Qui était vraiment Buffalo Bill ?
GEO - François Vey – 07 déc 2018
. Cheveux longs, barbe et moustache brossées, bottes de cuir et chapeau vissé sur la tête : William Frederick Cody, dit Buffalo Bill (1846-1917), a célébré la nostalgie du Far West. Jusqu’à le dénaturer…
. « Dans l’Ouest, lorsque la légende l’emporte sur la réalité, on imprime la légende. » Cette réplique provocatrice émane d’un journaliste dans le western de John Ford L’Homme qui tua Liberty Valence (1962). Elle s’applique parfaitement à Buffalo Bill, le personnage le plus célèbre du Far West, auquel Morris et le scénariste Patrick Nordmann consacreront un album en 2002 (La Légende de l’Ouest). Le plus célèbre, mais aussi le plus controversé… Icône du cow-boy avec sa longue chevelure, ses belles moustaches, son Stetson et ses tuniques à franges, William Cody doit beaucoup sa popularité à des accommodements avec la réalité, voire à des inventions pures et simples, qui ont transformé un tueur de bisons en héros épique. Il revient aux journaux et à l’édition populaire (avec ses dime novels, équivalents de nos romans de gare) d’avoir façonné ce mythe. Mais cet aventurier s’est aussi employé à se magnifier et à se populariser à grande échelle grâce à ses spectacles de cirque. Car ce guide apprécié des colons et de l’armée s’est révélé un sacré conteur et un extraordinaire metteur en scène des histoires que les cow-boys se racontaient à la veillée, qu’il s’agisse de combats contre les Indiens ou de charges de la cavalerie.
. Né en 1846, dans une famille de la classe moyenne aisée de l’Iowa, peu avant la guerre des Etats-Unis contre le Mexique et la ruée vers l’or en Californie, le jeune homme grandit à Salt Creek Valley, dans l’Etat du Kansas, alors que le territoire américain ne cesse de s’étendre à l’ouest du Mississippi et de se peupler. Parce qu’il perd son père alors qu’il n’a que 10 ans, William travaille très tôt. Il aide ainsi financièrement sa mère et assouvit sa soif des grands espaces. Même s’il enjolivera plus tard ce qu’il a vécu, les historiens estiment qu’il a bel et bien commencé à convoyer, dès l’âge de 12 ans, des chariots de colons qui traversaient les Grandes Plaines, pour le compte de la compagnie Russell, Majors & Waddell. Il découvre alors les attaques des Indiens pawnees. Fort de cette expérience, le voilà engagé à 14 ans comme cavalier du Pony Express, premier service de courrier privé (créé par William Russell). Il parcourt chaque jour 70 kilomètres à cheval. «C’est pour lui un déclic, souligne l’historien Farid Ameur, auteur de Héros et légendes du Far West (éd. François Bourin, 2012). Il est devenu expert pour les longues distances.»
Courrier rapide et endurant, le jeune William devient un guide précieux pour l’armée, connaissant bien ces régions difficiles de l’Ouest, de l’Oklahoma au Dakota. Mais il se révèle un soldat médiocre qui ne s’illustre pas au combat. Engagé dans l’armée du Nord en 1864, il se montre fidèle à son père, fervent abolitionniste qui s’est battu toute sa vie contre l’esclavage. Démobilisé en 1865, il ne sait pas – ou ne veut pas – monter en grade. En revanche, la chasse lui plaît et il y excelle. En témoigne l’épisode qui se déroule à l’automne 1869 au Kansas, où William Cody défie un autre éclaireur de l’armée américaine du nom de Billy Comstock. Il s’agit d’abattre, sans jamais descendre de cheval, le plus grand nombre de bisons en une journée. Cette compétition, organisée par des journaux, se déroule devant une centaine de spectateurs venus en train spécial. Cody réussit à tuer 38 bêtes lors de la première manche, puis 18 et 13 autres encore. Score final : 69 pour Cody, contre 46 pour Comstock.
Video : Buffalo Bill Cody and unknown Native American
A partir de là, on ne l’appelle plus que Buffalo Bill. Sa légende démarre sous les meilleurs auspices, éclipsant bientôt celles de l’éclaireur Kit Carson et du guide Jim Bridger. Pour épater la galerie, il affirme avoir tué 4 290 bisons entre l’automne 1867 et mai 1868. Un chiffre impressionnant, mais qui paraît «plausible, en termes d’ordre de grandeur» pour l’historien Bertrand Van Ruymbeke, professeur à l’université Paris-VIII. En effet, ce dernier a retrouvé un chasseur crédité de 6 000 bêtes abattues en deux mois, et il est possible pour un chasseur de tuer une dizaine de bisons chaque jour. «Le bison est un animal très naïf, souligne de son côté Farid Ameur. Les cowboys ont trouvé la bonne tactique en s’attaquant d’abord au chef de la meute, désorientant les autres bêtes. En outre, le recours à des fusils à répétition permettait d’en abattre ensuite beaucoup dans la panique.» Buffalo Bill travaille pour la compagnie de chemin de fer Kansas Pacific Railroad, qui construit une ligne entre Abilene et Sheridan. Elle lui paie chaque bison abattu. La viande nourrit les centaines d’ouvriers employés à poser les voies. Quant aux têtes de bisons, une fois empaillées, elles servent à décorer les gares.
A Chicago, en 1893, Cody attire deux millions de spectateurs
. Après, le voilà chef des éclaireurs du 5e régiment de cavalerie. Il commande jusqu’à vingt-cinq hommes, qui sont souvent des Indiens pawnees, ralliés à l’armée américaine par haine des Sioux. Apprécié de ses chefs, il quitte le service en 1872, date à laquelle il est décoré pour «service rendu à la nation». C’est à cette époque qu’il prend goût aux relations publiques : il organise la chasse du grand-duc Alexis de Russie, fils du tsar Alexandre II, à la plus grande satisfaction de ce dernier et sous le regard curieux des journaux de la côte Est.
Cet amateur de belles histoires a déjà le goût des spectacles. Lorsqu’il assiste à une pièce de théâtre narrant ses exploits, il accepte bien volontiers de monter sur scène pour l’interpréter. «C’est une rock star avant l’heure», glisse Farid Ameur. Sachant intelligemment s’entourer, Buffalo Bill monte en 1882 une troupe qui donne des représentations de scènes emblématiques du Far West, notamment les attaques de diligences.
Metteur en scène inventif, il n’hésite pas à faire jouer aux Indiens leur propre rôle. Ainsi, il convainc le grand chef Sitting Bull de rejoindre sa troupe pour une saison, en 1885. Neuf années seulement se sont écoulées depuis la bataille de Little Bighorn, souligne le professeur Michel Faucheux, auteur d’une remarquable biographie (Buffalo Bill, éd. Folio, 2016), critique et distanciée, de Buffalo Bill. Sitting Bull «le fait pour défendre la culture indienne, menacée de destruction», estime-t-il. Mais Buffalo Bill participe, lui, «à la folklorisation des savoirs indiens» qu’il transforme en «éléments de spectacle et de kitsch».
En l’espace de dix ans, au fil des représentations du Wild West Show, il impose un nouveau genre de spectacle qui connaît un succès phénoménal à travers toute l’Amérique. A l’Exposition universelle de Chicago, en 1893, la troupe de Buffalo Bill attire pas moins de deux millions de spectateurs. Les Américains, qu’ils aient vécu ou non la conquête de l’Ouest, en ont la nostalgie, alors qu’elle vient tout juste de s’achever (officiellement en 1890), avec la proclamation de la «fin de la Frontière». Mais Buffalo Bill ne s’arrête pas en si bon chemin. Lui et son armada n’hésitent pas à traverser l’océan Atlantique pour aller se produire en Europe. L’Angleterre puis la France lui réservent un triomphe. Invité en marge de l’Exposition universelle à Paris, en 1889, des centaines de milliers de curieux se pressent pour voir la troupe. Buffalo Bill devient immensément célèbre.
. En outre, ces multiples tournées popularisent une vision idéalisée d’une histoire des Etats-Unis qui fait rêver grands et petits. Elles valorisent les faits et gestes d’un homme dont les historiens s’accordent aujourd’hui à reconnaître qu’«il n’a pas accompli d’exploit majeur durant la conquête de l’Ouest», comme le souligne l’un de ses biographes les plus attentifs, l’historien Jacques Portes, dans Buffalo Bill (éd. Fayard, 2002). Grand entrepreneur et directeur de spectacle, William Cody doit aujourd’hui être considéré comme «un conteur, un metteur en scène, le créateur d’une mythologie de l’Amérique et de lui-même», juge Michel Faucheux qui enseigne à l’Institut national des sciences appliquées (Insa), à Lyon. Pour lui, Buffalo Bill constitue la «figure emblématique d’un monde dont il a provoqué la perte», nous laissant une série d’images gravées à jamais dans l’imaginaire collectif.
Ainsi que l’observe l’historien Bertrand Van Ruymbeke dans son Histoire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours (éd. Tallandier, 2018), Cody a opéré avec ses spectacles la jonction entre la conquête de l’Ouest, telle qu’elle est relatée dans la presse, et les quelque 2 000 westerns produits par les studios de cinéma à partir du début du XXe siècle. D’ailleurs, quand on découvre – avec émotion – les images tremblotantes qui subsistent de Buffalo Bill, on y voit un vieillard à barbe et cheveux blancs, amaigri, qui communique en langue des signes avec un vénérable chef indien… Cette séquence date de 1910, époque des premiers westerns. Ces films pseudo-réalistes prennent le relais de ses spectacles équestres en s’appuyant sur des légendes forgées par Buffalo Bill à propos de cette épopée sanglante, dont la nouvelle histoire américaine de l’Ouest donne un éclairage totalement différent… Mais l’Amérique est-elle prête à gratter le vernis du Far West chevaleresque et romantique dépeint par William Cody ?
Video : Buffalo Bill (1908) - William F. Cody on Horseback - Wild West Show Tour