Les icônes de la lutte contre le racisme aux Etats-Unis.

D’après CNews - Christian Taveira – 01 jun 2020

.            Aux Etats-Unis d'Amérique, où la ségrégation raciale a perduré jusqu'en 1964, la lutte s'est fédérée autour de plusieurs voix fortes, venues appeler les Noirs à combattre l'injustice et les humiliations et surtout à se mobiliser pour leurs droits civiques.

Le 28 août 1963, Martin Luther King entre dans l'Histoire avec son discours «I have a dream» [Archives / AFP].

Harriet Tubman : la "Moïse noire” de l’Amérique

.           Harriet Tubman (Aramintha Ross, de son nom de naissance) naît vers 1822, dans une plantation du Maryland, au sein d’une fratrie de 9 enfants. Bientôt la famille est séparée et dispersée dans plusieurs plantations. Enfant, Harriet est témoin d’une scène marquante : sa mère menace un commerçant blanc venu acheter l’une de ses filles. La transaction est annulée et l’acte de résistance de sa mère inspire Harriet. À 6 ans, elle est “louée” à une dame, Miss Susan qui la maltraite régulièrement.

A 12 ou 13 ans, elle est blessée à la tête et devient sujette à des crises d’épilepsie. Elle faisait des rêves prémonitoires, avait des intuitions, des hallucinations ; elle avait l’impression d’entendre Dieu, une sorte de Jeanne d’Arc à l’américaine. Ainsi, très jeune, Harriet développe une ferveur religieuse quasi mystique. Elle craint alors d’être revendue à une autre plantation et envisage une évasion à pied vers la Pennsylvanie, l'un des premiers États américains à avoir aboli l’esclavage.

.            Elle met ce projet en action en 1849 en s’enfuyant de la plantation Poplar Neck (Caroline County) pour effectuer, à pied, un long périple estimé à 160 km vers la Pennsylvanie. Elle est soutenue dans sa fuite par des membres de l’Underground Railroad, un réseau informel qui aide les esclaves à s’échapper vers le Nord, composé de Noirs libres, d’anciens esclaves et de Quakers, une communauté religieuse qui milite contre l’esclavage. Elle s’attelle à son tour à libérer des esclaves et à peine installée en Pennsylvanie, Harriet décide de repartir pour libérer sa famille et d’autres esclaves. Mais en 1850 une loi est votée qui punit tous ceux qui aident les esclaves à fuir. Harriet, pousse alors plus vers le Nord, et convoie les esclaves jusqu’au Canada. On estime qu’elle sauve ainsi 300 esclaves, en 20 voyages, sans jamais perdre une seule personne en route. Sa notoriété attire les chasseurs de primes qui veulent la capturer, mais ses exploits redonnent aussi espoir aux esclaves qui voient en elle une Moïse noire.

.            Lorsque la guerre de Sécession éclate, profitant d’une loi autorisant les « personnes de couleur » à s’engager dans l’armée, Harriet rejoint les troupes de l’Union : infirmière, cuisinière, éclaireuse et espionne. Son courage et sa détermination inspirent le respect jusqu’aux plus gradés de l'État-major unioniste. Prenant la direction d’une troupe de 150 soldats, elle s’illustre comme la seule femme (noire) à jouer ce rôle à cette époque. Elle participe à un important raid nordiste sur la rivière Combahee, en Caroline du Sud, durant lequel 3 bateaux à vapeur nordistes permettent à des centaines d’esclaves de s’échapper. Malgré son implication, elle attendra pendant 30 ans avant de toucher une pension militaire et vivra dans le dénuement toute sa vie.

.            Figure respectée, Harriet Tubman s’engage aussi aux côtés des suffragistes et milite pour le droit de vote des femmes avec Susan B Anthony. Le 10 mars 1913, Harriet Tubman meurt à 91 ans dans une propriété qu’elle a acquise, et y repose aux côtés de sa famille et de ses amis. Elle reçoit les honneurs militaires lors de son enterrement.

 Harriet Tubman vers 1885. Puis 1911.

.           .            En 1944, pendant la Seconde Guerre mondiale, son nom est donné à un navire de la Marine américaine. En 1978, elle est la première femme noire à avoir son effigie sur un timbre.

Sous l'administration Obama, lors d’une vaste enquête d’opinion menée par le Trésor, elle a recueilli une majorité de voix devant d’autres femmes comme l’ex–première dame Eleanor Roosevelt ou Rosa Parks pour figurer sur un billet de dollar en guise de reconnaissance de son activisme anti-esclavagiste et de son engagement féministe. En dépit de cette adhésion majoritaire, le projet a suscité dès sa première annonce des interrogations voire des polémiques quant à certaines contradictions qu’il met en exergue. Son portrait a finalement été retenu, pour figurer sur les billets de 20 dollars et remplacer ainsi le prédisent Andrew Jackson. Une décision reportée par l'administration Trump. Le 25 janvier 2020, 5 jours après l’investiture de Joe Biden, la nouvelle administration a annoncé sa volonté de concrétiser ce projet.

.            Si l’histoire d’Harriet Tubman est très documentée, c’est aussi l’un des seuls récits de femmes esclaves à être arrivé jusqu’à nous. Depuis 1990, aux États-Unis, le "Harriet Tubman day" est célébré tous les 10 mars.

Rosa Parks : «la femme qui s’est tenue débout en restant assise»

.            Née le 4 février 1913 dans l'Etat de l'Alabama (décès le 24 octobre 2005), Rosa Parks est l'une des plus emblématiques figures de la lutte contre le racisme aux Etats-Unis. Cette couturière de métier vit la ségrégation raciale au quotidien, mais un jour elle l'a rejetée d'un simple « non » et sa vie a basculé.

Le 1er décembre 1955, Rosa Parks a ainsi refusé de céder sa place à un homme blanc dans un autobus de la ville de Montgomery (Alabama). Interpellée par la police, elle s'est vu infliger une amende de 14 dollars. Son arrestation provoquera une vague de protestation sans précédent et inspirera un jeune pasteur de la ville, Martin Luther King, a organisé un mouvement inédit de boycott des bus. Décidés à protester contre cette injustice, les Noirs refusèrent pendant 380 jours de prendre les bus.

Le geste de Rosa Parks aura des conséquences très importantes puisqu'en 1956, la Cour suprême déclare que la ségrégation raciale ne respecte pas la loi américaine. Concrètement, c'est la première fois qu'il est reconnu aux Noirs les mêmes droits que les Blancs. Rosa Parks perdra toutefois son emploi et sera contrainte de déménager dans le nord, à Detroit.

Rosa Parks & Martin Luther King à Montgomery, dans l'État de l'Alabama, en 1955.Appelée parfois « la mère des droits civiques », elle s'est éteinte le 24 octobre 2005.

.            N’oublions pas Claudette Colvin, née le 5 septembre 1939 à Montgomery dans l'État de l'Alabama, qui, à l'âge de 15 ans, a refusé, le 2 mars 1955, de laisser son siège à une Blanche dans un autobus qu’elle avait pris à la même station que celle de Rosa Parks 9 mois plus tard, cela en violation des lois Jim Crow des États du Sud qui imposaient la ségrégation raciale dans les transports publics. À l'époque, Claudette Colvin a été mise en liberté conditionnelle, condamnée par un tribunal pour enfants, puis incarcérée, avant qu’une somme ne soit rassemblée par des figures de la communauté noire locale, dont Rosa Parks, pour payer sa caution. Elle fut l'une des plaignantes devant la juridiction locale qui prononça la décision de justice Browder v. Gayle (05 juin 1956), mettant fin à la ségrégation raciale dans les bus d'Alabama.

Son rôle pour l'avancée des droits civiques, après avoir été éclipsé par celui de Rosa Parks, est redécouvert, réévalué et valorisé depuis le début du XXIe siècle. En 2017, Todd Strange, maire de Montgomery, déclare que le 2 mars de chaque année sera le Claudette Colvin Day. Le 26 octobre 2021, elle a fait une demande officielle pour que son casier judiciaire soit purgé de toute mention de cette affaire.

Martin Luther King : le pasteur qui avait un rêve

.            Illustre défenseur des Noirs aux Etats-Unis, Martin Luther King naît à Atlanta (Géorgie) le 15 janvier 1929.

A six ans, ce fils de pasteur subit la ségrégation pour la première fois lorsque deux enfants blancs lui disent qu'ils n'ont plus le droit de jouer avec lui.

Diplômé en sociologie, devenu à son tour pasteur comme son père, il s'impliqua ensuite très vite dans la lutte pour les droits civiques.

Après avoir pris la tête du mouvement de boycott des bus de Montgomery en soutien à Rosa Parks, il déclara vouloir continuer la lutte « dans un esprit d'amour et de non-violence », ce qui lui vaut immédiatement d'être harcelé et de recevoir des menaces de mort.

En août 1963, à l'âge de 34 ans, il conduisit la célèbre marche sur Washington et c'est là, devant 250.000 personnes qu'il prononça un discours qui rentrera dans l'Histoire.

Dans ce texte intitulé « I have a dream » («Je fais un rêve »), le pasteur King en appelle solennellement à la fin du racisme aux Etats-Unis.

Il reçut le prix Nobel de la Paix, l'année suivante, en 1964, puis reprit ses marches pour les droits civiques dont celles de Selma, à Montgomery (Alabama), en 1965 pour le droit de vote des Noirs.

A Memphis (Tennessee) le 4 avril 1968 lors du soutien à une grève des éboueurs, il est abattu sur le balcon de son hôtel par un tireur. Il avait 39 ans. La voix de la non-violence est rendue silencieuse.

Un homme du nom de James Earl Ray est jugé coupable du crime et condamné à 99 ans de prison.

La statue du mémorial de Martin Luther King, inaugurée en 2011 par le président Obama, à Washington.

Malcolm X : le combattant et le révolutionnaire

.            Né Malcolm Little en 1925 dans le Nebraska, il assista à l'âge de 6 ans à la mort de son père, tué sous les roues d'un tramway. Une mort à l'époque remise en question par la communauté noire et qu’il refusera lui-même par la suite, arguant que sa famille avait souvent été la cible de Black Legion, un groupe de suprématistes blancs affilié au Klu Klux Klan.

Confronté très tôt au racisme, notamment lorsqu'un professeur détruisit ses rêves en affirmant qu'il ne pourrait jamais devenir avocat car noir, il bascula ensuite dans la délinquance et sera condamné à dix ans de prison, à New York, pour vol.  Il se passionna pour l'Histoire durant son incarcération et se convertit à l'islam.

A sa libération en 1952, Malcolm Little prend le surnom de Malcolm X, car il ne connaissait pas son vrai nom, Little étant le nom du maître d'un de ses ancêtres esclaves. Il se rallie alors à l'organisation politico-religieuse Nation of Islam, qui prône un suprémacisme noir. Les discours de Malcolm X prirent dès lors une tournure plus radicale contre les Blancs, à l'opposé de l'intégration non-violente prônée par Martin Luther King, allant jusqu’à susciter la polémique sur l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy ou sur les juifs.

Puis, après avoir quitté « Nation of Islam » suite à des conflits, il fonde en 1964 sa propre organisation religieuse The Muslim Mosque Inc.

Après avoir échappé à un attentat, il mourut le 21 février 1965 de plusieurs balles tirées par des membres de Nation of Islam. Il avait 39 ans.

Il suscita la polémique ; certains l'aiment, l'adulent et en font un héros exemplaire de la cause des Afro-Américains, tandis que d'autres le haïssent en font un traître qui a mérité son assassinat ! Dans certains États depuis 1979, le Malcolm X Day est un jour férié aux États-Unis.

Angela Davis : anti-raciste, féministe et communiste

.            Icône féministe américaine et mondiale, communiste au pays du grand capital, célèbre membre des Black Panthers, mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine, Angela Davis est née en 1944 dans l'Etat de l'Alabama.

Elle grandit à Birmingham dans un quartier surnommé « Dynamite Hill », en raison des nombreux attentats perpétrés par le Ku Klux Klan.

Au sein du Chu Lumumba Club, collectif du Parti communiste américain où tous les membres sont noirs, elle se lança corps et âme à la lutte contre le racisme.

En 1971, elle sera condamnée à mort après avoir été accusée de complicité dans une prise d'otage mortelle mais finira par être acquittée l'année suivante.

Dans les années 1980, elle se présenta par deux fois à la vice-présidence des Etats-Unis d'Amérique pour le compte du Parti communiste américain qu'elle finira toutefois par quitter après l'éclatement du bloc de l'Est.

En 2020, à 76 ans, professeur à l'université de Californie à Santa Cruz, elle se bat toujours pour les droits civiques.

Et aussi Elizabeth Eckford, Dorothy Height, Daisy Bates, ...

.            A toutes ces figures pourraient s'ajouter d'autres illustres noms comme celui d'Elizabeth Eckford qui, le 04 septembre 1957, à l'âge de 15 ans, allait, avec huit autres élèves noirs, marquer l'Histoire en intégrant, non sans douleur, un lycée blanc à Little Rock en Arkansas, une première historique qui nécessitera le déploiement de la Garde nationale.

.            Il convient également de citer le nom de Dorothy Height, célèbre militante afro-américaine connue notamment pour avoir présidé le «National Council of Negro Woman» («Conseil national des femmes noires») de 1957 à 1998

A sa mort en 2010, le président américain Barack Obama avait rendu un vibrant hommage à cette figure historique du mouvement des droits civiques décédée à l'âge de 98 ans. Elle a « consacré sa vie à lutter pour l'égalité », avait résumé le président démocrate.

.            Daisy Lee Gatson Bates, née le 11 novembre 1914 à Huttig dans l'État de l'Arkansas et morte le 4 novembre 1999 à Little Rock dans l'Arkansas, est une journaliste et militante américaine du mouvement des droits civiques, connue pour ses interventions pour faire aboutir l'égalité des droits civiques dans les écoles publiques de Little Rock.