La Maison-Blanche, ... puis la vie ensuite

D’après : Le Figaro - Julie Connan – 21 jan 2021 / Geo - Charlotte Chaulin – 06 nov 2022

Un cadre de vie et de travail

.            Premier président des États-Unis d’Amérique, George Washington se dit qu’il faut une maison pour accueillir la plus haute figure politique de la jeune République. C’est lui qui sélectionne le site en 1791. L’année suivante, les travaux démarrent, sous la direction de l’architecte irlandais James Hoban, avec la pose cérémoniale de la première pierre. Mais la construction traîne en longueur. Résultat : Washington meurt en 1799 sans jamais avoir pu y habiter. Le bâtiment n’est pas encore achevé, mais tous ses successeurs, John Adams et sa femme Abigail les premiers, s’y établiront à compter du 1er novembre 1800.

.            Lors de la guerre de 1812-1815, les Anglais envahissent la capitale américaine et incendient la ville. Washington est en flammes, la demeure présidentielle et le Congrès aussi. Pour masquer les dégâts sur la façade de l’édifice, on la repeint d’un blanc uniforme. Mais au XIXème siècle, la Maison-Blanche ne s’appelle pas encore ainsi. On parle de Palace du Président (President’s Palace), Maison du Président (President’s House), ou bien de Demeure Exécutive (Executive Mansion). C’est Théodore Roosevelt qui officialisera le nom actuel de "Maison Blanche" en l’inscrivant sur le papier à lettres dédié au courrier officiel de la présidence en 1901. Ce nom vient probablement de la couleur du bâtiment, mais il existe une autre explication : il s’agirait peut-être d’une référence au nom du domaine que possédait Martha Dandridge Custis, l’épouse du président Washington : la White House plantation, située dans l’État de Virginie.

.            Le château de Rastignac, dans le Périgord, ressemble à s’y méprendre à la Maison-Blanche : même rotonde avec six colonnes de style néoclassique. Il se trouve dans le village de La Bachellerie, entre Périgueux et Brive. Mais alors, qui a copié qui ? La demeure périgourdine a été construite en 1811, soit 19 ans après la résidence du président américain ! La question semble vite réglée. Mais si l’on remonte un peu plus loin, aux origines de leur construction, on apprend que les plans du château de Rastignac datent d’avant la Révolution française. Ils étaient conservés à Bordeaux, ville dans laquelle aimait se rendre un certain Thomas Jefferson, alors ambassadeur à Paris (et futur président américain). En visite à l’école d’architecture, il serait tombé sur les plans du château de Rastignac… trois ans avant le début de la construction de la Maison-Blanche ! La demeure présidentielle est composée de 6 étages, sur un total de 55.000 pieds carrés, abrite 132 chambres, 35 salles de bain, 28 cheminées, 8 escaliers, 3 ascenseurs et 412 portes.

.            L’aile ouest de la Maison-Blanche (West wing) abrite les bureaux du président, et donc, l’une de ses plus célèbres pièces : le bureau ovale. C’est là que siège une table en chêne de 227 kilos, le Résolu (Resolute desk). Ce meuble massif, offert par la reine Victoria au président Hayes en 1880, a ensuite été utilisé par de nombreux chefs d’Etat américain. Atteint de polio, Franklin D. Roosevelt a fait placer une façade pour cacher l’évident et dissimuler ainsi ses jambes sur lesquelles étaient fixées des attelles. C’est d’ailleurs son épouse, Jackie, qui eut l’idée de placer cette table dans le bureau ovale ! Dans un des tiroirs de la table, chaque nouveau président trouverait un message personnel de son prédécesseur… "Good luck !", peut-être.

Et ensuite …

.            35 présidents (les autres ont succombé pendant leur mandat) ont emprunté les routes souvent sinueuses de l’après-présidence. « Tout en ayant bien plus d’options pour leur “retraite” que nous autres, cette transition leur est difficile et leurs choix vont de la décence au désastre, de l’altruisme à l’avarice », relève Stacy A. Cordery, historienne et professeure à l’Iowa State University.

.            Il fut évidemment un temps où la préoccupation d’un président sortant n’était ni de décrocher un contrat d’édition faramineux pour ses mémoires ni de choisir l’emplacement d’une future bibliothèque, et encore moins de continuer à influencer la marche du monde. Il fut un temps où une fois quittée la demeure exécutive, ces hommes devaient d’abord trouver des sources de revenus, faute d’indemnités. Et pour plusieurs, cette tâche a consisté à retrouver leurs terres et leurs esclaves.

.            Le premier de tous, George Washington (1789-1797) regagne sa propriété de Mount Vernon (Virginie) sur les rives du Potomac. Faute de liquidités, il se lance à 65 ans, juste avant sa mort, dans la production de rye whisky. Épaulé par un Écossais pour superviser la culture de seigle, il fait bâtir une distillerie qui devient en deux ans la plus importante du pays. Le pari paie : en 1799, il vend plus de 42.000 litres de ce breuvage pour 1.800 dollars, soit l’équivalent de 120.000 dollars aujourd’hui.

Comme lui, James Madison (1809-1817), autre père fondateur, se tourne vers sa plantation de tabac à Montpelier (Virginie) et ses sept esclaves. Conseiller occasionnel du président Andrew Jackson, il l’aide aussi à mettre sur pied l’université de Virginie, dont il sera chancelier jusqu’à sa mort.

D’autres « ex » ont préféré rester en politique. John Quincy Adams (1825-1829), 6e président et fils du deuxième, John Adams, se fait élire à neuf reprises à la Chambre des représentants. L’ancien secrétaire d’État défend aussi en 1841 devant la Cour suprême les esclaves africains qui ont pris le contrôle du navire espagnol La Amistad, et obtient leur libération. « Il n’y a rien de plus pathétique dans la vie qu’un ancien président », dira-t-il pourtant.

Quelques années plus tard, Grover Cleveland, 22e président (1885-1889), échoue à se faire réélire face au républicain Benjamin Harrison. Mais il ne s’y résout pas, son épouse Frances non plus. Persuadée qu’ils reviendront à la Maison-Blanche dans « quatre ans jour pour jour », elle demande au personnel de prendre soin des meubles et décorations afin que « tout soit remis à l’identique à leur retour ». Prophétie autoréalisatrice : Cleveland est réélu et devient le 24e président. Un cas unique dans les annales sur lequel lorgne Donald Trump en rêvant de 2024. Le démocrate deviendra ensuite administrateur de l’université de Princeton et conseiller occasionnel du républicain Theodore Roosevelt.

Catapulté de la vice-présidence à la Maison-Blanche en 1901 après l’assassinat du président William McKinley, Theodore Roosevelt devient à 42 ans le plus jeune président de l’histoire américaine et se fait élire en 1904 (1901-1909). Déçu par la présidence de William Taft, il retente sa chance en 1912 mais perd face à Woodrow Wilson. Après ce revers, l’explorateur et naturaliste se rend pour une expédition avec son fils en Amazonie où il contracte une fièvre tropicale qui le tuera.

William Taft (1909-1913) choisit encore une autre retraite active. Huit ans après avoir quitté la Maison-Blanche, il est nommé par le président Warren Harding Chief Justice à la Cour suprême. Une reconversion inédite dans les livres d’histoire.

.            À partir de 1958, les anciens présidents reçoivent davantage que de simples remerciements à la fin de leur mandat. Le Former Presidents Act leur octroie une pension annuelle de 25.000 dollars - un montant réévalué régulièrement qui a atteint 220.000 dollars en 2020 - ainsi que de quoi payer des locaux et du personnel pendant quatre ans et demi, une assurance santé et la protection du Secret Service.

Ce dispositif n’empêche pas Richard Nixon (1969-1974) d’affronter des problèmes financiers après sa démission causée par le scandale du Watergate. Le Congrès divise par quatre sa dotation. Début 1975, il se retrouve un temps avec seulement 500 dollars sur son compte. Mais la vente de ses mémoires et ses interviews payées - le britannique David Frost lui offre 600 000 dollars, l’équivalent aujourd’hui de 3 millions pour une série d’entrevues en 1977 - l’aident à remonter la pente.

De tous, Jimmy Carter (1977-1981) est celui qui a le mieux mis à profit sa post-présidence à l’issue d’un mandat pourtant impopulaire. « Je ne peux nier que je suis un meilleur ex-président que président », reconnaît-il humblement en 2005. Après sa douloureuse défaite face à Ronald Reagan, il rentre dans sa petite ville de Géorgie, où son entreprise d’arachides, en gérance pendant son mandat, est endettée… Mais il se lance dans l’humanitaire et la diplomatie à travers le Carter Center en 1982, et reçoit le prix Nobel de la paix en 2002 pour ses efforts en faveur de la résolution des conflits par la médiation et les accords de Camp David.

Bill Clinton (1993-2001) marche sur les pas de son aîné en lançant dès la fin de ses mandats la puissante Clinton Foundation, décrite par la journaliste Barbara Bradley Hagerty de The Atlantic comme un « Carter Center sous stéroïdes ».

.            Comme son père George H.W. Bush (1989-1993), George W. Bush (2001-2009) est un des anciens présidents encore en vie les moins visibles. Hormis l’ouverture d’une clinique spécialisée dans le traitement du cancer en Zambie, « W » choisit de se tourner vers le Texas, ses amis et consacre une partie de son temps libre à la peinture.

Barack Obama, jeune retraité de 55 ans (2009-2017), emprunte encore une autre voie, plus lucrative, faite de soft power et de contrats colossaux (livres, Netflix, podcasts) en tandem avec son épouse, Michelle Obama. Sa presidential library, comme le veut la tradition depuis Roosevelt, n’est en revanche toujours pas sortie de terre à Chicago.

Qu’ils soient devenus exploitants agricoles, représentants du peuple, peintres, écrivains, diplomates, qu’ils soient demeurés dans l’ombre ou dans la lumière médiatique, ses prédécesseurs constituent pour Donald Trump, le 36ème à devoir gérer une après-présidence, autant de modèles qu’il ne suivra probablement pas. Surtout si, comme l’affirme Mark Updegrove, directeur de la bibliothèque présidentielle Lyndon-Baines-Johnson, « les activités de nos présidents après leur présidence reflètent plus leur caractère que leurs années au pouvoir. »