Après Jefferson, d’autres présidents américains sur la sellette ?

Le Figaro – 19 oct 2021 / Contrepoints - Gérard-Michel Thermeau (pour le chapitre humoristique) – 21 oct 2021

            Alors que la statue, sculptée en 1833 par le Français Pierre-Jean David d'Angers, trône depuis 1915 dans une galerie de la grande salle du City Hall, dans le sud de l'île de Manhattan, le 18 octobre 2021,  la commission de l'aménagement public de la ville de New York a approuvé à l'unanimité le retrait de cette pièce emblématique de plus de deux mètres de haut, répondant ainsi à une demande de longue date d'élus noirs et latinos qui pointaient le passé esclavagiste du troisième président des États-Unis (1801-1809), l'un des auteurs de la Déclaration d'indépendance du pays.

            Père fondateur des États-Unis, Thomas Jefferson ne dominera plus les conseils municipaux de la ville de New York. Souvent présenté comme un esprit des Lumières, Thomas Jefferson possédait néanmoins plus de 600 esclaves et avait eu six enfants d'une d'entre elles, Sally Hemings.

            Le sujet est délicat, aussi la commission de l'aménagement public de New York n'a-t-elle pas décidé où recaser la statue devenue encombrante. Avant le vote, l'une des options inscrites à son agenda était un prêt « à long terme » à la Société historique de New York, « pour protéger l'œuvre et offrir la possibilité de l'exposer avec une remise en contexte historique et d'éducation », écrivait la commission. De même, un groupe d'historiens avait écrit de son côté à la commission pour demander que la statue ne quitte pas le City Hall et soit déménagée dans la salle des Gouverneurs, là où elle se trouvait de 1834 à 1915. Ils rappelaient notamment que la statue avait été donnée à la ville par un officier naval juif, Uriah Levy, pour rendre hommage à l'engagement de Jefferson pour la liberté de religion.

            Le débat sur les figures tutélaires américaines est ancien et les premiers appels à retirer la statue de Jefferson de la chambre du conseil à New York remontent au début des années 2000. Mais si une statue de Jefferson, le troisième président des Etats-Unis, n'a pas sa place au City Hall, alors c'est aussi le cas pour celle de George Washington, qui possédait 577 « êtres humains ».

La statue de Jefferson retirée de la chambre du conseil de la mairie de New York. CARLO ALLEGRI / REUTERS

            Et après Jefferson, à qui le tour ? Suivant la logique woke voici une liste humoristique des présidents sur la sellette à déboulonner.

En effet, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? L’heure de Washington ne saurait tarder à sonner. Il paraît nécessaire, voire urgent, de débaptiser la capitale de l’Union. Peut-on admettre qu’elle porte le nom de George Washington, esclavagiste notoire, tache indélébile à n’en pas douter pour la « longue et nuancée histoire » américaine ? Pour un nom de remplacement, le choix ne manque pas, mais je laisse à l’imagination créatrice de notre belle époque le soin d’y suppléer. Il faudra aussi songer à faire disparaître des billets verts une figure aussi répugnante.

            Il va falloir ensuite sérieusement s’occuper de la galerie des portraits présidentiels à la Maison Blanche et en décrocher tous les « mauvais présidents ». Mais qui sont-ils ?

Les présidents fondateurs : un sur six à conserver

George Washington : un esclavagiste. À éliminer d’office.

John Adams : un salaud qui considérait que les « riches, les bien-nés et les capables » devaient avoir une place à part dans les assemblées. À éliminer.

Thomas Jefferson : francophile et esclavagiste. Deux tares fâcheuses. À éliminer d’office.

James Madison : un belliciste. À éliminer.

James Monroe : auteur d’une Doctrine qui a justifié l’impérialisme yankee sur l’hémisphère occidental. À éliminer.

John Quincy Adams : il était opposé à l’esclavage. On le garde à tout hasard.

Les présidents américains d’avant la guerre civile : rien à garder

Andrew Jackson : exterminateur d’Amérindiens et esclavagiste. À éliminer sans hésiter.

Martin Van Buren : anti-esclavagiste mais exterminateur des Cherokee. À éliminer quand même.

William Henry Harrison : esclavagiste, et de toute façon mort au bout d’un mois. Autant l’éliminer.

John Tyler : esclavagiste. Il est par ailleurs inconnu, il ne manquera donc à personne.

James Polk : un salaud qui a privé les Mexicains de la moitié de leur territoire. À éliminer.

Zachary Taylor : un esclavagiste. À éliminer.

Millard Fillmore : un salaud qui traquait les esclaves fugitifs. À éliminer sans hésiter.

Franklin Pierce : encore un esclavagiste, décidément ils le sont tous. À éliminer.

James Buchanan : un incapable face à la question de l’esclavage. À éliminer.

Les présidents de la guerre civile à la Grande guerre : on en garde davantage (provisoirement)

Abraham Lincoln : bon, il a aboli l’esclavage mais c’était un méchant « raciste ». Et peut-on lui pardonner d’avoir créé le parti républicain ? En sursis provisoire.

Andrew Johnson : c’est un sudiste, une bonne raison pour l’éliminer.

Ulysses S. Grant : un brave type mais, bon, que de corrompus autour de lui. En sursis provisoire.

Rutherford B. Hayes : il a laissé les mains libres aux sudistes. À éliminer.

James A. Garfield : assassiné au bout de six mois. En sursis provisoire.

Chester A. Arthur : il a empêché l’intégration des Chinois. À éliminer.

Grover Cleveland : il a fait tirer sur les ouvriers et permis la ségrégation dans le Sud. À éliminer.

Benjamin Harrison : on ne sait pas trop qui c’est mais il s’est soucié des Noirs. À garder.

William McKinley : un impérialiste mettant la main sur Cuba et les Philippines. À éliminer.

Théodore Roosevelt : il aimait les nounours et a créé les parcs naturels. D’un autre côté, gros chasseur et fichu impérialiste quand même. En sursis provisoire.

William H. Taft : encore un impérialiste. À éliminer.

Les présidents des guerres du XXe siècle : les saints et les autres

Woodrow Wilson : hum, a donné le droit de vote aux femmes mais gros admirateur de Naissance d’une Nation. Pacifiste mais intervenant dans la Grande guerre. À discuter.

Warren Harding : il avait peut-être un ancêtre noir (bon point) mais il a restreint l’immigration (mauvais point). Beaucoup de corruption sous son mandat. À discuter.

Calvin Coolidge : pas de préjugé à l’égard des gens de couleur, d’accord, mais ce n’était quand même pas un progressiste. À discuter.

Herbert Hoover : trop nul, à éliminer.

Franklin Delano Roosevelt : partisan de l’État providence, a renforcé le présidentialisme. Un saint donc. À conserver obligatoirement.

Harry Truman : Hiroshima, Nagasaki, anticommunisme, maccarthysme. Pas bien tout ça. À éliminer.

Dwight D. Eisenhower : Un brave type comme Grant, dommage qu’il soit de droite. On garde pour le moment.

John Fitzgerald Kennedy : encore un saint. À conserver.

Lyndon B. Johnson : État providence et lutte contre la ségrégation (bon point) mais guerre du Vietnam (mauvais point). En sursis.

Richard Nixon : à éliminer, ça ne se discute même pas.

Gerald Ford : attention de ne pas se prendre les pieds dans le tapis en le décrochant.

Jimmy Carter : nul mais dans le bon camp.

Ronald Reagan : on ne peut pas encore y toucher mais ça viendra.

George Bush : on le garde pour le moment pour mieux éliminer son fiston.

Bill Clinton : le champion des scandales mais il est dans le camp du bien. En sursis.

Les derniers présidents américains en date : un saint et deux diablotins

George W. Bush : à éliminer bien sûr.

Barack Obama : encore un saint. Intouchable.

Donald Trump : inutile même d’en parler.