Après 125 ans, la tribu amérindienne du Montana obtient sa reconnaissance fédérale.
The New York Times - Jim Robbins - 3 février 2020
. Il y a plus de 125 ans, une tribu d'Indiens Chippewa du Dakota du Nord, dirigée par le chef Little Shell, revendiquait quelque 10 millions d'acres de territoire (40.500 km2). Pendant des décennies, elle n'eut aucun statut juridique, jusqu’en décembre 2019, lorsque le Congrès a reconnu les 5.400 membres de la tribu.
. La tribu Little Shell fait partie de l'historique tribu Pembina des Indiens Chippewa (Ojibwés), mentionnée pour la première fois par des colons européens au début du XVIIIe siècle.
Les Ojibwés détenaient environ 63 millions d'acres (255.000 km²) de terres reparties entre le Dakota du Sud, le Dakota du Nord et le Canada. Au début du XIXe siècle, de nombreux Canadiens français, pour la plupart des trappeurs de fourrures, se sont mariés dans des familles Ojibwés. Les Ojibwés forment aujourd’hui le troisième groupe autochtone le plus important aux États-Unis, derrière les Cherokees et les Navajos.
Au milieu du XIXe siècle les Chippewas ont vécu de grands changements. Le commerce des fourrures, qui les avait auparavant soutenus, décline. Les buffles disparaissaient rapidement des plaines. Les colons blancs et le chemin de fer empiètent sur leur territoire, et le gouvernement américain travaille avec acharnement à pousser les Amérindiens dans des réserves ou de l'autre côté de la frontière au Canada.
Avant 1863, les Ojibwés avaient réussi à préserver leurs droits de chasse sur le territoire de la Red River Valley depuis au moins un siècle, sur ces terres dont ils étaient les possesseurs prédominants jusqu’à ce que les premiers commerçants de fourrures européens commencent à fréquenter la vallée à la fin du 18ème siècle.
. La pression pour évincer les « Indiens » de la partie américaine de la Red River Valley remonte avant l’adhésion de l’Etat du Minnesota à l’Union (1858). L'armée américaine du Major Samuel Woods, lors de son expédition en 1849 pour trouver un site sur la Red River du Nord pour y établir un poste militaire, a reçu l’ordre de remonter plus loin au nord de Pembina. Ceci dans le but de « discuter » avec les Indiens pour savoir si leurs terres de la Red River Valley étaient à vendre et donc ouvertes à la colonisation blanche afin d’être cultivées, suivant en cela les instructions du président Zachary Taylor.
Après avoir localisé le site, qui est devenu plus tard Fort Abercrombie, le major Woods s’est établi durant 25 jours à Pembina, sans pouvoir obtenir un accord pour la cession de terres. Les tractations sont progressivement devenues d’autant plus conflictuelles que le commerce fluvial, avec l’arrivée des premiers bateaux à vapeur sur le fleuve, prenait de l’ampleur. Dès lors il fut décidé d’évacuer les Indiens des territoires du Minnesota, puis du Dakota.
. Trompés par les négociateurs fédéraux (Ramsey) camouflant leurs véritables objectifs sous un simple prétendu "droit de passage" sur les terres ojibwées, la tribu de Pembina, conjointement avec la tribu de Red Lake de Chippewa a finalement conclu avec les États-Unis le traité de Old Crossing en 1863 qui cédait aux États-Unis tous leurs droits sur la Red River Valley. (Note)
Mais à partir de 1864, le chef de la tribu Esens, également connu sous le nom de Little Shell, s’apercevant de la supercherie, refusa toute discussion ultérieure. S’en suivit une période de contacts ratés et de négociations improductives, émaillée de troubles durant laquelle les autorités fédérales lancèrent des campagnes de représailles, d'éloignement et d'extermination tandis que la tension montait aux frontières entre les Blancs et tous les autres Indiens.
. En 1892, Little Shell fit cependant savoir à Washington D.C. qu'il était prêt à échanger 52 millions d'acres (210 000 km²) de terres et les droits associés définis dans le traité de 1863 contre une grande réserve, incluant toute la région de Turtle Mountain, au prix de 1,00 $ l'acre de terre.
Le sénateur Porter J. McCumber du Dakota du Nord a été envoyé pour rencontrer la tribu Chippewa. Lors de la première réunion, à laquelle le sénateur n'assista pas, son agent Waugh en offrit 0,10 $ l'acre. Sachant que les États-Unis avaient auparavant payé 1,00 $ l'acre pour des terres moins riches près de Fort Berthold, les Pembina, dégoutés, quittèrent la réunion. L'agent Waugh fit venir 32 Ojibwés du Canada et leur fit signer le traité, désormais connu sous le nom d'Accord McCumber ou du « Traité des dix cents ». Ce traité ainsi signé en son nom par une autre tribu, céda près de 10 millions d'acres (4 millions d'hectares) de terres agricoles de premier ordre dans la Red River Valley pour 10 cents l'acre. Ce fut le tournant pour la tribu Little Shell Pembina qui s’est vue refuser la reconnaissance fédérale.
Avec cet accord McCumber, la réserve indienne de Turtle Mountain a été établie, mais la tribu Little Shell des Indiens Chippewa a refusé de s'y installer. Ce fut le tournant pour la tribu Little Shell Pembina qui s’est vue refuser la reconnaissance fédérale. Elle se retrouva ainsi sans terre dans une région où la terre était tout.
. Certains des membres de la tribu Little Shell se sont finalement malgré tout installés dans la réserve indienne de Turtle Mountain. D'autres ont migré vers le nord et l'ouest dans le Saskatchewan et en Alberta. Le chef Little Shell et la plupart des 112 familles vivant sur leur territoire ancestral ont quant à eux migré vers le Montana, où ils se sont dispersés, vivant dans la pauvreté et la misère en marge des villes de colons "comme s'ils n'existaient même pas", a déclaré Brenda Snider, membre de la tribu Little Shell, historienne et généalogiste. "Nous ne nous sommes jamais sentis accueillis par aucune des autres tribus du Montana", a déclaré Snider. « C'était comme si nous n'étions pas de vrais Indiens. Et pour les blancs, nous n'étions que des « métis trash ». »
Dans les premières années, beaucoup vécurent entassés dans des cabanes en papier goudronné et des tipis en lambeaux dans la région autour de Great Falls. Pas plus tard que dans les années 1960, certains d'entre eux dormaient dans des voitures abandonnées à la périphérie de la ville dans une zone connue sous le nom de Hill 57. Plus récemment, les Little Shell se sont dispersés à travers le Montana.
Les pétitions pour la reconnaissance fédérale, qui donneraient au Little Shell l'accès à l'aide fédérale et au droit de détenir des terres en tant que tribu, se sont perdues on ne sait où pendant plus d'un siècle.
. Aujourd’hui, cependant, la tribu célèbre une étape importante : le Congrès a adopté en décembre 2019 un projet de loi reconnaissant officiellement la petite tribu des indiens Chippewa. Elle est reconnue comme successeur politique des signataires du traité de Pembina de 1863.
La tribu Turtle Mountain de Chippewa du Dakota du Nord et la tribu Chippewa-Cree de Rocky Boy's Reservation du Montana, qui sont également des successeurs politiques des signataires du traité de Pembina de 1863, ont été reconnues par le gouvernement fédéral comme des tribus indiennes distinctes.
La « Little Shell Tribe of Chippewa Indians of Montana » (leur appellation officielle) qui compte 5.400 membres à travers le Montana, demandait sa reconnaissance fédérale depuis au moins les années 1930. Elle rejoint maintenant plus de 570 autres tribus reconnues par le gouvernement fédéral.
Le projet de loi accorde à la tribu les mêmes avantages que ceux accordés aux tribus conventionnelles et aux autres tribus reconnues : le droit à l'autonomie gouvernementale et une petite superficie de 200 acres (0.8 km2), que la tribu doit acheter et qui sera détenue en fiducie par le gouvernement. Les membres de la tribu seront éligibles à une assistance en matière d'éducation, de soins de santé, de services sociaux, d'application de la loi et d'autres programmes. Ils possèdent par ailleurs 35.000 m² de bureaux à Great Falls.
. Plus tard, le sénateur McCumber a convenu que le traité était frauduleux. Néanmoins, le Sénat américain a ratifié le traité après la mort de McCumber en 1905. Les fonctionnaires fédéraux ont sommé le peuple Little Shell de signer le traité sinon de risquer la famine !