Des archéologues exhument le passé d'Angela, l'une des premières esclaves africaines
The New York Times Magazine, The 1919 project - Le Point (AFP) – 22 aoû 2019
. Angela, "Eve" des esclaves africains, fait partie des premiers esclaves africains amenés sur le territoire des futurs Etats-Unis. Quatre cents ans plus tard, les USA se souviennent de leurs origines et des débuts de l'esclavage, ainsi que des inégalités qui persistent aujourd'hui.
. Grattant la terre dans une chaleur suffocante, Chardé Reid, jeune archéologue noire américaine, tente de remonter le temps jusqu'aux vestiges de la vie d'Angela, débarquée, après une atroce traversée, il y a 400 ans, parmi les premiers esclaves africains arrivés sur le territoire des futurs Etats-Unis.
"Je ressens beaucoup de liens entre mon histoire familiale et ce qui a commencé ici, en 1619", explique la jeune femme de 32 ans à l'AFP, se disant elle-même descendante d'une servante blanche et d'un esclave africain. "Ces premiers Africains sont nos aïeux. Non seulement les ancêtres de la culture afro-américaine mais aussi plus largement de toute la culture américaine", confie-t-elle.
. Sous sa truelle, des briques apparaissent : les restes de constructions édifiées sur le site de la riche demeure où vivait, esclave Angela, à Jamestown, la première colonie anglaise permanente établie en Amérique, dans ce qui est devenu par la suite l'Etat de Virginie. Ce terrain verdoyant coulant en pente douce vers la rivière James n'est pas très différent aujourd'hui de ce qu'ont vu les premiers Africains arrivés sur cette même rive en août 1619. A l'époque, Portugais et Espagnols arrachaient des Africains à leurs terres depuis près d'un siècle pour les envoyer vers les Amériques.
. Printemps 1619, un navire négrier portugais, le São João Bautista quitte Ndongo, dans ce qui est aujourd'hui l’Angola, avec sa cargaison de captifs d'Angola. Hommes, femmes et enfants vont endurer l'horrible voyage à destination de Veracruz, pour une vie d'esclavage au Mexique. Voyageant dans des conditions effroyables, près de la moitié des 350 captifs périront durant la traversée.
Avant qu'ils n’arrivent à destination, deux bateaux pirates anglais attaquèrent le navire et séquestrèrent une soixantaine d'Africains, explique l'historien James Horn, président de l'association Jamestown Rediscovery en charge des fouilles.
. Le navire White Lion arriva le premier "vers la fin août", rapporta à l'époque John Rolfe, riche colon anglais célèbre pour avoir été l'époux de Pocahontas, fille du chef des Powhatan, une tribu des environs de Jamestown. Arrivés sur la rive de la James River à Point Comfort (aujourd'hui Fort Monroe) un port près de Jamestown, la capitale de la colonie anglaise de Virginie, que la Virginia Company of London avait établie 12 ans auparavant, les pirates échangèrent avec les indiens Powhatan, contre des victuailles,"vingt et quelque" Africains, en fait destinés à des colons anglais récemment installés.
Quelques jours plus tard, le Treasurer accostait à son tour, livrant un autre petit groupe. Parmi eux figurait Angela. Originaire du royaume de Ndongo, Angela est "la première femme africaine dont on ait jamais recensé le nom en Virginie", souligne Bly Straube, commissaire au musée de Jamestown Settlement. "Son histoire, c'est un peu celle d''Eve', aux origines de tout", avance-t-elle.
. "Paradoxe" historique, selon James Horn, les premiers Africains sont arrivés à Jamestown peu après la tenue, dans la petite église du village, de la première assemblée législative du Nouveau Monde le 30 juillet 1619. Etrange confluence entre la "première expression de notre expérience démocratique" et de nouveaux arrivants "privés de leurs droits, de leurs identités", souligne James Horn. Alors que les autres premières Africaines ("17 femmes et 15 hommes originaires de Ndongo ou de Kongo vivaient en Virginie début 1620" selon James Horn) sont restées anonymes à jamais, Angela apparaît sur deux rares documents recensant la population de la petite colonie en 1624 et 1625, sous le nom d'"Angelo".
. Angela ou Angelo : les historiens débattent sur ce qui était vraiment son prénom, probablement donné par les Portugais. Mais tous s'accordent à dire qu'elle était esclave de la riche famille Pierce. Elle devait travailler aux tâches domestiques et dans le verger.
Angela était probablement logée avec les servants blancs, selon les historiens. Ce n'est en effet qu'une quarantaine d'années plus tard, autour de 1660, que plusieurs colonies britanniques en Amérique décrétèrent que le statut d’esclave serait désormais transmis par la mère, apportant une nouvelle dimension héréditaire, et foncièrement raciale, à l'esclavage. Elles interdirent à la même époque les mariages mixtes. Une prohibition qui perdurera dans certains Etats américains jusqu'au XXe siècle.
. Après 1625, Angela disparaît des registres. Mais son nom est aujourd'hui plus que jamais à l'honneur à Jamestown.
Des esclaves venus d'Afrique travaillaient déjà depuis au moins trois ans dans les Bermudes pour des colons britanniques, et dès 1526 d'autres avaient fait partie d'une expédition espagnole établie en Caroline du Sud.
Si l’esclavage est souvent considéré comme le péché originel de l’Amérique, il est bien plus que cela : c’est l’origine même du pays.