La fondation de New York, une ville emblématique
The Connexion – jan 2020 / Geo - Jean-Baptiste Michel – 28 sep 2018 / Herodote.net - Alban Dignat – 22 jan 2020
Terre d’Angoulesme.
Angoulesme - Carte de Giacomo Gastaldi (1548)
. François Ier, l’un des rares rois de France intéressé par l'expansion maritime espérait découvrir une route maritime vers l'Extrême-Orient. Financé par des banquiers de Rouen et de Lyon, il prit l’initiative d’envoyer les frères florentins Giovanni et Girolamo Verrazano chercher le fameux passage du Nord-Ouest vers le Pacifique. Les Verrazano, partis du Havre, parcoururent la côte est de l'Amérique, de la Floride à Terre-Neuve. Après dix mois de navigation, via Madère, le 17 avril 1524, ils accostent dans une baie à bord de la caravelle La Dauphine, seule rescapée d’une escouade de quatre nefs. Giovanni da Verrazzano rendra hommage au roi, ancien comte d’Angoulême (Angoulesme), en baptisant ce Nouveau monde « Terre d’Angoulême ». Ils seront les premiers européens å pénétrer dans ce qui deviendra le site de New York. La relation de ce voyage, adressée au roi, contient par ailleurs la première description détaillée des Indiens de l'Amérique du Nord et constitue ainsi la source ethnologique la plus ancienne sur ces populations
. Selon la New York Map Society, Verrazano dans son rapport au roi a décrit le port comme suit : "une localisation très agréable entre deux petites collines proéminentes entre lesquelles, dans une profonde embouchure, un très grand fleuve s’écoule vers la mer : et de la mer aux collines de ce (lieu), avec la montée des marées, que nous avons estimée à huit pieds, n'importe quel navire chargé aurait pu passer. "
. La première carte sur laquelle le nom est apparu a été établie par un autre Italien, Giacomo Gastaldi, qui a été informé par le compte rendu détaillé du voyage de Girolamo.
La carte a été publiée à Venise en 1548. Elle montre la côte nord-est de l'Amérique du Nord depuis les Carolines actuelles jusqu'au Labrador. Le port naturel qui est maintenant New York est clairement nommé Angoulesme. La carte a été réimprimée en 1565 et 1606 sans changement du nom.
Henry Hudson.
. En 1609, l'explorateur anglais Henry Hudson a rejoint la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (VOC) pour se lancer dans une nouvelle expédition pour trouver le passage insaisissable du Nord-Ouest qui permettrait d'atteindre la Chine en contournant le continent américain par le nord. À Angoulesme, il entreprit de remonter le fleuve, auquel il va laisser son nom, pour voir si cela mènerait à l'Asie ; mais après 240 km, à l'actuelle ville d'Albany, il conclut qu'il n'y avait pas de route de liaison vers le Pacifique et fit demi-tour. Toutefois, n'ayant cure de la présence d'Indiens (les Algonquins), il revendique les régions environnantes au nom de la Hollande !
En 1610, après avoir convaincu ( ! ) les armateurs anglais de l’existence de ce passage et de l’imminence de sa découverte, Hudson organise une nouvelle expédition qui lui sera fatale, après avoir découvert la grande baie du Canada qui porte son nom. Son navire, le Discovery, se retrouve pris dans les glaces de l’Arctique. L’équipage, excédé par l’obstination d’Hudson, se mutine et débarque l’explorateur avec son fils adolescent, ainsi que sept autres malheureux, dans une chaloupe qu’on abandonne à la dérive. On n’entendra plus jamais parler d’eux …Son nom sera plus tard donné à la rivière.
Les Hollandais
. En 1624, à la suite d'Hudson et des Pilgrim Fathers débarqués le 26 novembre 1620, plus au nord, la VOC envoie sur l'île de Manhattan en vue d'y fonder une colonie permanente, 30 familles de protestants flamands, français et surtout wallons calvinistes, que les persécutions religieuses et l’occupation espagnole ont chassé de l’actuelle Belgique aux Pays-Bas et en Allemagne avant de les précipiter vers le Nouveau Monde.
La Compagnie des Indes occidentales a exigé de chaque migrant, avant son départ, sa signature au bas d’une charte qui stipule, entre autres, la « nécessité d’être respectueux, en toutes les matières, des Indiens ».
Les rapports entre Européens et Amérindiens, d’abord cordiaux, ne tarderont pas cependant à se gâter. Surtout, les maladies apportées d’Europe comme la variole, la rougeole, le paludisme et la peste vont faire des ravages sur la population autochtone qui, bientôt réduite à seulement quelques milliers d’individus, va peu à peu reculer dans les terres.
. Le 2 février 1625, les Hollandais construisent quelques maisons et un fortin à la pointe méridionale de l'île de Manhattan l'une des nombreuses îles et presqu'îles qui composent l'embouchure du fleuve Hudson. Un établissement qui se fait connaître indifféremment comme "Nova Belgica" ou "Nieuw Neederland", selon les cartes.
Ils y créent de modestes comptoirs à l'embouchure du fleuve, en vue du commerce des fourrures. Puis la puissante VOC prend les choses en main. Stupeur des Indiens. William Wood : « Ils prirent le bateau pour une île flottante, le mât pour un arbre, la voile pour des nuages blancs et les décharges d’artillerie pour les éclairs et le tonnerre. » Ils sont environ 20.000 et portent le nom de « Lénapes » qui signifie « le peuple commun ». Ils sont de la famille des Algonquins, divisés en plusieurs tribus apparentées, comme les Raritans sur l’actuelle State Island, les Mohawks plus à l’intérieur des terres ou les Manhattes sur l’île, la future Manhattan.
. Débarque alors sur l’île de Manhattan Pierre Minuit, d’origine wallonne en Hainaut, né en Allemagne, qui rejoint les Provinces-Unies pour rester fidèle à sa foi calviniste. Il est nommé gouverneur de la colonie du Nouveau Monde. Son plan de développement commercial a séduit les Hollandais.
Il a voyagé avec des chevaux, des vaches, des porcs, des moutons, tout le bétail qu’on espère bien voir se multiplier dans le Nouveau Monde. Le nouveau gouverneur découvre, à la pointe sud de Manhattan, à peine un village. Quatre bastions de terre surmontés de palissades sommaires où se trouvent le logement du gouverneur, les magasins de marchandises et surtout de fourrures (castors, loutres, lynx, visons) qui est la vraie raison d’être de l’implantation. Plus loin une trentaine de cabanes, un moulin et quelques fermes entourées de champs de froment et de céréales. Minuit crée un conseil de cinq notables, décide de recentrer la colonie sur Manhattan en y regroupant les familles trop dispersées dans un but de défense et de développement
Il favorise les Indiens commerçants qu’il utilise comme éclaireurs. Le fort qu’il reconstruit en dur constitue une défense non contre eux, mais contre les autres puissances coloniales (les Anglais en Nouvelle-Angleterre et en Virginie, les Français au Canada, les Espagnols au sud). Une route est tracée sur l’île jusqu’au bourg pour y acheminer le blé. On la baptise Breedweg, la « route du pain », la future Broadway. Enfin, surtout, Pierre Minuit a décidé d’acheter l’île aux Indiens.
Sur ce plan de 1660, on distingue des artères comme Breedweg (future Broadway) et des fortifications pour se protéger des Indiens et… des Anglais. - Wikimedia Commons
Légalisation de l'occupation de l'île
. Le 26 mai 1626, trois semaines après son arrivée en Amérique, Pierre Minuit achète, au nom de la Compagnie hollandaise des Indes occidentales, les 22.000 acres (89 km2) de l’île aux Algonquins des parages, ces Indiens qui se donnent le nom de Manhattes, (« l’île aux nombreuses collines ») avec des tissus, des haches et des ustensiles de cuisine, d’une valeur estimée à 60 florins (1.000 $ d’aujourd’hui), l'équivalent d'une semaine de son salaire de gouverneur ! En 1630, il achètera Staten Island pour la même somme dérisoire.
Au vu de ce qu'est aujourd'hui la valeur foncière de Manhattan, on pourrait y voir le plus bel investissement... ou la plus grosse escroquerie de tous les temps, si ce n'est que les Algonquins, qui n’avaient aucun sens de la propriété et qui reçurent les babioles, n'étaient que de passage sur l'île et n'avaient aucun motif d'en revendiquer la propriété !
Minuit garantit malgré tout aux autochtones le monopole du commerce des fourrures, une riche clientèle en Europe et la protection des Blancs contre les autres tribus…
. La Compagnie concède de vastes étendues de terres à de riches Hollandais, les patroons. Mais la mise en valeur se fait attendre, car les débuts sont difficiles : guerres avec les Algonquins qui, malgré les concessions de Minuit, dédaignent de payer l'impôt, épidémies de choléra, arrivée des premiers esclaves noirs en 1626 ...
Et Minuit reprochera bien vite à la Compagnie des Indes d’octroyer trop de libertés aux investisseurs privés pour développer la colonie plus loin dans les terres. Il sera finalement remercié en 1632. Ecœuré, il cède aux sollicitations de la Suède, conquiert pour la reine Christine les actuels Maryland, Delaware et une partie de la Pennsylvanie, fonde Fort Christina (actuelle Wilmington), avant de disparaître le 5 août 1638 dans la mer des Caraïbes, son vaisseau soufflé par un ouragan… Cette « Nouvelle-Suède » sera finalement absorbée, en 1655, par les Hollandais sous la conduite de Peter Stuyvesant, un succès sans lendemain.
. Peter Stuyvesant, ce gouverneur de la Nouvelle-Amsterdam, est aussi le plus connu, parce qu’il fut le dernier et parce que son mandat – 17 ans – fut le plus long. Né en 1610, fils de pasteur, ancien gouverneur de l’île de Curaçao d’où il a développé en Nouvelle-Hollande (à partir du Brésil) le commerce des esclaves noirs pour pallier les éternelles difficultés financières de la Compagnie, ce fort caractère a une jambe de bois : il s’est farouchement battu contre les Espagnols en 1644 pour leur reprendre l’île de Saint-Martin. Sous son gouvernement (1647-1664), la population de Nieuw Amsterdam passe de 300 à 1.500 habitants. La colonie même en compte plus de 10.000. La ville se développe avec un canal, creusé en 1654, qu’enjambent trois ponts en bois.
La Nouvelle-Amsterdam, future New York (Johannes Vingboons, 1664) - Moulins, ponts, écoles et quais…
Un mur d’enceinte est édifié d’un bord de l’île à l’autre (de l’Hudson à l’East River), qui donnera son nom à une rue fameuse, Wall Street. (À partir de 1792, des marchands de New York City prendront l'habitude de se réunir sous un arbre près de l'ancien mur d'enceinte des Hollandais, en ce lieu appelé « Wall Street » pour y négocier leurs affaires.)
Les Anglais.
. Cette construction ne sera pourtant d’aucun secours contre les prétentions britanniques.
La Nouvelle-Hollande, malgré son essor économique naissant très modeste, inquiète le Parlement d’Oliver Cromwell. Les Anglais commencent à damer le pion aux Hollandais partout sur les mers et Cromwell, dès 1651, avait décrété que seuls les navires anglais pourraient désormais importer des marchandises dans les ports anglais. La guerre éclate ; Londres veut évincer Amsterdam de l’Atlantique Nord. Au début des années 1660, le roi Charles II décide d’offrir à son frère Jacques Stuart, duc de York, les terres situées entre la Virginie et la Nouvelle-Angleterre. La Nouvelle-Amsterdam, pour Sa Majesté britannique, n’existe tout simplement pas ; les Hollandais n’ont rien à faire dans cette partie du monde.
. A l’été de 1664, quatre navires de guerre anglais surgissent dans la baie et bloquent le port de la Nouvelle Amsterdam. Panique à Manhattan. Peter Stuyvesant veut résister, puis renonce sous la pression des habitants qui craignent le pillage et la destruction. Le gouverneur hollandais se résout alors, sans drame, à céder la colonie au roi Charles II Stuart. Stuyvesant, à la tête de sa garnison hollandaise, s’embarque dignement pour rentrer à Amsterdam (il reviendra quatre ans plus tard dans sa chère cité pour y mourir en 1672, respecté par tous, même par les Anglais). Ce 8 septembre 1664, la Nouvelle-Amsterdam a cessé d’exister.
Les Néerlandais renonceront officiellement à leurs revendications sur cette portion du territoire américain, confirmant la cession à Londres de la ville et de son arrière-pays, la Nouvelle Hollande, par le traité de Breda qui mit un terme à la Deuxième Guerre anglo-néerlandaise (31 juillet 1667). La Nouvelle Amsterdam prend alors le nom de La Nouvelle York (New York), en hommage au duc d'York, héritier du trône d'Angleterre, qui deviendra roi sous le nom de Jacques II.
Les Hollandais obtiendront en retour la souveraineté sur le Suriname et … ses fabriques de sucre tandis que les sept Provinces-Unies du Nord des Pays-Bas espagnols s’assurèrent un monopole mondial sur … la noix de muscade en obligeant les Anglais à leur concéder leur comptoir de Run, dans les Moluques en Indonésie.
. Cependant, cinq ans plus tard, de nouveau opposés aux Anglais, les Néerlandais reprendront brièvement la colonie. En 1673, la ville change de nom de nouveau (La Nouvelle-Orange, en l'honneur de Guillaume III d'Orange-Nassau) avant que les Anglais ne la récupèrent avec le traité de Westminster, le 19 février 1674 et consacrent définitivement le nom de New York.
. Le nom français d’origine n’aura tenu qu’un siècle. La paternité de la fondation de New York a été attribuée, à tort, au gouverneur hollandais Peter Stuyvesant, arrivé à Nieuw Amsterdam plus de vingt ans après Minuit. Or, l'homme qui a donné son nom à une marque de cigarettes ne peut être considéré comme le premier responsable du développement de Manhattan. Son principal "fait d'armes" aura été, en 1664, la cession aux Anglais de l'île dont il avait la garde.
Un mythe moderne.
. La colonie connaît dès lors un rapide développement du fait de sa situation avantageuse qui la met en relations avec les Grands Lacs et les Grandes Plaines centrales par l'intermédiaire de l'Hudson et de son affluent, la Mohawk.
. À la veille de la guerre d'Indépendance, New York sera déjà la principale ville d'Amérique du Nord avec environ 30 000 habitants. Cité populeuse et industrieuse, elle se distinguera de l'aristocratique Boston et de la commerçante Philadelphie.
New York est occupée par les troupes anglaises pendant toute la durée de la guerre, de la déclaration d'indépendance au traité de Versailles (1776-1783). Elle voit la naissance de l'organisation secrète des Fils de la Liberté (Sons of Liberty) qui va inaugurer les manifestations publiques contre le gouvernement colonial de Londres.
. Malgré un gigantesque incendie, les 16 et 17 décembre 1835, qui ravage les derniers vestiges de l'époque coloniale, New York poursuit son développement. La métropole compte 500.000 habitants en 1850 et trois millions à la fin du XIXe siècle. L'invention de l'ascenseur électrique suscite la construction des premiers gratte-ciel, posés sans façon sur le granit de Manhattan. Les immigrants affluent d'Europe. Au total, 16 millions transiteront par l'île d'Ellis (Ellis Island).
. En 1909, dans un guide intitulé The Wayfarer in New York, édité par Edward S. Martin, la ville est présentée comme le fruit d'un arbre dont les racines plongeraient dans le Mississipi et les branches atteindraient les deux océans. Elle est qualifiée de... « Grosse Pomme » (« The Big Apple »), surnom qui sera popularisé par les musiciens de jazz.