Histoire des cavaliers postiers du Pony Express
GEO - Jean-Baptiste Michel – 07 déc 2018
. Relier l’est à l’ouest du continent en dix jours ? C’est le pari fou des cavaliers postaux lancés à travers les plaines. Retour sur une épopée aussi brève que légendaire.
Statue équestre commémorant le Pony Express, Marysville, Kansas, Etats-Unis. © Visions of America/UIG via Getty Images
. L’aventure n’aura même pas duré deux ans. Mais le Pony Express, le service de distribution du courrier du mid-west (Missouri) vers la côte Pacifique (Californie), reste encore aujourd’hui une légende de l’Ouest. William Cody, alias Buffalo Bill, en a fait le clou de ses spectacles de 1882 à 1912 (il se targuait d’avoir été un de ses cavaliers, sans qu’il puisse en apporter la moindre preuve). On ne compte plus les documentaires et les films de fiction (dont l’excellent western Pony Express avec Charlton Heston, sorti en 1953) qui reviennent sur l’incroyable épopée de ces postiers d’un nouveau genre. Morris et les scénaristes Xavier Fauche et Jean Léturgie en tirèrent un excellent album, Le Pony Express, dans lequel le cow-boy solitaire est chargé de former les cavaliers de la mythique compagnie qui traversaient le continent en un peu plus de dix jours.
L'incroyable performance de François-Xavier Aubry
. Tout a commencé par l’exploit d’un cavalier de l’Ouest, au patronyme bien français : François-Xavier Aubry (1824-1854). Jeune Québécois, grand explorateur du sud-ouest des Etats-Unis, il est le premier à couvrir à cheval, en janvier 1848, la distance de Santa Fe (au pied des Rocheuses) à Independence (Missouri), soit 1 500 kilomètres, en cinq jours et demi. Une incroyable performance qui a valeur de symbole au moment où le pays conquiert son territoire à l’ouest.
Quelques jours après cet exploit, le 2 février 1848, par le traité de Guadelupe Hidalgo et pour une grosse poignée de dollars, 15 millions exactement, les Etats-Unis s’offrent la moitié du Mexique, soit 2.600.000 km2, mettant ainsi fin aux conflits territoriaux entre l’Amérique et son voisin du Sud, commencés deux ans plus tôt. Désormais le Nevada, l’Utah, le Texas (qui a fait sécession du Mexique en 1836), ainsi qu’une partie de la Californie, de l’Arizona, du Nouveau-Mexique, du Colorado et du Wyoming, tombent dans le giron de l’Oncle Sam ... contre l'obligation d'empêcher les Apaches d'exécuter des raids contre le Mexique. Les Etats-Unis ont désormais atteint leurs frontières et peuvent s’élancer à travers leurs vastes espaces jusqu’à l’océan Pacifique.
En diligence le voyage dure 25 jours
. La question se pose aussitôt des communications entre l’Est urbanisé, déjà voué au chemin de fer, et l’Ouest encore sauvage, aux pistes à peine tracées, entièrement à construire. D’immenses trains de chariots, ces «goélettes de la prairie» comme on les appelle, tant ces espaces terrestres évoquent la mer, continuent de transporter des centaines de pionniers de l’autre côté des Rocheuses. Chaque chariot est tiré par quatre bœufs ou six chevaux. Les étapes sont en moyenne de 16 kilomètres par jour. Le voyage est éprouvant, semé d’embûches, sous la menace des Indiens, sans parler des bandits. En 1857, l’entrepreneur en transports John Butterfield fonde l’Overland Mail Company qui fait de la diligence le véhicule le plus populaire de l’Ouest. Son succès tient à la fois à sa robustesse et à sa souplesse. La caisse centrale repose sur de solides lanières de cuir fixées à des essieux qui lui offrent une bonne suspension. L’attelage de quatre à six chevaux est conduit par un cocher aguerri, accompagné d’un guide armé qui a la charge du courrier, de l’argent et des valeurs placées sous son siège. Le voyage a lieu deux fois par mois et coûte 200 dollars, soit l’équivalent de deux mois de salaire. Dix à douze passagers sont ainsi transportés en quelque 25 jours, dans des conditions pénibles, de Saint-Louis (Missouri) à San Francisco ou Los Angeles.
Premier trajet du Pony Express en avril 1860
. Le développement de l’Ouest – qu’intensifie, dès 1848, une première ruée vers l’or – exige le transport de plus en plus rapide de documents, de lettres, de contrats. C’est alors que trois entrepreneurs audacieux, William Russell, Alexander Majors et William Waddell, se rappellent la performance de François-Xavier Aubry. Ils fondent la Central Overland California and Pike’s Peak Express Company, bientôt connue sous le nom de Pony Express. Le principe ? La traversée éclair de l’Ouest par un cavalier isolé, légèrement chargé, qui ne peut être dévalisé puisqu’il n’a ni arme ni argent (sa seule sauvegarde est sa vitesse en cas d’attaque), susceptible d’acheminer le courrier en moitié moins de temps qu’une diligence, soit en un peu plus de dix jours.
Le Pony Express démarre officiellement le 3 avril 1860 et effectue son premier trajet, de Saint-Joseph (Missouri) à Sacramento, en dix jours, sept heures et quarante-cinq minutes. Le cavalier porteur de journaux et d’un message de félicitations du président James Buchanan au gouverneur de Californie, John Downey, est accueilli en triomphe à Sacramento, puis à San Francisco. Russell, Majors et Waddell mettent alors en place une impressionnante logistique pour faire concurrence au réseau de diligences de l’Overland Mail Company qui roulent plus au sud. Cent vingt jeunes cavaliers choisis pour leur légèreté, en selle en permanence, couvrent une distance de plus de 3 000 kilomètres dans cette moyenne de dix jours, les uns galopant vers l’ouest, les autres se dirigeant en sens inverse. Une étape journalière correspond environ à 72 kilomètres avec trois changements de monture. Pas moins de 400 chevaux ont été répartis dans 160 postes de relais.
Entre 1860 et 1861, ces jeunes champions rivalisent de vitesse. Robert Haslan, dit «Pony Bob», parcourt en huit heures 192 kilomètres. Jack Keeley bat tous les records en restant à cheval pendant 545 kilomètres, soit trente et une heures. Ces courses époustouflantes ont des précédents historiques : la France de l’Ancien Régime eut bien ses «chevaucheurs » chargés de porter au fond des provinces les décisions royales. Mais personne n’avait jamais réussi à dompter la vitesse et les distances comme le font les cavaliers du Pony Express.
L’apparition du télégraphe rend obsolètes les vaillants cavaliers
. L’Amérique n’a pas de passé, pas d’héritage. Au tournant du siècle, elle cherche sa propre mythologie et travaille à renforcer son identité dans l’Ouest. «C’est là qu’elle écrit son Iliade et l’Odyssée», comme le soulignent les historiens Philippe Jacquin et Daniel Royot dans Go West ! (éd. Flammarion, 2004). Et les cavaliers du Pony Express sont les héros de cette épopée. Ils conjuguent le courage, le romantisme et l’individualisme. Mais le progrès se montrera plus rapide que leurs chevaux. En octobre 1861, le télégraphe relie Kansas City à Sacramento. L’année suivante, le Pony Express, qui n’a jamais été rentable, fait banqueroute. L’aventure n’aura duré que dix-huit mois au cours desquels auront été accomplis 308 allers-retours entre le Missouri et la Californie, couverts 991 000 kilomètres et délivrées 34 753 lettres. Elle aura créé un mythe qui, lui, demeure.
Surnommé "Broncho Charlie", Charlie Miller était le plus jeune cavalier du Pony Express à l'âge de 11 ans. Il aurait été le dernier membre survivant du service postal. Plus tard, il a joué dans le spectacle de Buffalo Bill.