Hollywood, le Pentagone et Washington, les trois acteurs d’une stratégie globale
Jean-Michel Valantin.
. Hollywood et le Pentagone… D’un côté la fabrication des « rêves », mais surtout une véritable industrie, de l’autre, le système militaire. Quelles relations unissent ces deux institutions symboles de la puissance américaine ? À travers de nombreux exemples et analyses de films, Jean-Michel Valantin lève ici le voile sur l’interdépendance totale entre l’industrie cinématographique américaine et l’appareil de sécurité nationale des États-Unis. Il nous montre combien le politique, le militaire et le cinéma se trouvent ainsi imbriqués.
. « Depuis plus de cinquante ans, l’histoire stratégique américaine est aussi celle de tout un secteur du cinéma qui vient prolonger l’histoire réelle par la création d’un univers d’images et ainsi d’un univers mental où se constitue l’identité stratégique américaine comme l’une des dimensions essentielles de l’identité nationale. Dans celle ci se rejoignent le sentiment d’être un peuple élu et de mener des guerres justes, ou qui le deviennent grâce au pouvoir de la symbolisation cinématographique. » J.M. Valantin.
. Cet article va se pencher sur les rapports entre ces trois pouvoirs considérables que sont Hollywood, le Pentagone et Washington à travers ce qu’on appelle le cinéma de sécurité nationale. Ces films mettent en scène la nation américaine en danger, qu’il s’agisse d’une menace appartenant au réel (politique, militaire, terroriste, nature) à l’imaginaire (extra terrestres, monstres divers) à la métaphore (les extra-terrestres des fifties symbolisant les méchants soviétiques perçus alors comme aussi étrange que des martiens).
Ces films sont des commentaires pertinents de la production de stratégie américaine qui « représente une activité collective dominante qui mobilise aussi bien l’Etat que l’industrie, non seulement militaire mais aussi civile, le secteur scientifique, l’université, les médias et de larges pans de la société civile. Elle résulte des luttes de pouvoirs perpétuelles entre la Maison Blanche, les commissions sénatoriales, le Pentagone, les services armés, les agences de renseignements, le complexe militaro-industriel. » Cette production de stratégie est dominée par l’idée de menace et pour les américains « tout potentiellement fait menace ». La « perception parfois presque obsessionnelle de la menace, là où d’autres verraient simplement des différences ou des obstacles naturels, est au cœur de la production de stratégie. » nous dit J.M. Valantin.
Le terme « film de sécurité nationale » fut défini en 1999 par l’historien et spécialiste des stratégies et doctrines militaires américaines Michel Ronai. Il fut ensuite repris dans le livre de Jean Michel Valantin « Hollywood, le Pentagone et Washington ». Pour rédiger cet article j’ai repris le plan et l’argumentaire du livre de Valantin, que j’ai synthétisé et enrichi d’analyses personnelles et d’éléments provenant d’autres sources. Cet article se propose donc d’offrir un aperçu des liaisons intimes qu’entretiennent le pouvoir de la plus puissante nation au monde avec les créations culturelles qui émane de ses usines cinématographiques.
Le but est de tenter d’expliquer pourquoi un film comme Aliens par exemple est dans la continuité de la propagande développée par le reaganisme réactionnaire, pourquoi dans les années 80 nous avons vu fleurir la mode des films d’action, pourquoi le film de guerre des années 60 n’est pas le même que celui des années 70, pourquoi et comment les U.S.A. ont décidés d’écrire eux mêmes une histoire fantasmée qui remplacera dans le cœur et l’esprit du public les réalités de l’Histoire vécue…
« Si les producteurs de Hollywood se servent de l'armée, qu'ils compromettent leur intégrité artistique pour qu'un scénario reçoive l'approbation de l'armée, c'est parce que ça leur permet de faire des économies. Ce qui intéresse Hollywood, c'est le résultat financier. Si j'avais un conseil à donner aux spectateurs, qui sont les consommateurs de ces produits, ce serait de prendre conscience, quand ils regardent ces films, que ce sont des films de propagande gouvernementale. » Joe Trento, journaliste, écrivain.
A propos du cinéma de sécurite nationale et de la production de menaces
. Pénétré par les grands mythes fondateurs de la nation américaine, le cinéma américain ne fait que les ré-exploiter encore et encore pour ainsi en fournir une modernisation, rappelant leur universalité et leur profond enracinement par la force de l’image. « Le mythe a une double fonction : il désigne et il notifie, il fait comprendre et il impose » (Roland Barthes).
Il y a le mythe de la destinée manifeste, les U.S.A. ont une « mission civilisatrice », il faut exporter, s’étendre le plus possible. On trouve également le mythe de la cité sur la colline provenant des premiers colons américains, persuadés de bâtir une Nouvelle Jérusalem dans la foi d’une alliance avec Dieu, rendant sacrilège toute attaque contre l’Amérique. Le dernier mythe est probablement le plus puissant : il s’agit du mythe de la Frontière, le mythe d’un espace repoussé par les colons, un espace hostile peuplé d’indigènes. La collectivité s’y trouvant mise à l’épreuve. Ce mythe de la frontière est un « un condensé de la mémoire de la conquête de l’ouest, de la construction de la collectivité nationale et de l’usage répété et légitime de la force armé contre toute entité menaçant la communauté et ses règles »1 est largement présent dans la mentalité américaine.
Ces trois aspects servent de socle commun sur lequel s’équilibre la stratégie militaire américaine, leur interprétation au gré des événements politiques, des gouvernements ou des crises est mis en scène par ce Cinéma de Sécurité Nationale. Ces trois mythes sont accompagnés de quatre autres mythologies politiques secondaires que l’on retrouvera cycliquement au cours des années dans de nombreux films de ce type. Il y a la « conspiration », « le sauveur », « l’âge d’or » et « l’unité ».
La stratégie globale des Etats Unis est déterminée par un rapport au monde assez unique : Les U.S.A. ne connaissent pas de voisins hostiles, ils sont protégés par deux océans et n’ont jamais connu d’invasions. Pourtant, le monde extérieur est perçu comme lourd de menaces potentielles et sert principalement de projection au mythe de la frontière. La construction nationale n’a pas été développée au cours d’invasions mutuelles ou d’échanges commerciaux mais s’est opérée et s’opère encore contre « un autre générique ». Plutôt récente et fragile cette société a besoin de ce consensus autour d’une menace commune qu’utilise le pouvoir fédéral pour assurer son développement.
Le cinéma de Sécurité Nationale développe alors tout l’éventail des menaces probables, improbables, connues ou inconnues. La menace selon M. Rogin c’est « Le démon étranger, l’anarchiste poseur de bombes, la conspiration communiste tentaculaire, les agents du terrorisme international (qui) sont des figures familières du rêve éveillé qui domine si souvent les politiques américaines », mais c’est aussi la nature qui est perçue de manière stratégique mais aussi comme un déchaînement divin. L’ensemble de ces menaces légitiment la production de stratégie et le développement de la puissance militaire. La menace doit avoir une dimension affective, elle doit soulever un sentiment collectif, unir la collectivité contre elle et susciter la peur, l’inquiétude et la méfiance. On aurait tort de croire que Hollywood ne fait qu’illustrer les menaces utilisées par le pouvoir politique ou militaire, Hollywood participe pleinement aux débats, parfois de manière active, au sein du ministère de la Défense.
Des modalités de coopération entre Hollywood et le pouvoir
. Pour bien comprendre cette puissante interaction, il faut savoir que le couple Hollywood - Pentagone est pratiquement né en même temps que le cinéma. Très tôt les forces armées américaines comprirent l’intérêt de coopérer avec « l’usine à rêves ». Soutenir la production de films de guerre leur permettait de soigner leur image auprès du public et de favoriser par là même leur politique de recrutement. Dès 1915 l’armée de terre collabora au tournage de l’un des monuments du cinéma muet, Naissance d’une Nation de D.W. Griffith (1915). Durant l’entre-deux-guerres la coopération s’intensifie. Ainsi, l’armée de l’air s’investit corps et âme dans le tournage du monumental Wings de William Wellman (1927), film qui ouvre la voie au cinéma de “preparedness” (des longs métrages réalisés durant les années 30 et 40, exaltant l’héroïsme des combattants américains, dont le but premier était de préparer l’opinion publique à une nouvelle entrée en guerre). Conditionné par 20 ans de films faisant l’apologie de la bravoure de leurs soldats et de l’invincibilité de leur armée, le peuple américain pensait être en sécurité. Le 7 décembre 1941 l’aviation japonaise détruit une grande partie de sa flotte basée à Pearl Harbor et contredit brutalement la propagande dont Hollywood se faisait le vecteur.
En 1942 le Président Roosevelt convoque à la Maison Blanche les plus prestigieux réalisateurs d’Hollywood pour qu’ils contribuent à l’effort de guerre : il faut produire des dizaines de films de propagande pour la mobilisation psychologique du pays. De nombreux cinéastes y participeront activement. Ainsi Frank Capra assure la direction des services cinématographiques de l’armée et supervise Pourquoi nous combattons, une série célébrant « l’idéal démocratique » défendu par les Alliés. John Ford part couvrir la Guerre du Pacifique et George Stevens filme l’avancée des troupes américaines en Europe. En 1943, 26.000 personnes de tous les secteurs de l’industrie du cinéma travaillent pour l’armée. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale s’achève, la coopération ne cesse pas pour autant et en 1947 est instauré le « National Security State » qui réside dans la mise en place de structures consacrées à la sécurité nationale. Ces structures se retrouvent dépendantes du cinéma pour développer leur image, ce qui découle sur l’implantation permanente d’un bureau à Hollywood. Cette coopération, multiple et complexe, va s’accroître de manière stupéfiante avec les années, connaissant pourtant pics et antagonismes au fil des crises.
L’aide accordée par le Pentagone lors du tournage d’un film est plus ou moins développée. Il existe trois degrés de coopération : La « Courtesy cooperation » : il s’agit d’une aide limitée ; elle se borne à une assistance technique et (ou) une fourniture d’images (plans de sous-marins, de troupes en action, d’avions en vol, etc.), la « Limited cooperation » : en plus de l’assistance technique, une autorisation de tournage est octroyée dans l’une des installations des forces armées (base aérienne, camp d’entraînement, etc.) ainsi qu’un nombre réduit de personnel et pour finir la « Full cooperation » : le degré ultime de la coopération ; en plus de l’assistance technique et des lieux de tournage, les forces armées fournissent un nombre important de personnel (généralement des membres du contingent pour la figuration) et du matériel (armes, tanks, porte-avions, etc.).
Les trois corps d'armée (la Navy, l'Air Force et l'Army) étant en concurrences pour apparaître aux yeux de l’opinion, et donc du Congrès, comme étant le plus prestigieux, ils ont chacun leur « domaine ». L’Army symbolise le combat au sol, dans la terre et le sang, il sublime l’héroïsme des populations civiles, la Navy développe l’idée de démocratie car pour eux il est impossible de faire un coup d’Etat, c’est la rapidité et la puissance du mythe de la destinée manifeste, l’Air Force, c’est la technologie, le futur, l’idée de guerre propre censée rendre obsolète le combat au sol. Par exemple, la Navy rentre dans les années 80 avec une image profondément altérée par la guerre du Vietnam. En crise de recrutement depuis plus de 10 ans elle participe à la production de Top Gun (1986) à la condition que le film se passe sur un porte avion et que les combats aériens se passent au dessus de la mer. Le succès est énorme, tellement énorme qu’elle installe des bureaux de recrutement à la sortie des salles ! « Le succès de Top Gun a ouvert une nouvelle période dans les relations entre Hollywood et le Pentagone. Les forces armées mettent de plus en plus complaisamment à la disposition des producteurs personnel, installations, avions et navires et ne facturent qu'une petite partie des coûts. En contrepartie, elles exercent un contrôle sur les scénarios, et notamment sur l'image des forces armées. Les studios y trouvent leur compte : ils préfèrent tourner à bord d'un vrai porte-avions, ou disposer d'un vrai F-16, quitte à soumettre leurs scénarios aux experts du Pentagone. Chacune des armes a installé des bureaux auprès des studios pour étudier les scénarios, suggérer des modifications ou des idées de scènes. Hollywood soumet chaque année deux cents scénarios au Pentagone. Officiellement, les experts militaires s'assurent de la vraisemblance des scènes de combat ; en fait, le Pentagone veille surtout à l'image que ces films donnent des forces armées » (Michel Ronai dans débat stratégique 46 de Sept 1999). Le Major J.T. Breassale travaille à Los Angeles au bureau de liaison de l’armée de Terre. Il est chargé de sélectionner les scénarios envoyés par les producteurs susceptibles de recevoir une aide du Pentagone, il déclare « La plupart du temps, le scénario est envoyé à mon bureau et au responsable des relations avec le cinéma au Ministère de la Défense. Je commence par une lecture rapide du scénario pour me faire une idée du sujet et voir à quel moment du film le thème de l'armée apparaît pour la première fois. Et je le note. Ensuite, je relis le scénario avec un œil un peu plus critique : je me demande comment un vrai soldat réagirait dans une situation identique ». Philip Strub est plus direct. Son nom est totalement inconnu du grand public pourtant il est l’homme clé de la coopération entre le Pentagone et Hollywood. Responsable des relations avec le cinéma au Ministère de la Défense à Washington, Philip Strub est chargé de sélectionner les films qui recevront une aide du Pentagone. Un feu vert de sa part donne accès à la totalité des équipements de l’armée, mais en retour il exige un droit de regard sur les scénarios. Peu adepte de la langue de bois, il admet sans ambages ne retenir que les projets favorisant une image positive des forces armées : « Il est clair que quand nous examinons un scénario, nous essayons de réduire au minimum tout ce qui peut porter atteinte à l'image de l'armée. Mon rôle n'est pas de discréditer les forces armées dans la mesure où je crois en l'armée. Je ne ferais pas ce métier sinon. » Ce genre de déclaration pose tout de même un problème au sein des plus libéraux : « Le problème, c'est que l'armée dispose du matériel comme si c'était le sien. Ce matériel n'appartient pas à l'armée, il appartient au peuple américain. Maintenant, s'ils veulent aider les studios en leur prêtant ce matériel, il faut qu'ils le fassent indépendamment du contenu du scénario. Leur laisser ce droit de regard revient à leur laisser le droit d'influer sur la culture populaire américaine. Phil Strub est un parfait inconnu pour les Américains ; pourtant il a eu une énorme influence sur la culture populaire. Et je ne pense pas que les Américains apprécieraient si on leur disait qui il était. Je doute vraiment qu'ils apprécieraient ce qu'il fait et ce qu'il représente. Et c'est justement là que le bât blesse : personne ne le leur dit. Rien ne pourrait être plus poétique, plus symbolique que de voir l'armée américaine soutenir un film anti-guerre. On ne peut que regretter qu'elle ne l'ait jamais fait » dit Jonathan Turley qui enseigne le droit constitutionnel à l’Université George Washington. Pour lui la coopération entre Hollywood et le Pentagone est une entrave à la liberté d’expression, droit fondamental protégé par le premier amendement de la Constitution américaine. Le journaliste David Robb ne se fait, lui, guère d’illusions : « Les Films influencent l’opinion publique, on dit que le cinéma et la télévision sont les medias les plus puissants au monde, et quand le média le plus puissant du monde et l’armée la plus puissante du monde s’associent, collaborent et je dirai même s’entendent, pour donner une image positive de l’armée, cela se traduit par des ventes. De la même manière qu'un produit bénéficiant d'une bonne image publicitaire se vend mieux, l'image positive de l'armée au cinéma, empreinte d'héroïsme, de camaraderie et de patriotisme, lui permet de mieux se vendre. C’est le seul pays au monde où des institutions aussi puissantes que Hollywood et le Pentagone travaillent ensemble pour donner une image positive de l’armée. Je me demande combien de soldats sur les 600 Américains qui ont été tués en Irak se sont engagés parce qu'ils avaient vu un film quand ils étaient mômes et qu'ils s'étaient dit : "C'est génial, l'armée, je vais m'engager".»
Le Pentagone va dans les années 50 jusqu’à modifier des scénarios de séries TV comme Lassie pour s’assurer que l’image de l’armée soit la plus belle possible. L’armée a toujours raison et elle est toujours juste, c’est ce que doivent penser les enfants qui sont pour elle les soldats de demain.
La plupart des gens n’ont pas connu la guerre et c’est essentiellement par le cinéma que l’on se représente la réalité du combat et que l’on en fait l’expérience. Cette représentation erronée, magnifiée, est voulue par le pouvoir militaire qui ne pratique pas tant une censure directe qu’en obligeant, inconsciemment ou non, Hollywood à pratiquer une autocensure à la source pour éviter les conflits et ainsi bénéficier du matériel à moindre coût. Le Pentagone téléguide le cinéma pour des raisons de pure propagande, Hollywood suit pour des raisons purement financières et tant que les gens payent pour voir les films, l’industrie du cinéma n’y trouve fondamentalement rien à redire.
De la menace soviétique au bourbier vietnamien
. Depuis 50 ans, le rapport entre le pouvoir stratégique, le cinéma et l’opinion publique n’est qu’un long cycle d’alignement qui fut parfois brutal (comme entre 1949 et 1953 à l’époque où le sénateur alcoolique Mc Carthy fit ses procès à la chaîne suspectant tout Hollywood d’être à la solde des russes) connu des crises ou des accélérations… David Robb explique qu’« A l’époque du Maccarthisme, l’armée ne juge plus un scénario en fonction du seul intérêt qu’elle va pouvoir en retirer au niveau du recrutement mais également en termes de propagande. Elle redoute en particulier que les films distribués à l’étranger soient utilisés comme des films de propagande anti américaine. On ne juge plus un film en fonction de sa seule position par rapport à l’armée mais aussi en fonction de sa coloration politique. » Dalton Trumbo en fait les frais avec son film antimilitariste Johnny s’en va t’en guerre. Il est blacklisté avec toute une génération de cinéaste qui voulait montrer une autre image de la guerre. Beaucoup de gens à Hollywood étaient au Parti Communiste dans les années 30, ils cesseront tous de travailler ou prendront des pseudonymes victimes d’une vaste chasse au sorcières.
Dès la fin de la guerre, le pouvoir stratégique va utiliser Hollywood dans la création de menaces et le cinéma devient un dispositif essentiel de l’éducation des masses à l’échelle nationale.
Et « c’est dans cet étrange monde parallèle créé par l’industrie de l’image que l’invasion des USA par les extraterrestres commence ». Le premier film est Destination Lune (de Irving Pichel, 1950) dans lequel des scientifiques américains établissent une base sur la Lune pour empêcher les autres d’y installer des missiles. Dans cette époque de paranoïa totale, l’Air Force commence à faire pression pour obtenir plus de moyens, ainsi que le monopole sur l’arme atomique. A partir des années 50 les doctrines de la défense civile visent à unir la collectivité sous la coupe d’une menace commune : l’attaque atomique. Les scénaristes surfent sur l’ambiance : La chose d’un autre monde, Le jour où la Terre s’arrêtera, Le choc des mondes, ces films préparent les gens à un risque imminent d’anéantissement. Il en résulte un consensus national autour de la politique de stratégie de défense nationale. Le Village des Damnés, L’invasion des Profanateurs sont de lourdes métaphores de la subversion communiste. L’ennemi est peut-être déjà parmi nous, les enfants du premier film finiront dans le bûcher comme des sorcières, des non chrétiens, des incroyants. Alors culminante, cette folie paranoïaque va finir par s’estomper et ne resurgira que bien des années plus tard.
Car dès le début des années 50 le pouvoir politique pousse Hollywood à fabriquer et dénoncer la menace soviétique à tour de manivelles, mais le cinéma restant une entreprise privée, et ne pouvant pas se couper de l’opinion publique, celle ci va l’obliger à certaine une remise en question par l’ampleur globale de la menace nucléaire. La « crudité génocidaire » que représente l’atome dépasse le cadre strict d’une agression par les Russes. A partir de 1954 la menace n’est pas seulement l’ennemi extérieur mais devient également la dissuasion nucléaire. D’abord « doctrine de représailles massives », la dissuasion va devenir « assurance de destruction mutuelle » lorsqu’en 1953 l’URSS teste sa première bombe H. Cette nouvelle ère de dissuasion ne sera bien sûr jamais très populaire dans l’opinion publique qui la considérera comme une menace en soi. Moins d’un an après en 1954 le premier film développant cette idée est Des monstres attaquent la ville dans lequel des fourmis géantes irradiées détruisent une ville. Au Japon c’est à cette époque que les premiers Godzilla arrivent. Alors que les premiers articulent leur peur de voir le drame arriver, les seconds en sont déjà à revenir sur leur traumatisme. C’est alors un enchaînement de 20 ans avec des films sur ce thème : Le Dernier Rivage en 1959 parle d’un monde en ruine ravagé par les radiations, en 1964 à cause d’une erreur le monde explose dans Dr Folamour et dans Fail Safe le Président doit sacrifier New York, on voit le résultat d’une attaque dans La Bombe de Watkins en 65 et en 1968 dans La Planète des singes Charlton Heston s’époumone : « Ah les fous, les fous, ils les ont lancées, leurs bombes !! » Dans les années 70 jusqu’au début des années 80, quelques films vont insister sur le côté fasciste de société qui se reconstruiraient sur la bombe : Rollerball en 1975, l’Age de cristal en 1976… Jusqu'au retour à la barbarie de Mad Max 2 en 1982. A cette période on va assister à un retour du film apocalyptique typique des années 60 avec divers films qui arrivent alors que la lutte contre l’URSS reprendra menée par l’administration Reagan (en 1983 Testament et Le jour d’après, Threads en 1984, When the wind blows en 1986)
Ce sujet du nucléaire dans les années 60 est une exception, sur les autres points l’alignement d’Hollywood sur le pouvoir politique est parfait. En 1962 c’est la mega-production de Daryl Zanuck : Le Jour le Plus long. Coopération gigantesque entre Hollywood, l’Army et la Navy, le film a un but politique évident, la promotion et la légitimation de la présence américaine en Europe, 10 ans après la création de l’OTAN. Cette production va enclencher la mise en chantier de nombreux films de guerre se déroulant pendant la seconde Guerre Mondiale et qui insisteront sur la justesse de l’intervention américaine destinée à contrer un impérialisme belliqueux. L’institution militaire est le prolongement de la nation américaine, le citoyen s’accomplit en tant que soldat. Durant ces années 60, on va célébrer les faits d’armes et l’héroïsme de l’armée américaine au cours de la seconde guerre mondiale, la « guerre juste » par excellence. La Bataille des Ardennes (1965) Quand les aigles attaquent (1969) Tora Tora Tora (1970) Patton (1970) ou La Bataille de Midway (1976). Cette époque triomphante des années 60 s’achèvera au fur et à mesure que le bourbier vietnamien viendra jeter le trouble dans la société américaine. A partir de 1964 l’embourbement ne laisse plus guère d’espoirs sur la victoire alors en 1966 le très réactionnaire John Wayne écrit au Président Johnson il veut « raconter l’histoire de nos combattants avec raison, émotion, avec des personnages forts et de l’action. Nous voulons le faire de façon telle que nous inspirerons une attitude patriotique aux américains, un sentiment qui nous a toujours animés dans ce pays, dans les périodes de tension et de crise. Johnson incite alors le Pentagone à fournir du matériel et des conseillers à Wayne à un niveau de plusieurs millions de dollars (tout le matériel militaire présent à l’écran, les centaines de figurants, tout est mis à disposition gratuitement par l’armée). Les Bérets Verts sort en 1968, ce film de propagande au « militarisme flamboyant » est une apologie caricaturale de la guerre du Vietnam (le seul film de ce genre) qui démarre par une vingtaine de minutes expliquant les raisons sacrées pour lesquelles les U.S.A. doivent mener ce conflit. L’accroche publicitaire sur l’affiche tente de culpabiliser les spectateurs : « Alors comme ça vous ne croyez pas dans la gloire. Et les héros sont démodés. On n’entend plus le clairon. Alors jetez un nouvel œil aux forces spéciales dans un enfer très spécial. » Sous entendant qu’il ne faut pas écouter la rumeur et qu’il faut très vite retrouver un bellicisme enthousiaste, découlant de l’esprit patriotique qui devrait animer chaque américain. A l'époque ce film est l’un des premiers à filmer le conflit, quelques années après le premier film sur le sujet, Commando Au Vietnam, sorti en 1964. Le film de John Wayne sort sur les écrans juste après la cuisante défaite américaine de la bataille du Têt et est très mal perçu un peu partout dans le monde, provoquant de nombreuses manifestations. Un membre du congrès ira jusqu’à demander des comptes à l’armée sur cette utilisation de l’argent du contribuable à des fins propagandistes. L’armée niera être à l’origine du film, ce qui est vrai, mais mentira en expliquant qu’elle n’a rien à voir avec le contenu du film, alors qu’elle a très étroitement collaboré à l’écriture du scénario.
Deux ans après la 20th Century Fox sort le dernier film de cette période à recevoir une aide du Pentagone, une superproduction éléphantesque nantie de moyens considérables, l’hagiographie d’un général controversé, Patton. Le ton ultra patriotique du film est donné dès le générique, la première image est une scène de théâtre en plan fixe, de face, avec un effet trompe l’oeil où le spectateur semble faire partie du film (on entend les soldats réagir comme les gens pourraient réagir dans la salle). Patton arrive sur scène tout petit devant ce gigantesque drapeau et s’adresse à l’audience, à la fois celle des soldats partant se battre contre l’Allemagne nazie, à la fois celle des spectateurs pouvant aller se battre au Vietnam. Je mets ici le monologue (6 minutes sur fond de stars & stripes donc) déclamé par l’acteur George C. Scott, tellement cet authentique discours destiné aux soldats des années 40 résonne d’un échos tout particulier pour les spectateurs de 1970 : « Je veux que vous vous souveniez... que pas un connard n'a jamais gagné une guerre en mourant pour sa patrie. Il l'a gagnée en faisant mourir un autre connard pour sa patrie. Soldats, ces bruits sur l'Amérique ne voulant pas se battre, ne voulant pas se mêler de la guerre, ce n'est que du baratin. Les Américains de tous temps, ont aimé se battre. Les vrais Américains aiment le côté cinglant de la bataille. Quand vous étiez enfants vous admiriez celui qui était le meilleur aux billes, Ie plus rapide coureur, le meilleur joueur de base-ball. Les Américains aiment les gagnants et ne tolèrent pas les perdants. Les Américains jouent pour gagner. Je ne lèverais pas le petit doigt pour quelqu'un qui perd, et en rit. C'est pourquoi les Américains n'ont jamais perdu, et ne perdront jamais. Parce que la simple pensée de perdre leur est intolérable. Une armée, c'est une équipe. Elle vit, mange, dort, combat comme une équipe. Ces histoires d'individualité, ça ne tient pas debout. Les cons qui ont écrit ces machins sur l'individualité pour le Saturday Evening Post n'en savent pas plus sur les batailles que sur la fornication. Nous avons la meilleure nourriture, le meilleur équipement, un bon moral et les meilleures troupes du monde. Vous savez j'ai de la peine pour ces fils de pute qui nous affronteront. Mon Dieu, oui. On va pas simplement leur tirer dessus, on va leur arracher les tripes et les utiliser pour graisser les chenilles de nos chars. On va tuer ces pauvres cons par milliers. Quelques uns d'entre vous je sais, se demandent s'ils ne vont pas craquer sous les fusillades. Vous inquiétez pas Je vous assure que vous ferez tous votre devoir. Les Nazis sont nos ennemis. Rentrez-leur dedans ! Faites-leur pisser le sang ! Tirez-leur dans le ventre ! Quand vous mettrez votre main dans un tas de charpie qui, peu avant, était la figure de votre meilleur ami, vous saurez quoi faire. Encore une chose à vous rappeler. Je ne veux pas de messages disant : "On tient sur notre position". On ne s'attarde nulle part. On laisse ça aux Boches. On va de l'avant. On ne tient, ni ne détient, rien ni personne sauf nos ennemis. On va les tenir par le nez et leur botter le cul. Vous n'allez jamais les lâcher. On va leur passer au travers comme un couteau dans du beurre. Il y a une chose que vous pourrez dire en rentrant chez vous. Et vous pouvez en remercier Dieu. Dans trente ans, assis près de votre feu de bois avec votre petit-fils sur les genoux quand il vous demandera : "Qu'as-tu fait durant la seconde guerre mondiale ?" Vous n'aurez pas à dire : "Hé bien… j'ai charrié de la merde en Louisiane. " Bon, maintenant, fils de pute... vous savez ce que je pense. Je serai fier de vous guider vers un champ de bataille, n'importe quand n'importe où. C'est tout. » Nul besoin d’expliciter plus en avant l’aspect particulièrement va t’en guerre de cette introduction. Ca ne suffira pourtant pas, et ce cinéma qui grille ses dernières cartouches avant de disparaître devra attendre une dizaine d’années avant de revenir sur les écrans. Les gens comprennent que la guerre est sans issue et l’industrie hollywoodienne ne va pas prendre le risque de se mettre en porte à faux avec l’opinion publique.
C’est le début d’une fracture profonde entre Hollywood qui suit de manière intéressée l'opinion publique et le pouvoir politico militaire. Jusqu’au début des années 80, le Pentagone est tout sauf désiré à Hollywood qui va enchaîner des films sur le Vietnam particulièrement déprimants (M.A.S.H. de Altman en 72, Le retour de Asby en 78, Les Boys de la compagnie C de S.J. Furie en 78).
Un an avant la défaite finale de 1975, Universal lance la production d’un film de guerre de très grande envergure qui pour la première fois se fera sans le soutien de l’armée américaine : c’est Apocalypse Now. Il est réalisé par Coppola qui l’a également en partie financé avec l’argent qu’il a gagné avec Le Parrain et il est tourné en grande partie avec l’aide du matériel de l’armée philippine. Je reprends ici la pertinente analyse que Ronai fait dans le film qu’il a réalisé avec Emilio Pacull : « Apocalypse Now narre le voyage d’un officier américain qui a pour mission de remonter le Mékong pour exécuter un Colonel devenu hors la loi. Durant le voyage le capitaine Willard est le témoin de la destruction de la société vietnamienne tandis que l’armée américaine s’enfonce collectivement dans le délire, l’absurde et l’horreur. Cette expérience va lui révéler les raisons de l’échec américain. Un ennemi doté d’un esprit de sacrifice tel que toute tentative de le briser nécessite de faire le mal et d’accepter pour soi l’horreur et la souffrance. Apocalypse Now fait de la guerre du Vietnam l’expérience collective du mal au nom de la grande stratégie de la lutte contre le communisme ». Le film dans son montage original rappelle qu’il faut éviter la guerre à tous prix, on discerne un peu mieux l’influence guerrière du scénariste John Milius (dont nous reparlerons plus tard) dans la version Redux qui sortira dans les années 90. Ce film s’est vu refusé toute aide de l’armée à cause du mot « exécuter », dans ce film un marine doit exécuter un autre marine. « Totalement illégal pour ne pas dire ridicule (…) Dans ce genre de film ça n’est pas très intéressant de faire remarquer que les médailles ne sont pas les bonnes ou que les coupes de cheveux ne sont pas réglementaires » Ce genre d’histoire déplait fortement au Pentagone, le conseiller militaire Dyle soutient Strub : « Phil Strub est là pour soutenir la politique du gouvernement, du commandant en chef, du président des Etats Unis (…)son rôle est de soutenir leur mission » L’armée choisit donc ce qui est bien de raconter, et ce qui ne l’est pas. Elle choisit qu’un film comme Top Gun ou L’Aube Rouge ne sont pas des films ridicules. Réfuter les horreurs de la guerre, mentir et réécrire l’histoire n’est bien sûr pas illégal. David Robb pense qu’« Un bon film est un film qui montre que la guerre n’est pas la bonne solution. Tous les films qui ont reçus l’aide de l’armée affirment le contraire. Les films sont meilleurs quand l’armée n’y participent pas, par ce qu’ils reflètent le point de vue de l’auteur et non celui de l’armée. »
Apocalypse Now sort en 1979 alors que depuis quelques années le Vietnam a fait exploser le complexe militaro cinématographique en deux. Un pôle conservateur, la majorité silencieuse définie par Nixon qui devra attendre quelques années pour prendre sa revanche, et un pôle libéral qui dénonce avec vigueur la guerre du Vietnam et l’appareil politique et stratégique qui l’a soutenu. C’est la position dominante apparue au cours des années 70 et qui vaudra jusqu’à l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir. Ces quelques années sont témoins de grandes tensions (affaire du Watergate, espion à la Maison Blanche découvert par la Navy, coup d’Etat de Pinochet organisé par la CIA, impossibilité de dissuader l’URSS d’envahir l’Afghanistan…) et toutes ces tensions vont éclater dans la production hollywoodienne qui produira dans cette décennie des films conscients de la rupture entre le peuple et ses institutions. Les Trois jours du condor (1975) est un thriller politique qui justement articule ce divorce entre l’opinion publique et la sécurité nationale. Le « mal » n'est plus l'étranger mais il est engendré par une bonne famille (Le monstre est vivant 1974) dans la maison, (Damien 1976, L’Exorciste 1973), au cœur des campagnes (Deliverance 1972, The Texas Chainsaw Massacre 1974). Le cinéma se fait porte parole d’une contestation sociale dans des films à budgets modestes (Dawn of the dead 1978) mais aussi dans des plus gros budgets comme Taxi Driver (1976) ou Voyage au bout de l’Enfer (1978), des œuvres nihilistes s’appuyant sur la disqualification du système stratégique américain. Même les superproductions chorales sur la seconde guerre mondiale héritées du Jour le Plus long finissent dans le défaitisme avec en 1977 Un pont trop loin qui, ce coup ci, narrera les déboires de la mission Market Garden, une opération américaine ratée.
Cette époque ne durera pas et très rapidement l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir va, au tournant des années 80, complètement changer la donne et retourner la situation. L’historien américain Lawrence H. Suid le résume parfaitement : « Hollywood a attendu que la guerre (du Vietnam) soit finie pour redemander l'aide du Pentagone. Parce que ce qui intéresse Hollywood, c'est de faire des films qui rapportent et la guerre ne rapportait plus puisqu'elle était devenue controversée ». De déprimants, les films étaient devenus plus intrigants avec ceux de Coppola et Cimino, ils passeront bientôt du rejet au refus de l’oublis, puis à sa glorification.
1981 : « America is back ! »
. C’est lorsque Ronald Reagan arrive au pouvoir en 1981 que l’on connaît alors un retour à la bonne vieille entente d’antan. Les mêmes méthodes pour les mêmes buts. Avec le retour en force des faucons qui proclamèrent comme slogan de campagne « America is back ! », l’Amérique est de retour, on retourne à une posture très offensive contre l’URSS et contre l’idée de « déclin » de l’empire américain amorcé dans les années 70.
Ce début de décennie c’est aussi le choc provoqué par la sortie du premier Rambo encore aujourd’hui considéré comme un « beau » film « émouvant ». Ce film montre un soldat incompris, errant sans but, rejeté de partout qui se révoltera contre une société dont il se sent victime, rejeté. La morale défendue par le film explique que la société fait une erreur lorsqu’elle tourne le dos à son armée, lorsque celle ci à obéit aux ordres du pouvoir élu. Rambo transporte la guerre du Vietnam au territoire des USA car son ennemi, finalement est chez lui, ce sont ceux qui l’ont appelé « boucher » à l’aéroport. « Ils nous jugent, ils ne savent pas de quoi ils parlent… » La dimension christique est déjà présente dès ce premier opus : Jean Ungaro voit le rejet du peuple contre ses soldats comme les Sadducéens et les Philistins rejetant le Christ. Rambo, ne parlant quasiment pas, est comme une icône vivante s’exprimant avec son corps magnifié. De plus, contrairement au roman dont il s’inspire, Rambo ne meurt pas à la fin, il reste vivant. Et cette réécriture est l’amorce d’une plus vaste réécriture qui va alors se mettre en place. Depuis la mort de Kennedy l’Amérique n’a vécu que des défaites et subit une profonde perte de légitimité. Le cinéma va alors se mobiliser avec le pouvoir politique pour produire une « histoire rêvée » et restaurer la puissance alors effritée de ses mythes. En effet, le traumatisme vietnamien interroge l’opinion publique sur la justesse de cette guerre et provoque un réel trouble identitaire. Depuis le début de son histoire, l’Amérique est bercée par son mythe de la Destinée Manifeste, si cette guerre est injuste, les USA ne sont donc plus cette nation messianique et deviennent une « simple » superpuissance.
Voyant là un risque pour la cohésion de l’identité collective, Hollywood va inverser ce rapport négatif à l’Histoire en reprenant la guerre là où l’avaient laissé les militaires pour l’achever dans la victoire. Suivent alors juste après le premier Rambo en 1983 Retour vers l’enfer, dans lequel il s’agit d’aller chercher des prisonniers et où l’on voit que pour l’Amérique la guerre n’est pas finie, qu’elle est juste suspendue. « Le Vietnam on l’a quitté à cause des politiciens, on y retournera pour y chercher les nôtres et y sauver notre honneur », c’est le thème central de ce qui va donner naissance aux « Missing in action movies » (M.I.A.). Ce film obligera Clint Eastwood qui voulait produire un film similaire à se rabattre sur un autre sujet. : Firefox, l’arme absolue, qui marquera le début des films à la gloire de l’Air Force, rapidement suivi de L’Etoffe des Héros de Kaufman flamboyante ode patriotique sublimant la conquête du ciel, puis de l’espace. et préparant au succès de Top Gun.
En 1984 pour les films M.I.A., c’est un cran au dessus avec l’impayable Portés Disparus de J. Zito dans lequel Chuck Norris va retourner au Vietnam. Lui aussi veut récupérer des prisonniers oubliés et en profite pour créer une réalité alternative dans laquelle l’Amérique prend sa revanche sur le Vietcongs et s’épanouit dans une victoire militaire rêvée. « Portés Disparus valide la stratégie guerrière du héros xénophobe dans une scène triomphaliste qui le montre interrompant, prisonniers de guerre au bras, une réunion diplomatique dénoncée comme inefficace et hypocrite » écrit M. Kac-Vergne dans Le cinéma des années Reagan. Mais ce n’est rien par rapport à ce que Rambo II La Mission sorti un an plus tard en 1985 va offrir au public américain. Lui aussi retourne donc au Vietnam rechercher encore des prisonniers, et il interroge le pouvoir politique dès le début du film : « Cette fois on nous laissera gagner ? » étant évident que la hiérarchie militaire, les médias et les pacifistes furent responsables de la défaite ! Il est alors bien sûr trahi par le pouvoir politique et se fait capturer. Commence alors pour lui, et pour le public américain, un chemin de rédemption fait de trahisons, de chagrin, de tortures et de survie, il se sublime dans un parcours christique qui l’emmène dans l’eau, sur la terre et dans les airs pour finalement triompher de ses ennemis dans un véritable déluge de feu et d’acier, animé d’une colère quasi divine. « Il finira par clamer son désir de justice pour ceux qui ont sacrifié leur vie par amour pour une nation qui nie l’immensité de leur sacrifice ». Amen. Pour le critique Yannick Dahan, « En proposant, par une idéalisation de la force militaire et du patriotisme, de corriger l’histoire, Rambo 2 se présente donc clairement comme un film révisionniste ». Gérard Lenne écrit dans sa critique du film dans le Libération du 18 Octobre 1985 : « Bon, maintenant tout le monde est au courant de la déclaration musclée que fit Reagan à la sortie de Rambo II : « Je saurai quoi faire lors de la prochaine prise d’otages ». Et comme la réalité (…) dépasse toujours la fiction, le 11 Octobre dernier Ronald a effectivement montré ce dont il était capable, lâchant ses F14 sur un Boeing de pirates palestiniens pour le forcer à atterrir en Sicile sur une base de l’OTAN. » Ce recours à la force expéditive a toujours été présent dans le cinéma américain, mais avec l’arrivée de Reagan au pouvoir, c’est un véritable déchaînement de justice aveugle qui s’abat sur le monde du cinéma. Des caricaturistes vont dessiner le visage de Reagan sur le corps de John Rambo, ce dessin sera utilisé par le parti républicain en poster, badges, t-shirts pour assurer sérieusement la promotion du président.
Dans Cobra (de George Pan Cosmatos - 1986) Stallone qui incarne le flic ultra brutal Marion Cobretti dit à un journaliste qui le questionne sur ses méthodes expéditives d’aller poser ces questions aux familles des victimes avant d’ajouter « je ne traite pas avec les criminels, je les supprime ». Au moins les choses sont claires.
En 1986 le très prolifique Chuck Norris est une nouvelle fois de plus à l’écran dans Delta Force (réalisé ce coup ci par Menahem Golam, un des deux célèbres patrons de la Cannon) pour mettre en échec un groupe de terroristes arabes inscrivant ce film dans cette série d’œuvres cinématographiques qui offrent aux Américains une image plus forte de leur pays en montrant notamment que la victoire contre le terrorisme permet de digérer les défaites antérieures.
Le cinéma de sécurité nationale clairement engagé dans le processus de guérison de la mémoire et de l’identité stratégique américaine va donc créer une réalité virtuelle servant de socle à la reconstruction reaganienne. C’est la grande réconciliation entre le cinéma et l’appareil stratégique, on ressort donc les vieilles recettes et c’est là que la menace soviétique resurgit, la lutte « anti-rouge » étant la véritable matrice du discours américain, sur le plan stratégique ou cinématographique depuis 1945.
Pour permettre de développer son effarant appareil de sécurité Reagan a besoin d’une menace symétrique, ils vont donc faire du neuf avec du vieux et se mettre à raconter n’importe quoi. Les discours de Reagan évoquent des alliances multinationales qui voient Castro, Kadhafi, Arafat, les Ayatollahs et les Russes manœuvrer tous autour d’une table tels les responsables du SPECTRE (l’organisation criminelle dans les James Bond) cherchant à détruire l’Amérique. C’est la théorie du complot mondial où les USA se feraient encercler par une menace qui peut venir de partout. La seconde partie du discours reaganien insiste donc sur la nécessité, sur le besoin absolu, sur la mission d’ordre divine donc faisant que le peuple américain a de contrecarrer cet ennemi qui s’attaque à la Nouvelle Jérusalem. C’est en 1984 que sort le film le plus emblématique de cette époque : L’aube Rouge, un film de J. Milius qui raconte l’invasion des USA par des armées communistes sud américaine téléguidées par l’URSS. Scénariste sur Apocalypse Now (« J’aime l’odeur du napalm le matin » c’est lui) Les Dents de la Mer (toute l’anecdote de l’USS Indianapolis c’est lui aussi) et également le controversé Inspecteur Harry (le « make my day » de Harry repris en slogan par Reagan c’est lui aussi) et réalisateur également de Conan le Barbare, John Milius se définit lui même comme « un grand gaillard, amateur de flingues, belliciste, de droite et se voit comme un fasciste zen ». Au début du film, qui se passe dans un proche futur, on apprend que les Verts en arrivant au pouvoir en Allemagne démantèlent les rampes de missiles américains présentes sur leur sol, que la France (dirigée alors par les socialos communistes) regarde ailleurs et que donc les USA sont seuls, face à leur destin. Le film suit un groupe de lycéens qui vont prendre le maquis et qui vont mener des actions de guérilla contre l’occupant. Symbolisant l’Amérique des colons, ils se réapproprient leur identité dans la lutte farouche contre l’envahisseur communiste. On constate que personne dans le film n’est surpris de l’invasion soudaine du pays tant cette menace semble être présente et la réponse ultra brutale (les jeunes n’hésitent pas à exécuter leurs prisonniers ou leur camarde qui les a trahis « Nooon si tu les tues, quelle est la différence entre nous et ces types ? » chouine l’un des partisans « La différence c’est que nous c’est notre pays ! » rétorque sèchement le héros. Cette logique imprègne le discours reaganien. Le plus fou c’est qu’il ne s’agit pas là à proprement parler de films de propagande. Ils n’ont pas été commandés par le pouvoir politique ou par le Pentagone, ils participent juste à l’avènement d’une idéologie qui puise sa source aux racines mêmes de l’Amérique.
En 1986 Aliens et exploite de nouveau la figure du pionnier et de la frontière. De manière systématique à partir de cette époque, la réponse à tout problème, toute agression réside dans une réponse militaire. Alors que l’armée « régulière » n’est pas assez puissante pour venir à bout des aliens, Sigourney Weaver va incarner la figure héroïque trahie par le politique qui va par son astuce et son courage vaincre de manière ultra violente la menace. Eric Leguebe voit dans l’apparition du Marine Colonial Corps « le premier film de soutien psychologique à la stratégie de Guerre des Etoiles » dont nous allons parler plus loin.
Des plaines du Texas au confins de la Galaxie, America is Back ! La menace est si puissante qu’elle nécessite de s’y préparer et les avertissements pleuvent sur les écrans. « L’Amérique n’était pas prête, lui, si » peut on lire sur l’affiche de Invasion USA. « Lui », c’est bien sûr Chuck Norris une nouvelle fois dans un film du besogneur de la Cannon Joseph Zito, qui, un an après le film de Milius, lutte contre une nouvelle invasion soviétique sur le sol américain.
1986 toujours, Tom Cruise fait des pirouettes dans un avion et des pilotes américains font des doigts d’honneur à des pilotes soviétiques. Top Gun, dont nous avons déjà parlé est « …le film qui d'une certaine manière a ravivé l'affection qui existait à l'état latent entre le Pentagone et Hollywood. Et si le film a eu cet effet là, c'est avant tout parce que Top Gun était une superbe affiche de recrutement pour l'armée » déclare Jim Hoberman, l’un des critiques de cinéma les plus influent aux Etats-Unis. L’armée investit dans la technologie parce qu’elle pense que c’est ce qui tactiquement fera la différence avec ses ennemis, cette nouvelle technologie militaire fournit à l’armée de nouvelles choses excitantes à filmer. Top Gun est bien plus glamour avec ses appareils compliqués, sa technologie « propre » et son rock’n’roll que des soldats qui pataugent dans la boue. Phil Strub est tout à fait d’accord : « ce film réhabilitait l’armée en la rendant de nouveau respectable et digne d’intérêt. Ce film a démontré qu’on pouvait produire un film qui présentait l’armée d’une manière positive et gagner beaucoup d’argent sans pour autant devenir un paria à Hollywood (…) celui qui symbolise le mieux ce changement dans l’opinion publique »
Quelques voix s’élèvent contre cette glorification du patriotisme et de l’argent roi qui règne pendant ces années. Contre cette vision particulièrement brutale des rapports humains (de Chuck Norris à l’Harrison Ford du pro yuppie Wall Street de 1988) John Carpenter sort quelques années après l’ultra cynique New York 1997 (dans lequel un homme doit sauver le président des USA parce qu’il y ait contrait pour finalement refuser de sauver le monde) un film d’action d’apparence très reaganien dans la forme (et dans le thème de la dénonciation des élites politiques) et particulièrement critique dans le fond. Le héros de They Live (le titre original) est un hobbo, un vagabond qui va découvrir un complot et qui va le mettre à bas. Ce complot est stupéfiant : en effet chaussé de lunettes spéciales, toutes les publicités deviennent ternes et les slogans « mariez vous, faites des enfants, tu dois vénérer l’argent » apparaissent un peu partout. Les yuppies, les capitalistes, les flics sont en fait des extra-terrestres qui asservissent le peuple. John Carpenter l’a dit : « They live est un documentaire, pas une fiction ».
A la même époque Verhoeven réalise Robocop, film au propos apparemment lui aussi critique, mais qui se révélera n’être pas loin des problématiques de ses petits camarades. La critique du monde de l’entreprise est évidente mais elle participe à la méfiance habituelle envers la collusion entre les puissances politiques, financières et policières. De plus le film ne remet pas en cause l’existence de ces trusts mais plutôt leur absence de contrôle interne. Le personnage de Robocop est plutôt intéressant, car c’est en devenant invincible qu’il perd tout humanité. Il se montre incapable de compassion face à une femme qu’il vient de sauver. En s’humanisant le héros revient dans les rails du héros classique qui utilise la force pour accomplir sa mission et s’accomplir, reprenant sa place au sein des « héros reaganien » selon l’expression de Pascal Fauvet. Le héros reaganien c’est d’abord un self made man individualiste parti de rien et qui deviendra à force d’épreuves quelqu’un. Cette première particularité est au centre de film comme Rocky, Karaté Kid, Conan… Le second point est que ces sont invulnérables, tout en restant humains (ils saignent, souffrent beaucoup…), pensez à Sarah Connor (Terminator) Conan, John McClane (Die Hard) ou Ripley (Aliens). Ces deux points sont ceux qui définissent le mieux l’image de Reagan, self made man qui parti d’un statut d’acteur de série B est arrivé au plus haut poste mais c’est aussi lui qui a échappé à un attentat en 1981, au cancer en 1985 et qui conservera dans la maladie d’Alzheimer contractée en 1990 une image d’homme indestructible. Ce héros ne donne le meilleur de lui même que lorsqu’il est confronté à un son double antagoniste, la lutte contre cet antagonisme est nécessaire pour que le héros se révèle à lui même et prenne conscience de qui il est. Sur le même schéma, Reagan a reconstruit la menace soviétique pour avoir un ennemi crédible à mettre en face, ce principe de guerre perpétuelle dont parle Orwell dans son classique 1984 est plus que jamais une des stratégies principales de l’appareil politico-militaire américain.
A cette époque, lorsque le président déclare vouloir lutter contre « l’Empire du Mal » (dans un discours de Mars 1983), les réalisateurs qui ont le vent en poupe sont James Cameron (Terminator), John Milius (L’aube Rouge), John Mac Tiernan (Die Hard), Richard Donner (L’arme fatale), c’est l’avènement d’acteurs comme Stallone, Schwarzenegger, Chuck Norris, Bruce Willis, Mel Gibson, Sigourney Weaver, Denzel Washington… Tout ce beau monde ayant comme particularité d’être spécialisé dans le cinéma de Sécurité Nationale. C’est l’affirmation de la puissance d’un nouveau type de cinéma, souvent dû à des productions indépendantes comme celles de la Cannon.
A partir de la seconde moitié des années 80, la Destinée américaine s’accomplit triomphalement dans le délitement de l’URSS de Gorbatchev. En 1985 Rocky IV montre le boxeur Rocky Balboa porter l’estocade au cœur même de la Russie et propose un final pacifiste devenu possible par la défaite symbolique du régime communiste. Pour pouvoir vaincre il faut également que l’Amérique veille à ne pas être trop prétentieuse. Perdu dans les strass et les paillettes, Apollo Creed affronte de manière désinvolte le Russe au début du film et se fait massacrer, l’Amérique est un colosse au pied d’argile et risque la destruction si, perdue dans le tourbillon de l’argent facile, elle pense que la victoire est acquise. Le conseil de Rocky : retourner à la Terre et couper du bois !
Dans Double Détente en 1989, le policier russe joué par Arnold Schwarzenegger vient prendre des leçons aux Etats Unis pour aider les flics américains à lutter contre la nouvelle menace qui va remplacer ce qui était il n’y a pas si longtemps le terrible bloc soviétique par ce que l’on appellera bientôt la « Mafia Russe » et qui deviendra le nouveau cheval de bataille stratégique au tournant des années 90. On assiste à l’opposition du système américain qui parvient à réguler le désordre contre celui du système soviétique qui vacille sur ses fondations. Ce processus de délitement de l’URSS est magnifié en 1988 dans le film La Bête de Guerre où l’on voit un soldat russe se mutiner et comprendre que sa mission et donc que les choix des soviétique sombre dans un échec total, stratégique, politique, idéologique et humain. « La fiction de la défait est monopolisée par le système américain, qui la diffuse dans le système des images, vecteur essentiel de l’influence américaine dans la sphère mondiale des représentations et des idées » écrit Valantin. Cette idée est également présente dans le truculent Rambo III la même année. Rambo parti ce coup ci en Afghanistan lutter contre les russes à la tête d’une troupe de moudjahidins. Il explique finalement que ce n’est pas sa guerre et rentre chez lui devançant de quelques années l’attitude stratégique des USA sur ce dossier. Ce film participe à ce qu’on appelle la « doctrine Weinberger » de l’escalade horizontale. Ca consiste à opposer une réponse conventionnelle directe ou indirecte partout où le régime soviétique opère dans le monde. Cette soudaine revivification de la menace soviétique observée dans le cinéma américain des années 80 est pourtant sans aucun rapport avec la réalité. Alors que le processus d’implosion de l’URSS est déjà très avancé, elle ne sert finalement qu’à légitimer l’expansion de la puissance stratégique au nom de la sécurité des USA. Cette menace communiste est aussi utilisée pour mettre en scène la méfiance naturelle qu’éprouve l’opinion publique face au pouvoir politique. Cette contestation va prendre forme dans deux films d’Oliver Stone sortis en 1986 : Salvador et Platoon. Dans le premier film, très ambigu, on suit un reporter plutôt gauchiste qui va suivre les opérations militaires menées par la CIA. Lorsque les paysans se mettent à exécuter des prisonniers américains, il leur hurle « vous êtes devenus comme eux ! »… « comme si c’était la question majeure. Il brouille ainsi la différence entre des paysans indiens qui luttent pour ne pas être exterminés et des militaires génocidaires ». Dans ce film, Oliver Stone ne remet pas en cause l’intervention des USA au Salvador, il en critique juste les modalités regrettant que cette intervention semble avoir échappée à la régulation offerte par le pouvoir politique ayant pour devoir de contrôler le pouvoir militaire. Dans Platoon (film avec lequel l’armée a pourtant refusé de coopérer) qui se déroule lui au Vietnam, une section brûle un village mais escorte gentiment les habitants, les Vietcongs ne sont que des ombres et le véritable enjeu du film est dans la lutte qui oppose un jeune idéaliste à une brute incontrôlée. L’intervention américaine n’est absolument pas remise en cause, elle est validée et reste une opération non critiquable. Là aussi ce sont les modalités d’action qui sont pointées du doigt. Ce film qui semble pourtant véhiculer un point de vue en apparence pacifiste appelle à une violence régulée qui doit savoir rester « éthique » pour ne pas mettre en danger les fondations idéologiques américaines. « Ce qu’il advient des sociétés qui sont le théâtre des conflits politiques et éthiques propres au système stratégique américain n’est qu’entraperçu » (J.M. Valantin). On retrouve cette analyse illustrée cyniquement dans Full Metal Jacket de Stanley Kubrick (1987, film avec lequel l’armée à également refusé de coopérer), lorsqu’un journaliste interviewe l’engagé Joker qui déclare en substance : « Je voulais voir le Vietnam exotique, perle de l'Asie du Sud-Est. Je voulais rencontrer...des gens intéressants, de culture ancestrale, et les tuer ! ». J.M. Valantin conclue que « ces films fabriquent une image de la guerre froide et des affrontements indirects entre les 2 blocs dans le tiers monde comme autant de guerre américaines justes. Ils participent à la création d’une histoire virtuelle qui entre en concurrence avec la mémoire stratégique traumatisée, afin de commencer à la guérir, et entament un processus de réidentification de la nation à son appareil de sécurité nationale. » Les sources divergent pour Valantin Platoon est considéré comme une aubaine par les faucons du Pentagone, pour Robb, ils ont détesté. Au delà de ça, l’impact du film est incontestable. « Je pense que Platoon est devenu, (…) un véritable phénomène sociologique. Je ne sais pas si cela tient juste au fait que la société américaine était alors prête à une réconciliation entre les vétérans du Vietnam et le reste des Américains qui pour la plupart les dénigraient et ne s'étaient guère souciés de leur sort à notre retour, ou que le film était tellement génial que les gens sont sortis de leur réserve et qu'il a permis de faire fondre la glace » déclare le Capitaine Dale Dye, ancien Marine, vétéran du Vietnam et consultant depuis le début des années 80 auprès de cinéastes soucieux d’authenticité militaire. « Le fait est là. Grâce à Ronald Reagan, de sujet tabou, la guerre du Vietnam réhabilitée, a donné naissance à un genre nouveau » écrit Eric Leguebe. La guerre ainsi réhabilitée, Hollywood se permet de donner au cinéma de guerre vietnamien une articulation nouvelle, comique cette fois ci. En 1987 Barry Levinson sort ainsi « Good Morning Vietnam » narrant les turpitudes d’un DJ de la radio militaire joué par Robin Williams.
Les années 80 c’est aussi aux USA une augmentation considérable des budgets militaires. Le spectre de la menace nucléaire, de LA guerre, la dernière qui laisserai le monde désolé refait surface. En 1982 ce sont 500.000 personnes qui manifestent à Central Park pour le « Nuclear Freeze » ne remettant pas en cause la menace soviétique mais pensant que la menace nucléaire est bien pire encore. Le crédit pour le programme militaire n’est sauvé que de deux voix au Congrès. Un an plus tard, en 1983, le canadien David Cronenberg adapte Stephen King et montre le pouvoir présidentiel comme potentiellement destructeur dans le thriller fantastique Dead Zone. La nature même de la prise de décision de frappe nucléaire empêche toute médiation politique. Ce pouvoir inouï de destruction totale est laissé à une poignée de personnes incontrôlables. Le fantôme du Dr Folamour plane de nouveau et la peur que le pouvoir présidentiel hérité des pères fondateurs s’isole du système et de ses rouages de contre pouvoir est particulièrement présent dans les esprits. Toujours en 1983 John « Badaboum » Badham sous entend qu’un gamin peut hacker les systèmes informatiques du Pentagone et déclencher par insouciance une guerre thermonucléaire. En 1984, dans Terminator, on nous raconte que dans un proche futur l’ordinateur central du Pentagone va devenir incontrôlable et va se révolter contre ses créateurs déchaînant un feu dévastateur et une guerre sans fin. C’est aussi à cette époque, comme nous l’avons vu précédemment, que refleurissent des films sur le thème strict de la destruction nucléaire (Le jour d’après, Testament…). Mais contre ces films sombres, il y a une parade : les Chevaliers Jedi !
Ronald Reagan a toujours été plutôt frileux vis à vis du nucléaire, pour des raisons essentiellement religieuse. Il y voit là « l’instrument du démon », mais dans ce contexte de méfiance généralisée, il propose l’Initiative de Défense Stratégique (I.D.S.), programme rapidement baptisé sous le nom évocateur de « Star Wars ». Le principe est délirant : il s’agit d’un maillage de satellites équipés de lasers prévus pour détruire tout missile envoyé vers le territoire des U.S.A. La stratégie passe de l’offensif au défensif, l’éventuelle offensive restant de la responsabilité des russes. Dans le premier Star Wars, on voit l’Empire (du mal) détruire une planète entière, face à eux, on trouve les Chevaliers Jedi, représentant du Bien, armés d’un sabre laser, arme propre et spirituellement héritière du glaive de la justice. L’administration Reagan se jette dans cette symbolique pour défendre un programme coûteux qui selon elle doit rendre obsolète l’utilisation du nucléaire. Fin 1983, Ronald Reagan déclare dans un discours surréaliste : « L’I.D.S. a été surnommée Star Wars, mais ce n’est pas à propos de guerre. C’est à propos de paix. Cela ne parle pas de représailles, cela parle de prévention. Cela ne concerne pas la peur, cela concerne l’espoir. Et dans cette lutte, si vous me pardonnez de voler une réplique du film, la Force est avec nous ! ». La même année il parle de lutter contre « l’Empire du mal ». Alors que le pouvoir nucléaire devient illégitime (surtout à partir de 1985, de la décision bilatérale de réduction des armes et du dégel des relations grâce au retournement opéré par Gorbatchev) un nouveau pouvoir s’installe (militarisation de l’espace et des nouvelles technologies). De toutes façons, tout est bon pour que le public ne puisse pas se dire qu’une alternative pacifiste existe et tout est fait pour qu’il se sente enthousiaste devant le vote de budgets bellicistes et réactionnaires. Le message politique et stratégique inspiré par un souffle spirituel et pour un usage mesuré de la technologie dans la guerre est au centre des deux suites du premier Star Wars : L’empire Contre Attaque en 1980 et Le retour du Jedi en 1983. Ces films qui préparent, malgré eux, l’opinion publique à une juste militarisation de l’espace sont bien sûrs libres de toutes préoccupations propagandistes, mais ils fournissent un nouveau langage sur lequel s’appuiera la Maison Blanche et le Pentagone. Même si le programme I.D.S. est une pure fumisterie dont la réalité technique n’a rien à envier aux vaisseaux de la trilogie de George Lucas !
Cette enrichissante collaboration mutuelle entre « l’usine à rêves », le pouvoir politique et l’armée n’enthousiaste pas tout le monde, et aux Etats Unis quelques voix s’élèvent pour dénoncer ce mariage contre nature où la culture se retrouve pénétrée par des puissances agissant au nom d’intérêts stratégiques. Bernard Gordon, un scénariste qui fut mis au ban d’Hollywood durant le maccarthysme reproche le côté partisan de la collaboration entre Hollywood et le Pentagone : « J'ai toujours dit que les navires n'appartenaient pas à la marine, que les tanks n'appartenaient pas à l'armée de terre, que les avions n'appartenaient pas à l'armée de l'air ; tout ça appartient au peuple américain et devrait être mis à la disposition de toutes les sociétés de production qui en ont besoin. Elles ne devraient pas dépendre du bon vouloir de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la marine pour pouvoir les utiliser. »
Mais chez beaucoup de professionnels, les années Reagan sont perçues comme une bénédiction. Michael Winner (réalisateur de Un Justicier dans la ville avec Bronson) « Les Américains ont combattu le communisme pour la première fois pendant la Guerre du Vietnam mais alors les studios (…) penchaient du côté de la culpabilité. (…) Puis est arrivé Reagan qui, de ses bagages allait ressortir le sentiment de patriotisme et de fierté. C’est lui qui a permis au cinéma antimarxiste de s’exprimer », Chuck Norris : « Je suis très fier d’avoir Reagan comme Président de mon pays », Scott Glen (acteur dans L’Etoffe des Héros) : « Toute nation, toute culture doit être orgueilleuse d’elle même. Ce sentiment indispensable est revenu avec Reagan. Les êtres d’où qu’ils soient (…) ont le devoir d’être forts. Avoir honte de soi, de son pays, de ses convictions, des siens est à la fois stupide, inutile et périlleux. »
A partir de la fin des années 80, le schéma va évoluer. Reagan est désormais le chantre de la paix et s’affiche avec Gorbatchev, la menace soviétique s’efface dans le délitement du pays. De nouveaux antagonismes vont naître, principalement autour des cartels de la drogue, des mafias russes ou des réseaux terroristes transnationaux, mais restant toujours dans le cadre des mythes fondateurs et des mythes politiques que nous avons évoqué dans l’introduction. L’époque surréaliste des Joseph Zito / Chuck Norris va tomber en désuétude en même temps que la boite de production Cannon (des inénarrables cousins Menahem Golan et Yoram Globus) s’écroule en 1988. Les budgets explosent et le format « blockbuster » va devenir la norme de ces films. Suite au prochain numéro avec la série des Die Hards, l’oublis de la Guerre du Golfe, le développement de nouvelles menaces jusqu’au retour vers les films récents sur la guerre en Irak.
. Bibliographie :
-Ronald Reagan acteur et le cinéma reaganien de Eric Leguebe. Ed. France Empire. 1987
-Hollywood et le Pentagone coopèrent dans les effets spéciaux et les techniques de simulation dans Le Débat Stratégique n°46 de Maurice Ronai. Septembre 1999
-Guts and Glory : The Making of American Military Image in Film de Lawrence H. Suid. Ed. The University Press of Kentucky). 2002
-Hollywood, le Pentagone et Washington, les trois acteurs d’une stratégie globale de J.M. Valantin. Ed. Autrement. 2003
-Le cinéma des années Reagan, un modèle hollywoodien ? sous la direction de F. Gimello-Mesplomb. Ed. Nouveau monde. 2007
-Operation Hollywood : How the pentagon shapes and censors the movies de David Robb. Ed. Prometheus Books. 2004
-Star wars, le côté obscur de l'Amérique de Thomas Snégaroff. Ed. Armand Colin. 2018
. Documentaire :
-Opération Hollywood de Emilio Pacull et Maurice Ronai. Arte Prod. 2004
Donald Trump est le rejeton caricatural de la culture américaine
Le Figaro - Jean-Pierre Robin – 03 sep 2018 (Extraits)
. Tout au long de cet été torride 2018, Donald Trump nous a fait vivre des moments inouïs, bien plus palpitants que la série The West Wing (À la Maison-Blanche) et ses 155 épisodes. La réalité dépasse la fiction, dira-t-on. En même temps, les films constituent la meilleure propédeutique pour comprendre « la vie réelle ». Si le 45e président des États-Unis peut nous étonner par la brutalité de ses propos et de ses actes, il ne saurait surprendre les fans du cinéma américain qui les a accoutumés à de telles violences.
. … L’industrie cinématographique de Hollywood regorge depuis des lustres de … stigmatisations des étrangers. « Hollywood est une usine à rêves, certes, mais aussi une formidable machine à générer de l’ennemi », écrit l’expert militaire Pierre Conesa dans un livre au titre évocateur (Hollywar, Hollywood arme de propagande massive, Éd. Robert Laffont).
Cela a commencé « avec le western ; plusieurs générations de spectateurs ont considéré les cow-boys comme les bons et les Indiens comme les méchants ». Le cinéma hollywoodien n’a de cesse de « véhiculer des stéréotypes quand il traite de l’Autre, le non-Américain, le Noir, le (Peau-)Rouge, le Jaune, le basané, le Blanc nazi ou le communiste ». Et Pierre Conesa d’ajouter, « avec l’arrivée au pouvoir de George W. Bush, puis de Donald Trump, de nouveaux ennemis sont apparus, dont le petit Français et l’Arabo-Irano-musulmano-terroriste ».
. Cette vindicte obsessionnelle découle de l’Histoire comme l’a bien décrit Tocqueville en 1835 (La Démocratie en Amérique) à propos des Blancs, des Noirs et des Indiens qui se partagent le même territoire : « On découvre en eux, dès le premier abord, trois races naturellement distinctes, et je pourrais presque dire ennemies. » Or quand on a des ennemis, il faut se défendre.
… Le climat de violence est entretenu à l’envi par Hollywood. « La violence fait partie de la culture. Je suis un grand fan de l’action et de la violence au cinéma. C’est pour cela que Thomas Edison a inventé la caméra », a pu déclarer le réalisateur Quentin Tarantino. L’actuel chef de la Maison-Blanche baigne dans ce culte qui guide tous ses faits et gestes, y compris en économie.