noir remplissent la même fonction dramatique que Cochise, Tom Jeffords, Howard et Geronimo dans Broken Arrow. Le format scope et quelques scènes de combat rachètent mal une interprétation très fade et une reconstitution approximative. Le poupin Ken Smith avec sa coiffure de bison bat tous les records de ridicule.

Tomahawk est plus inspiré, en raison aussi d’une interprétation plus convaincante : Jim Bridger (Van Heflin) cherche à venger le meurtre de son épouse cheyenne et de son enfant lors du massacre de Sand Creek. Il tente aussi de maintenir la paix entre les Sioux de Nuage Rouge et la cavalerie au moment de la mise en place de la piste Bozeman suite au traité de Laramie. Le début du film donne à entendre le point de vue des Indiens : Bridger rappelle tous les traités signés et bafoués par les Blancs refoulant chaque fois les Indiens plus à l’Ouest. Le chef Nuage Rouge y est exceptionnellement interprété par un acteur amérindien (John War Eagle).

Des biopics mettant en scène des chefs indiens

.          Dans cette veine pro-Indienne, plusieurs chefs historiques vont faire l’objet de biopics. Dans Conquest of Cochise (1953), John Hodiak reprend le rôle de Chandler. Cochise y apparaît comme un chef soucieux de paix mais qui souligne combien la volonté du peuple peut être plus forte que la volonté de son chef.

L’infatigable George Sherman s’attelle à un Crazy Horse (1955) avec Victor Mature. Little Big Horn est écarté au profit des succès remportés par le chef sioux contre Fetterman (reprenant une séquence de Tomahawk) et Crook (sur les bords de la Rosebud).

Sitting Bull de Sidney Salkow (1954), médiocre production indépendante, repose sur l’opposition entre le sage et pacifique leader (J. Caroll Naish) et un Crazy Horse (Iron Eyes Cody) belliciste. Dans une séquence ahurissante, le président Grant vient en personne dans l’Ouest pour discuter la paix avec Sitting Bull.

La transformation de l’image de l’Indien avec Geronimo

.          Même Geronimo, longtemps figure de l’Indien aussi sanguinaire qu’habile, voit son image se transformer. Le ton change dès 1952 avec Les derniers jours de la nation apache (Indian Uprising) de Ray Nazarro, où les Apaches sont montrés comme victime de l’avidité des Blancs : on y voit le premier Geronimo sympathique.

En 1962, avec Geronimo d’Arnold Laven, le chef est vraiment le héros de l’histoire mais il est interprété par Chuck Connors, confirmant l’obstination des producteurs à confier les rôles d’Indiens à des acteurs aux yeux bleus : il est vrai que le petit budget de ce western de série ne devait pas permettre d’acheter des lentilles.

Remarquablement peu manichéen, le film présente un conflit de deux mondes antagonistes où chacun a ses raisons. Il met en lumière, quoique de façon assez fantaisiste, la fameuse guerre menée par Geronimo avec une poignée de guerriers où il mit en échec le général Crook.

Un schéma sans cesse répété

.          Le médiocre Brave Warrior (1952) de Spencer Gordon Bennet se situe en Indiana au moment de la guerre de 1812, les Shawnees étant sollicités par les Britanniques et les Américains se disputant le territoire. Le chef Shawnee, Tecumseh2 s’efforce de préserver la paix avec le gouverneur Harrison qui siège à Vincennes.

Le chef propose de faire appel à Steve Ruddel, agent du président Madison qui s’efforce de mettre hors d’état de nuire les agents britanniques : le film, très vaguement inspiré d’événements historiques, reprend le schéma classique du Blanc dévoué à la paix en dépit des manœuvres de méchants Anglais et Indiens. Le propre frère du chef, le « prophète », est borgne pour que sa vilenie ne fasse aucun doute. Tecumseh est partisan des États-Unis et de l’assimilation des Indiens mais il aime en vain l’héroïne qui lui préfère le fade Ruddel. La bataille de Tippecanoe est filmée avec l’habituelle désinvolture du cinéma pour les événements historiques.

Amitiés entre Indiens et Blancs

.          D’autres westerns développent une image positive des Indiens et insistent sur des relations d’amitié entre Blancs et Rouges. Dans New Mexico (1951) de Irving Reis, le capitaine Hunt (Lew Ayres) s’efforce d’empêcher la guerre d’éclater. Le chef Acona (Ted de Corsia) est poussé au conflit par les intrigues d’un colonel corrompu et d’un juge ambitieux.

Battles of Chief Pontiac (1952) de Felix E. Feist, petite production, où l’éclaireur Kent McIntire (Lex Barker) noue amitié avec le chef des Ottawa (Lon Chaney Jr) et s’efforce de déjouer les ambitions d’un officier hessois, le colonel von Weber3 au service de la couronne d’Angleterre. Dans ce film, très inspiré des romans de Fenimore Cooper, les Indiens sont traités avec beaucoup de respect.

Le film utilise l’incident des couvertures infectées de variole, une idée émise par un général britannique pour se débarrasser des Delaware à Fort Pitt. Elle est ici attribuée au sinistre Teuton et transposée aux Ottawa de Fort Detroit. Les Indiens en couvrent von Weber qui attrape la petite vérole. Si les « tuniques rouges » doivent se résigner à négocier la paix, Pontiac dans un discours prophétique, pressent la disparition future de son peuple.

Diables rouges et Indiens christianisés

.          L’étrange Pillars of the Sky (Les piliers du ciel) de George Marshall (1956), souffre d’un scénario inégal avec un triangle amoureux qui n’ajoute rien à l’histoire mais plombe la narration. Il met en scène un missionnaire médecin Joseph Holden (Ward Bond) et un sergent Emmet Bell (Jeff Chandler), qui vivent en paix avec les tribus évangélisées (Cœurs d’Alène, Nez percés). Le gouvernement leur a concédé les terres au nord de la Snake River sur le territoire de l’Oregon. Le film bénéficie des beaux extérieurs de la région.

S’appuyant sur un article du traité signé, l’armée a décidé de construire une piste à l’intérieur de la réserve. Cette intrusion est mise à profit par Kamiakin (Michael Ansara) qui a rejeté son nom chrétien et prétend revenir aux traditions de ses ancêtres. Un des éclaireurs Indiens, Timothy (Sidney Chaplin) fait remarquer que les Indiens dépendent désormais des Blancs pour le bien comme pour le mal et qu’il ne verra pas les hommes blancs et rouges vivre côte à côte de son vivant.

La colonne du colonel ingénieur Stedlow (Willis Bouchey) est décimée et n’est sauvée de l’extermination que par le sacrifice du pasteur Holden. Blancs et Indiens se réconcilient au pied de sa dépouille. L’image de Native Americans s’agenouillant dans une église pour prier rompt de façon intéressante avec le cliché du « diable rouge ».

Un message pessimiste

.          Le Géant du Grand Nord (Yellowstone Kelly) de Gordon Douglas (1959) met en scène Luther S. Kelly (1849-1928) éclaireur de l’armée, trappeur et guide pour des missions d’exploration de la vallée de la Yellowstone.

Le film s’inscrit dans la descendance antiraciste de La Flèche brisée mais souffre d’une interprétation un peu pâle. Kelly a sauvé autrefois la vie de Gall (John Russell), devenu chef sioux mais il se heurte au bellicisme du jeune neveu de ce dernier, Sayapi (Ray Danton).

L’affrontement est provoqué par un major trop ambitieux prêt à briser le traité signé. Les Indiens sont imprévisibles, même pour eux-mêmes, déclare Kelly. Le Sioux est comme un animal sauvage qu’on ne peut apprivoiser : il tombe malade, meurt ou tente de s’enfuir. « Cette terre ne sourit plus à ton peuple » déclare Kelly à Gall. Le combat des Indiens est inutile : quoiqu’ils fassent, ils vont perdre leurs terres.

C’est le même message pessimiste qui imprègne Plume Blanche (White Feather) de Robert D. Webb (1955), western un peu languissant et presque dépourvu d’action, sur un scénario de Delmer Daves, qui se situe au Wyoming en 1877. Il reprend la thématique de l’amitié entre un Blanc et un Indien et d’une relation amoureuse inter-raciale.

Mais le ton a changé. Le temps des Cheyennes est passé, constate mélancolique le chef Broken Hand (Eduard Franz) qui finit par signer le traité qui déporte les Indiens des Plaines (Sioux, Arapahos, Crows, Cheyennes) vers le Sud. Ne pouvant l’accepter, le fils du chef Little Dog (Jeffrey Hunter), avec son ami American Horse, défie la cavalerie. Les deux jeunes guerriers se font tuer en chargeant seuls tout un régiment. Le géomètre Tanner (Robert Wagner) se livre à des rites funéraires pour son ami Little Dog, symbole de la disparition annoncée des Indiens.

Mais tous ces films des années 50 et du début des années 60 ne présentent pas une image si nouvelle que cela. En réalité, l’image de l’Indien n’a jamais cessé d’être ambivalente.

Des films tous construits sur le même schéma

.          Les films des années 50 reposent sur un schéma narratif qui se répète. Deux types d’Indiens s’opposent, l’un gentil, l’autre méchant. L’un veut la paix et l’autre la guerre. L’un est prêt à s’entendre avec les Blancs, l’autre s’y refuse absolument. Dans La Reine de la Prairie, qui met en scène des Pieds-Noirs, deux chefs indiens s’opposent classiquement : le méchant (Anthony Caruso) parle « petit indien », le gentil Colorados, qui est allé à l’Université, a vécu avec les Blancs.

Du côté des pionniers, la situation est la même. Beaucoup de Blancs se révèlent hostiles à l’égard des Indiens vus comme des sauvages sanguinaires. La responsabilité du conflit est souvent due à un ou des Blancs. Le trappeur Zeb (The Big Sky) remarque à propos du Blanc : « ce qu’il lui plait, il le prend, comment les Indiens nous aimeraient-ils ? »

Dans La Reine de la Prairie, McCord (Gene Evans), qui rêve de contrôler toute la vallée, leur livre des armes et incite une partie des Indiens à attaquer les Blancs. Dans Warpath, œuvre nullement pro-indienne, un chef de convoi lâche et raciste propose de brûler un village indien et d’exterminer femmes et enfants. Il n’hésite pas à abattre un jeune garçon et sa mère. C’est le massacre de femmes et d’enfants par des Blancs qui poussent les Apaches, à anéantir en représailles un convoi de pionniers dans The Last Wagon.

Mais un héros blanc va jouer un rôle de pacificateur et d’intermédiaire entre les deux mondes. Il va nouer une relation amicale avec un chef indien et éventuellement une relation amoureuse avec une indienne. La plupart du temps cette union interraciale va mal finir : l’Indienne se fait tuer. Cette mort sacrificielle joue souvent un rôle dans la réconciliation finale. Le happy end de ces nombreux westerns masque une triste réalité. Les Indiens sont malgré tout refoulés toujours plus loin et parqués dans des réserves.

L’Indien, noble sauvage dans les premiers temps du western

.          Le cinéma muet, premier âge d’or du western, a souvent représenté l’Indien d’une manière positive. Dans les premiers westerns des années 1910-1912 le noble Indien est le héros plutôt que le cow-boy. Chez Griffith, l’Indien est par nature loyal : seuls 8 de ses 30 films mettant en scène des Indiens leur font jouer un rôle de méchant.

Le thème de l’union interraciale a été traité par de nombreux cinéastes, notamment avec The Squaw Man (pièce adaptée trois fois au cinéma) dont l’histoire évoque celle de Madame Butterfly : abandonnée par l’homme blanc qui lui a fait un enfant, la femme se suicide. Dès 1910-1911 se pose la question de l’interprétation des personnages indiens et de l’exactitude de la représentation des Indiens. Moving Picture World souligne en 1910 que les acteurs doivent être de vrais Indiens.

De son côté, Thomas Ince devait réaliser avec des Sioux Oglala de la réserve de Pine Ridge (Dakota du Sud) plus de 80 westerns à deux bobines entre 1912 et 1917. Dans la lignée de Fenimore Cooper, les films de Ince ont un ton élégiaque. Dans The Indian Massacre (1912), l’influence corruptrice de la civilisation perturbe la vie traditionnelle et tranquille d’un village indien. Cecil B. de Mille dans sa version de The Squaw Man (1914) souligne l’incompatibilité entre l’univers des Indiens et le monde des Blancs.

Une image dégradée des Indiens dans les années 30-40 ?

.          L’image des Indiens se dégrade dans les années 20 avec la montée en puissance des stars cowboys. The Covered Wagon (1923) ouvre la vie aux westerns à grand spectacle où les Indiens vont jouer le rôle de méchants. Le producteur Lasky avait engagé des Arapahos pour la grande attaque du convoi par les Indiens rejouant le thème des mauvais Indiens s’opposant à la conquête de l’Ouest.

Après un passage à vide du western dans les débuts du parlant qui voit triompher les cowboys chantants, le western à grand spectacle refait surface avec The Plainsman (1937) de Cecil B. DeMille qui présente une image très négative de guerriers brûlant les maisons des pionniers et massacrant les Blancs. Le même réalisateur en remet une couche dans Les Conquérants du Nouveau Monde : le chef indien n’est-il pas joué par Boris Karloff (le plus célèbre Frankenstein du cinéma)?

Mais l’idée d’une peinture négative des Indiens dans les westerns des années 30-40 doit être relativisée. Nombreux sont les bons westerns qui rompent avec cette vision. Dodge City (1939) met en scène de méchants cowboys tuant des bisons sur le territoire indien. Dans Brigham Young (1940) qui évoque les débuts du mormonisme et la migration en Utah, les Indiens sont les seuls à accueillir de façon sympathique les disciples persécutés de Joseph Smith.

Dans They Died with their Boots On (1941) les méchants ne sont pas des sauvages vicieux et peinturlurés mais les compagnies de l’Est sans scrupules. Un carton évoque une civilisation impitoyable qui anéantit l’homme rouge. Crazy Horse est un chef plein de noblesse que respecte Custer. À la veille de Little Big Horn, un officier d’origine britannique répond au général lui faisant remarquer qu’il n’est pas Américain. « Les seuls vrais Américains sont derrière cette colline avec des plumes sur la tête ».

Fort Apache de John Ford (1947) rompt avec l’imagerie simpliste présente jusque là dans son œuvre. Il oppose la muflerie du colonel Thursday à la noblesse de Cochise qui exprime de vrais griefs à l’égard de l’agent des Affaires indiennes. Tous les torts sont attribués aux Blancs dans le conflit.

William Wellman, un regard sympathique sur les Indiens

.          De même William Wellman représente-t-il les Indiens avec sympathie. Les peu nombreux westerns de ce réalisateur sous-estimé sont tous de qualité. Buffalo Bill (1944) met en scène un éclaireur ami des Indiens qui réagit violemment quand on prononce devant lui la phrase : « Un bon indien est un indien mort ». Il remarque, amer, en jetant une pièce de monnaie à l’effigie d’un Indien : « C’est le seul indien dont vous vous soyez occupé. » Héros civilisateur tragique, Cody contribue malgré lui à l’anéantissement des Cheyennes.

Au-delà du Missouri (Across the Wide Missouri, 1951) va plus loin. Remonté, raccourci et massacré par la MGM, ce film peu connu mérite le détour. Il est centré sur le couple mixte formé par le trappeur Flint Mitchell et la fille du chef des Blackfoot, Kamiah (Maria Elena Marquès). Le mariage, d’abord vu comme une bonne affaire par le chasseur de castors devient une histoire d’amour avec naissance d’un enfant. Mais l’entente entre Blancs et Indiens ne sera pas durable. Ricardo Montalban campe Iron Short, Indien fier et impressionnant, ennemi juré des Blancs.

Une représentation fantaisiste de l’Indien dans les westerns ?

.          Plusieurs critiques soulignent le caractère fantaisiste de la représentation matérielle des Indiens dans le western classique. Costumes, coiffures, armes, habitat, rien ne convient jamais. Si beaucoup de petits westerns de série B ne s’encombrent, en effet, guère de vraisemblance, il n’en va pas toujours ainsi.

Pour le reste, la représentation des Indiens n’est pas plus fantaisiste que celle des cow-boys. Dans les années 50, le western est d’ailleurs caractérisé par une certaine standardisation des costumes westerns, qui n’ont qu’un rapport lointain avec la réalité vestimentaire de l’Ouest du XIXe siècle.

De toute façon, le cinéma hollywoodien a toujours représenté les époques anciennes de façon approximative. Il suffit de regarder un film censé se dérouler dans la France de la même époque. Cela dit, il faut balayer l’argument avancé, selon lequel le western classique ne fait pas de distinction entre les nombreux peuples indigènes qui occupaient le territoire américain.

Qui sont les Indiens représentés ?

.          Les Indiens sont nettement distingués les uns des autres. Certaines tribus tiennent la vedette. Les Apaches, loin devant, puis les Sioux, les Cheyennes et les Comanches sont les plus présents.

D’autres peuples apparaissent au fil des westerns : les Kiowas (The Unforgiven ; The scalps Hunters ; Two Flag West ; Last of the Comanches ; The War Wagon ; Nevada Smith) ; les Séminoles (Seminole) ; les Arapahos (She Wore a Yellow Ribbon ; Chuka) ; les Crows (The Big Sky ; White Feather) ; les Yaquis (El Perdido), les Ute (Smoke Signal) ; les Crees (Poney Soldier) ; les Shawnees (Siege at the Red River) etc.

La plupart des westerns se situant entre 1860 et 1890, il est naturel de trouver avant tout les nations indiennes qui ont affronté les Blancs pendant cette période. Les Apaches, qui seront les derniers à se soumettre, sont logiquement privilégiés. Ils bénéficient également d’un autre atout. Beaucoup de westerns ont pour cadre le Sud-Ouest. Le désert, dont la symbolique biblique n’est plus à démontrer, a davantage la faveur des réalisateurs que les espaces plus verts du Nord-Ouest.

Comment doivent parler les Indiens ?

.          Deux types de critiques sont développés. D’un côté on s’indigne du langage « petit indien » du type : Visage Pâle, langue fourchue. Cela pourtant correspond à une réalité historique : les Indiens maîtrisaient mal la langue de leurs ennemis. De l’autre côté, les anglophones -cela touche moins les autres spectateurs-, s’étonnent qu’un Indien puisse parler un anglais sans accent et sans faute à l’image du Shoshone campé par Robert Taylor dans La Porte du Diable.

Il s’agit pourtant d’une convention qui ne gêne nullement les mêmes spectateurs quand le même acteur joue Armand Duval aux pieds de Greta Garbo dans Camille : depuis quand les Français parlent-ils anglais ? Au début de Broken Arrow comme de White Feather, un commentaire précise que pour faciliter la compréhension, les Indiens s’exprimeront en anglais.

L’idéal, bien sûr, est qu’il s’exprime dans leur langue comme dans Au-delà du Missouri. Il en va de même dans Tomahawk (1951) de George Sherman où Jim Bridger parle avec sa nièce cheyenne et avec le chef sioux Nuage Rouge dans leurs langues respectives. Une autre solution est celle adoptée par John Ford dans Fort Apache : Cochise s’exprime en espagnol pour communiquer avec les soldats.

Qui sont les acteurs qui incarnent des Indiens ?

.          À l’époque du muet, l’emploi d’Amérindiens est fréquent. Avec le parlant, le recours à des acteurs blancs devient la norme. Il n’était pas facile de trouver des Indiens authentiques sachant jouer, et le public pouvait davantage s’identifier à un personnage joué par un acteur connu.

Iron Eyes Cody, de son vrai nom Corti, était issu d’une famille d’immigrés siciliens. Il prétendait être un authentique Indien Cherokee. Mais il était marié à une authentique Indienne et père adoptif d’Amérindiens. Il a beaucoup joué les Indiens. On trouve sa présence dans plus de cent films, de Big Trail (1930) à Ernest Goes to Camp (1987) en passant par A Man Called Horse et Grayeagle ainsi que diverses séries TV. Il incarne notamment Crazy Horse dans le Sitting Bull de 1954.

Certains acteurs ont été spécialisés dans les rôles d’Indiens au début de leur carrière. Anthony Quinn, Charles Bronson, Rock Hudson ont dû porter des plumes avant d’accéder au vedettariat. Sur un registre plus mineur, Henry Brandon joue les comanches dans deux westerns en 1956 (pour John Ford et George Sherman).

Dans quelques productions ambitieuses le rôle est confié à une star. Un grand principe semble avoir guidé les producteurs et réalisateurs américains. Qu’importe la vraisemblance pourvu qu’on ait le talent. Par une fâcheuse coïncidence, les Indiens aux yeux bleus se sont ainsi multipliés sur les écrans. Robert Taylor n’avait guère le physique de l’emploi mais le blond Chuck Connors encore moins. C’est cependant le rouquin Burt Lancaster qui réussit l’exploit d’être le plus improbable des Apaches dans l’inégal mais excitant Bronco Apache de Robert Aldrich (Apache, 1954).

Le refus d’une réalité plus complexe

.          La Flèche brisée a plu par ses bons sentiments. D’autres westerns, moins optimistes, n’ont pas connu la même faveur auprès du public. La même année que le chef d’œuvre de Delmer Daves sortait La Porte du Diable (Devil’s Doorway, 1950) d’un autre maître westernien, Anthony Mann. « Le meilleur script que j’ai jamais lu » devait déclarer le metteur en scène.

Le shoshone Lance Poole (Robert Taylor) a choisi la voie de l’assimilation. Il s’est battu sous l’uniforme nordiste pendant la guerre civile, recevant la mythique médaille d’honneur du Congrès. Il s’illusionne en pensant vivre paisiblement comme un Blanc en exploitant le domaine paternel dans le Wyoming. Un avocat véreux (Louis Calhern) convoite ses terres. Un Indien n’a aucun droit, comprend-il vite. Abandonnant les habits de l’homme blanc, il redevient l’homme rouge impitoyable. Il meurt aux pieds d’un officier en ayant revêtu pour la dernière fois son ancien uniforme. Un tel dénouement, sans happy end, ne pouvait que déconcerter le public.

Un ton plus sombre

.          Delmer Daves devait lui-même reprendre, sur un ton beaucoup plus sombre, le schéma de La Flèche brisée. Comme son film précédent, L’Aigle solitaire (Drum Beat, 1954) s’inspire de faits historiques. Alan Ladd campe un Indian Fighter, Johnny McKay, proche du personnage de Jeffords.

Mais le redoutable Captain Jack, campé par Charles Bronson, offre un visage moins positif. Vaniteux et cabotin, ce Modoc collectionne les décorations militaires et les uniformes volés sur des cadavres. Il se montre violent, menteur et fourbe, rompant ainsi avec une convention qui attribue le double langage aux Blancs. L’Indien, sauvage mais non corrompu, ignore d’ordinaire l’hypocrisie dans le western.

Le film met en scène l’assassinat froidement prémédité du général Canby et du révérend Thomas venus parlementer avec les Modocs. Le tableau est néanmoins nuancé. Le chef est poussé à l’irréparable par les siens, alors qu’il hésite. La rencontre finale entre les deux antagonistes qui se serrent la main donne une certaine grandeur tragique au personnage de Captain Jack. Contrepartie positive de Bronson, Toby (Marisa Pavan) et Manok (Anthony Caruso), enfants de l’ancien chef, incarnent l’aile pacifique des Modocs. Amoureuse sans espoir de McKey, Toby est la victime sacrificielle des bellicistes.

L’Indien est-il naturellement bon ?

.          L’Indien qui a reçu une éducation occidentale est généralement représenté de façon positive. Il n’en va pas de même dans Le sorcier du Rio Grande (Harrowhead, 1953) de Charles Marquis Warren. Dans la vague des westerns bien-pensants de l’époque, le film a été accusé de racisme alors qu’il reflète simplement le point de vue de son héros.

Le personnage de Bannon (Charlton Heston) est inspiré d’un éclaireur réputé, Al Sieber (1844-1907). Éclaireur compétent, il éprouve une haine féroce à l’égard des Apaches chez lesquels il a vécu. À ses yeux, ce sont des animaux, non des humains. Pour les soldats, Bannon est l’Apache blanc.

Toriano (Jack Palance), fils du chef Chiricahua Chattez rentre de l’université indienne. Habillé en costume sombre, il retrouve son frère de sang d’enfance qui est le représentant de la Wells Fargo. Mais Toriano n’a pas coupé ses cheveux, il n’est pas devenu un Blanc.

Le gouvernement veut envoyer les Apaches en Floride et les immatricule avec un collier et une plaque. Toriano est venu pour libérer son peuple. La Terre est à nous, des cloisons nous emprisonnent. Il faut éliminer les Blancs, tuer les Grands Yeux. Tel est son message. La Danse de l’esprit lui a été donnée par des visions. L’assassinat de Johnny Gunther, frère de sang de Toriano, donne le signal des massacres.

Toriano rêve de réaliser une prophétie : l’Invincible doit venir de l’Est. Voilà pourquoi il est allé étudier chez les Blancs. Bannon réussit à pousser Toriano à un combat singulier à mains nues. En tuant le faux prophète, il met fin au soulèvement indien.

La crise du western classique : une transformation de l’image de l’Indien ?

.          Dans les années 1960 le western entre en crise. L’Indien commence à devenir de plus en plus inquiétant et insaisissable. Dans Tonnerre Apache, ils ne laissent que des cadavres sur leur passage. S’agit-il d’ailleurs de Comanches ou d’Apaches se demandent pendant la plus grande partie du film les soldats qui les traquent. Les Arapahos sont des ombres fantomatiques dans Chuka de Gordon Douglas où ils détruisent un fort avec toute sa garnison.

The Stalking Moon (L’homme sauvage, 1969) de Robert Mulligan va plus loin. Le redoutable Salvaje veut récupérer le fils né de son union avec une blanche captive, Sarah (Eva Marie Saint). Protégés par l’ancien éclaireur, Varner (Gregory Peck), Sarah et son fils trouvent refuge dans le ranch de ce dernier au Nouveau Mexique. La route du terrible Apache, que l’on ne voit pas, est parsemée de cadavres. Tel un fantôme, cet être sauvage se venge de la civilisation qui l’a refoulé. On ne voit de lui finalement qu’une main, un bras, une silhouette en contre- jour. Même lors du corps à corps final, jamais le visage de Salvaje ne nous sera montré.

Cette même thématique inspirera Chato’s Land de Michael Winner où le métis Chato (Charles Bronson), redevenu indien et rejetant sa part blanche, tue l’un après l’autre les responsables de la mort de sa femme. Mais le western classique a désormais cédé la place au western révisionniste.

Le western révisionniste a-t-il vraiment modifié l’image des Indiens ? Sa vision est-elle plus réaliste et conforme à la réalité historique ? C’est ce que nous verrons dans le dernier article consacré à l’image ambivalente de l’Indien dans le western.

Qu’on le veuille ou non, les Indiens ont été les vaincus de l’histoire. Et les westerns en ont pris acte pour s’en réjouir ou le déplorer.

Le déclin du western, la remise en cause de la Destinée manifeste, les doutes sur les fondements de la civilisation américaine contribuent à l’évolution de l’image de l’Indien. L’œuvre de John Ford, le maître incontesté du western classique, en porte témoignage. Dans Stagecoach (1939), les Indiens sont les féroces Apaches qui pillent et brûlent et constituent le danger qui plane sur les passagers de la diligence. Fort Apache (1948) marque un tournant. Cochise fait entendre la voix et les justes plaintes des Apaches.

Dans La Prisonnière du désert (The Searchers, 1956), Ethan (le meilleur rôle de John Wayne) est habité par la haine des Comanches qui ont massacré sa famille. Une longue traque commence et la peinture devient plus nuancée. Les massacres commis par les Indiens renvoient à ceux commis par les Blancs. Dans la neige, au son de Garryowen qui prend une tonalité sinistre, les cavaliers de l’armée trainent en captivité les Indiens qu’ils n’ont pas tués.

L’œuvre westernienne de Ford s’achève avec Les Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964), œuvre crépusculaire mais inégale où un sous-officier, qui a fui la Russie et ses cosaques, se demande s’il n’est pas devenu lui aussi un cosaque. La mauvaise conscience l’a emporté. Le temps est venu pour Little Big Man (1970), le film qui va détruire le western comme genre. Mais les westerns, désormais peu nombreux qui vont suivre, sont-ils si favorables aux Indiens qu’on l’a dit ? La peinture qu’ils présentent est-elle plus réaliste que dans le passé ?

Little Big Man, un western clé ?

.          Ce film est, comme La Flèche brisée, généralement considéré comme le film qui enfin cesse de montrer les Indiens comme des sauvages. Le même discours devait resservir pour Danse avec les loups. Il offre au moins l’originalité de donner un rôle important non à un personnage Indien, ce qui a toujours été pratiqué dans le western, mais à un acteur amérindien, le délicieux Chief Dan George, reprenant ainsi la tradition du muet.

Inspiré d’un roman de Thomas Berger, vision drôlatique mais nuancée de l’Ouest, le film est empreint d’un bout à l’autre d’un esprit de dérision qui n’épargne personne, Indiens compris. Le « héros » malgré lui, ce grand petit homme du titre, Jack Crabb (Dustin Hoffman, excellent) est tiraillé entre deux mondes et deux cultures. Recueilli tout jeune par les Cheyennes après le massacre de sa famille, il retrouve ensuite le monde des Blancs. Il ne va cesser d’aller et de venir entre les deux communautés sans jamais trouver sa place nulle part. Cette figure n’est pas nouvelle dans le western.

C’était le sujet même de The Savage (1952) de George Marshall (le titre français est particulièrement stupide : Le fils de Geronimo !). Orphelin suite au massacre de sa famille par les Crows, recueilli par les Sioux, Jim Ahern (Charlton Heston), a du mal à trouver sa place entre Blancs et Indiens, déchiré entre son affection pour sa famille adoptive et ses « frères de race ».

Devenu fils du chef Aigle Jaune, il reçoit le nom de Bonnet de Guerre. Sa « sœur » indienne est amoureuse de lui : « Homme de pierre, homme qui ne voit pas les femmes, homme sans amour, aveugle ! » Comme éclaireur pour l’armée, il rencontre une charmante jeune femme, sœur du lieutenant qu’il a secouru contre les Crows. Heston pose des questions dérangeantes : « Est-ce la pigmentation de la peau ? Est-ce la couleur des yeux qui fait d’un homme un Miniconju ? »

Un regard polémique et ironique

.          Une des séquences les plus fameuses de Little Big Man est l’épisode de la Washita. Crabb est revenu parmi les Cheyennes, a fondé une famille, paraît heureux. Mais il est des jours où l’herbe ne pousse pas, le vent ne souffle pas et le ciel n’est pas bleu. Dans ce froid matin d’hiver, Garryowen retentit et les cavaliers bleus se lancent à l’assaut du village endormi pour massacrer tout le monde et plus particulièrement femmes et enfants. C’est la guerre du Vietnam, le massacre de My-Lai qui sont à l’arrière-plan. Arthur Penn veut dénoncer une « guerre de colonisation ». Il y réussit très bien.

Mais s’il constitue une charge lourde et efficace contre la conquête de l’ouest, le film est loin d’être l’œuvre « humaniste » que certains y voient. Arthur Penn a une vision amère et désenchantée de l’humanité qui n’épargne personne. Les Indiens n’échappent pas à l’esprit caustique du réalisateur. Le personnage de l’Indien inverti, Petit Cheval, est digne de la Cage aux folles. Même le « Grand Père » n’échappe pas à la dérision. Il croit que l’heure est venu pour lui de mourir mais « parfois la magie marche, parfois non ». Dans le roman, le vieil Indien mourait réellement.

L’image idéalisée des Indiens se trouve davantage dans le regard de spectateurs bien intentionnés et pleins de bons sentiments. Le terme d’êtres humains que se donnent les Cheyennes a été ainsi la source de malentendus. Il est bien le signe que les Cheyennes comme tous les peuples de la Terre ont la fâcheuse tendance à s’attribuer l’exclusivité de l’excellence humaine, non d’une admirable ouverture d’esprit.

Une nouvelle mode pro-indienne ?

.          Little Big Man, comme la Flèche brisée en son temps, a lancé une mode pro-indienne, mais plus limitée, le western agonisant dans les années 70. Richard Harris a été ainsi la vedette d’une série de films autour de la figure de l’Homme nommé Cheval (1970, Elliot Silverstein, deux suites en 1976 et 1982). Néanmoins, le premier film de la série tout comme Fureur apache de Robert Aldrich et les Collines de la terreur de Michael Winner sont très loin de présenter une image irénique des Indiens. Ils sont peints comme sauvages et sans pitié même s’ils ont de bonnes raisons pour cela.

Dans Jeremiah Johnson (1972, Sydney Pollack), autre film considéré comme pro-indien, le héros éponyme (Robert Redford) passe pourtant une bonne partie de son temps à tuer des Crows. Il est vrai que ces derniers jouent systématiquement les « méchants » dans de nombreux westerns. Son union avec la fille du chef des Têtes Plates se termine tragiquement : rien de nouveau sous le ciel du western en dépit des apparences.

Chief Dan George reprend du service dans Josey Wales de Clint Eastwood (1976). Mais il joue ici vêtu d’une redingote et un haut de forme, devenu trop civilisé pour surprendre un Blanc. Dans le parcours sanglant du héros taciturne et invincible ne figure aucune victime indienne. Josey Wales réussit ainsi à s’entendre avec le chef indien Dix Ours. N’ont-ils pas le même ennemi, le gouvernement américain ?

Soldat Bleu, un film incohérent

.          L’épisode de la Washita de Little Big Man s’inspirait beaucoup d’un autre massacre de Cheyennes, celui de Sand Creek pendant la guerre civile. Ce massacre a été aussi une source d’inspiration pour Soldat Bleu. Une source d’inspiration et non une reconstitution, l’histoire se déroulant en 1876, soit douze ans après Sand Creek. Si Little Big Man est un grand film, très bien réalisé et admirablement interprété, on n’en dira pas autant de Soldat bleu (Soldier Blue, 1970) de Ralph Nelson.

Le scénario de John Gay souffre d’une grave incohérence. Il emprunte sa situation de départ au roman et de Theodore V. Olsen et colle une conclusion postiche inspirée des tristes événements de 1864. Ainsi, le chef Indien, Spotted Wolf (devenu Épervier noir en français !) est-il, au début du film, un redoutable chef de guerre qui massacre une vingtaine de soldats pour s’emparer de la paie de l’armée et ainsi acheter des armes avant de se muer, sans explication, à la fin du film, qui paraît se dérouler quelques jours plus tard, en pacifique leader confiant dans la parole des Blancs.

Le scénario en sort désespérément bancal. Une séquence d’ouverture classique mais violente est suivie d’une longue errance d’un jeune couple improbable de survivants, constitué par un jeune soldat et la « fiancée » d’un officier. Le film vire à la comédie sentimentale la plus banale (opposés, ils vont tomber dans les bras l’un de l’autre) même dans les rencontres de personnages dangereux (des Kiowas et un improbable trafiquant campé par Donald Sutherland) avant que le film ne s’achève brutalement par le massacre du village cheyenne.

Un film anti guerre du Vietnam

.          Film anti-guerre du Vietnam, il met en scène Candice Bergen qui crache, grimace et gesticule, le tout accompagné d’un vocabulaire ordurier que ne peuvent pourtant pas lui avoir inculqué les Cheyennes. Cette activiste hippie parachutée directement de son campus new-yorkais dans le Montana de 1876 paraît bien peu crédible. Le héros éponyme (Peter Strauss), affligé d’un nom ridicule, Honus Gent, naïf et prude, n’aurait pas fait long feu perdu dans la nature sans l’habileté redoutable de notre héroïne qui, en deux ans d’un stage intensif chez les Cheyennes, a appris à prévoir les orages comme à tuer les serpents.

S’il a tout pour satisfaire les progressistes américains et les anti-américains du reste de la planète, Soldat bleu reste un film problématique. Ce western qui est, paraît-il, pro-Indien, ne nous montre en effet guère ses fameux Indiens, campés, comme dans de nombreux westerns de série de la belle époque, par les habituels mexicains musclés. Aussi leur sort final nous touche peu, ils sont pour nous des étrangers. Les démonstrations très artificielles d’affection de Candice Bergen à l’égard d’enfants dans les dernières minutes ne les rendent pas plus proches.

Soldat Bleu, film pro-indien ?

.          Le massacre choque (il a été tourné pour cela) mais n’émeut pas. Les Indiens sont vus de loin, aussi étrangers que pouvaient l’être les Vietnamiens pour les étudiants engagés des années 60/70. Le point de vue des Indiens nous est donné par la voix autorisée de l’intellectuelle éclairée qui retourne le malheureux troufion en utilisant au besoin le sexe, vieille technique de manipulation.

Le message est d’un manichéisme désolant : les soldats sont des abrutis sanguinaires ou des abrutis conduits par des abrutis sanguinaires. Pour notre héroïne, l’Ouest n’est pas son pays puisqu’elle est de New York. Hum, ne s’agissait-il pas à l’origine d’un territoire indien ? Voilà une question qu’elle ne paraît pas s’être posée.

La séquence finale suscite le malaise si l’on songe que le réalisateur a cru devoir utiliser des orphelins amputés pour rendre plus réalistes les mutilations diverses : des prothèses avaient été fixées sur les parties manquantes. La dénonciation de la violence s’allie ici avec le goût de l’époque et cette surenchère dans le gore qui ne va cesser de s’amplifier.

Toute cette partie n’est d’ailleurs ni bien filmée, ni bien montée et se révèle bien inférieure à la séquence similaire de Little Big Man, dont le réalisateur, il est vrai, était d’une autre classe.

Danse avec les loups, une fresque ambitieuse

.          Dance with Wolves (Danse avec les loups) de Kevin Costner (1988) a été un événement en son temps. Vaste fresque centrée sur les personnages et non sur l’action comme dans tant de produits creux du cinéma hollywoodien moderne, le film ne manque ni d’ambition ni d’originalité. Un des points forts du film est le souci des personnages secondaires : du major déséquilibré au jeune Indien effondré après avoir tué son premier homme.

Homme blanc solitaire dans les vastes étendues de la prairie du Sud Dakota, le lieutenant Dunbar n’a que deux amis : son cheval Cisco et un loup surnommé Chaussettes (Two Socks). Comme Little Big Man et Un homme nommé Cheval, il évoque les relations entre un homme blanc et une tribu indienne, les Lakota (dans le roman, il s’agissait de Comanches) : c’est là le nœud et le problème de ses films prétendument « pro indiens », le héros est toujours blanc.

Le film est beaucoup moins audacieux que nombre de westerns classiques mettant en scène les amours d’un Blanc et d’une Indienne. Dunbar ne parvient pas en fait à devenir un véritable Sioux et il est « naturel » qu’il soit attiré par quelqu’un de sa « race ». Christine, Dressée avec le Poing (Mary MacDonnell, peu crédible) une femme blanche recueillie enfant par la tribu.

Mais à la différence des westerns anciens, Danse avec les loups est centré sur l’image positive d’un renégat. Dès la séquence où Costner utilise le fanion aux couleurs américaines pour panser Dressée avec le poing, il fait un pas décisif dans l’oubli de son devoir.

L’image des Indiens, à la différence des films des années 70, est particulièrement idéalisée. Oiseaux Bondissant, l’homme saint, le sorcier, représente tout la spiritualité des Sioux tout comme Cheveux dans le Vent est l’image du guerrier dans toute sa splendeur physique.

Un film foncièrement manichéen

.          Plus fâcheux sans doute est le manichéisme qui oppose les nobles Sioux aux perfides Pawnees, les Indiens accueillants aux soldats stupides et brutaux qui tirent sur tout ce qui bouge. En fait, le seul bon soldat est Costner, aussi devient-il Sioux.

Quant aux Pawnees, rien ne les rachète : ils massacrent sans raison un pauvre muletier, attaquent un village qu’ils croient sans défense, notamment en criblant de flèches deux pauvres chiens (crime terrible pour les spectateurs de notre époque) et pour finir deviennent éclaireurs de la cavalerie poursuivant les Sioux.

On peut aussi voir ici le point de vue sioux sur la question ou une façon de résoudre la contradiction entre l’image du Sauvage sanguinaire et celle du Noble Sauvage. On rétorquera sans doute que les Sioux ne sont pas totalement idéalisés : ils scalpent et mutilent leurs ennemis avec férocité mais ces séquences sont très brèves et marquent moins l’esprit que les longues séquences où leur sagesse, leur harmonie avec la nature sont mis en avant. Ils ne font la guerre que pour se défendre des perfides Pawnees et des abominables Blancs.

Les Blancs en revanche sont vus comme des êtres dépourvus de spiritualité, inférieurs aux bêtes, car le loup qui joue un rôle si important dans cette histoire apparaît comme possédant ce qui manque à ces ignobles créatures. Curieusement, nul n’a crié au racisme.

Une vision rousseauiste

.          Danse avec les loups dresse le portrait d’une communauté harmonieuse qui vit dans un jardin d’Eden. Est-ce le point de vue des Indiens ou celui d’un rousseauiste ? Le film reflète son époque comme toujours, témoignant de préoccupations écologiques.

Les Blancs, eux, souillent la nature. Cela commence avec le brave mais peu futé muletier qui jette sa boite de conserve vide dans la prairie. Il est certes fâcheux qu’aucune poubelle (de la bonne couleur) n’ait été placée aux environs. Cela se confirme dans la transformation du point d’eau du fort en décharge et culmine avec la séquence de la forêt sacrée souillée par les dépouilles d’animaux. Nous sommes dans un cinéma clairement idéologique.

Contradiction intéressante et amusante : les Pawnees attaquent le camp sioux alors que les guerriers sont absents pour la plupart. Le massacre n’est évité que grâce aux fusils fournis par Dunbar. La loi de la nature exigeait la disparition des faibles et voilà que les faibles écrasent les forts en usant de la technologie moderne.

Le dernier des Mohicans : une version très infidèle

.          Le film de Michael Mann (1992) n’est pas le premier à adapter l’œuvre de Fenimore Cooper. Il succède à deux versions qui jouissent de l’estime des connaisseurs. Un film muet de Maurice Tourneur et la version de 1936 avec Randolph Scott. Ce dernier est souvent considéré comme le meilleur interprète du personnage créé par Cooper dans cette adaptation relativement fidèle.

Fenimore Cooper n’est plus guère lu. Aux États-Unis il souffre d’une très méchante critique de Mark Twain à son égard. Il passe pour un écrivain médiocre, démodé et ennuyeux, un de ces classiques obligatoires à lire au lycée. Cela explique sans doute les grandes libertés prises avec le roman à la différence des deux versions précédentes. La version de Tourneur mettait ainsi au cœur de l’histoire l’amour impossible de Uncas, le dernier des Mohicans, et Cora, fille du colonel Munro. Natty Bumpo dit Longue carabine n’était qu’un personnage secondaire.

Dans le film de Mann, Bumpo (Daniel Day-Lewis) tient une place prépondérante au détriment de Uncas. Ce n’était pas le cas dans la version de 1936 où Randolph Scott n’éclipsait pas un Uncas, beaucoup plus présent et actif. Ici, il n’est qu’une figure subalterne dont la mort n’est, dès lors, qu’une péripétie sans grande signification.

Dans le roman, il n’y avait pas de place pour les femmes dans le cœur de l’homme de la frontière. Le scénario a préféré inventer une passion exaltée entre le héros et l’une des filles du colonel. De même, l’éclaireur loyaliste à l’égard de la Couronne devient un libre-penseur soucieux de son indépendance. L’attitude envers les Anglais est ici ainsi totalement différente dans le roman et le film : les deux officiers anglais sont logiquement voués à la mort dans cette adaptation cinématographique.

La Doctrine Monroe et la Destinée manifeste mises en images

.          D’une certaine façon, peu importe. Un film doit être considéré pour ses qualités propres non par rapport au roman qui lui a servi de base d’inspiration. Reconnaissons le caractère soigné de la reconstitution de la guerre franco-anglaise sur le continent américain dans les années 1750.

Le marquis de Montcalm est à l’image des Français dans l’univers anglo-saxon. C’est un aristocrate élégant, esthète, poli et fourbe. La version de 1936 en donnait une image plus noble. Les Anglais sont aussi dépeints selon les inusables clichés en vigueur : arrogants, snobs et froids. En réalité, Français et Anglais sont renvoyés dos à dos. Ils n’ont rien à faire sur le continent américain. C’est la doctrine Monroe mise en image.

Et les Indiens ? Ils sont voués clairement à la disparition. Les deux Mohicans font pâle figure à côté de Magua, campé magnifiquement par Wes Studi, acteur d’origine Cherokee. Or il incarne avant tout la brutalité et la sauvagerie. L’utilisation des langues « indigènes » ne doit ainsi pas faire illusion.

Les seuls véritables vainqueurs, les seuls qui ne soient jamais dépeints négativement, au contraire de ce qu’on peut voir dans des westerns classiques, sont les colons. C’est à dire les Américains. Ils traitent d’ailleurs les Indiens comme des égaux, ce qui prête à sourire. C’est donc, comme on l’a dit, plus un film sur les premiers des Américains que sur le dernier des Mohicans.

Les colons sont remarquablement absents du livre et cet ajout est d’autant plus significatif. La Destinée Manifeste retrouve ainsi toute sa force dans ce bon film loué pour de très mauvaises raisons. Il est tout sauf pro-indien.

Conclusion

.          En conclusion, les Indiens sont surtout des indicateurs de la bonne ou mauvaise conscience des scénaristes et réalisateurs. Le « sanglot de l’homme blanc » a inspiré de bons comme de mauvais films. Mais le western révisionniste s’est souvent contenté d’inverser les clichés, se montrant souvent plus manichéen que le western classique. La mode indienne s’est d’ailleurs assez vite épuisée.

Mais il faudrait cesser de croire qu’il a fallu attendre Little Big Man ou tel autre film pour représenter les Indiens comme des humains et non des extra-terrestres. Cela s’est toujours fait. Mais qu’on le veuille ou non, les Indiens ont été les vaincus de l’histoire. Et les westerns en ont pris acte pour s’en réjouir ou le déplorer.

Un western récent, The Revenant d’Alejandro González Iñárritu (2015), est revenu à l’image redoutable des Indiens. C’est aussi un des rares bons westerns du XXIe siècle renouant avec l’esprit du genre, loin des affèteries et des exercices de style des épigones qui sévissent dans l’Hollywood contemporain.