Johnny Cash : I walk the line.

Rolling Stone – Philippe Barbot – jul-aoû 2019

.            Une promesse de fidélité éternelle, un gimmick lancinant. L'homme en noir entre dans la légende.

.            Ca fait "boom-chika-boom". Un rythme lancinant qui rappelle la cadence des trains de marchandises et qui scande la plupart des chansons de Johnny Cash. Un rythme popularisé avec ce qui fut son premier grand tube, une chanson d'amour en forme d'hymne à la fidélité ... même si son auteur ne l'a pas toujours prise à la lettre.

.            Tout a commencé à cause d'un magnétophone déréglé. Nous sommes au début des années 50 et John R. Cash exerce le métier d'opérateur radio spécialisé dans le morse pour l'US Air Force, à Landsberg, Allemagne. Entre deux décryptages de messages codés en provenance de l'armée soviétique, notre jeune bidasse fait de la musique. Il a même fondé un groupe, The Landsberg Barbarians, qui anime les soirées de la caserne sur des airs de gospel mêlés de country. Pas étonnant de la part d'un amateur qui a appris très tôt la guitare et compose des chansons depuis l'âge de douze ans. Pour enregistrer ses compositions, il s'est muni d'un petit magnéto portatif à bandes magnétiques, qu'il prête parfois à ses collègues musiciens. C'est sur cet engin qu'un soir, il entend une musique bizarre : une sorte de mélopée irréelle, comme un orgue résonnant dans le cosmos. Même s'il est farouchement croyant, Johnny ne tarde pas à comprendre que le phénomène n'a rien de mystique : la bande est lue à l'envers, provoquant ce curieux effet sonore, jusqu'à esquisser une sorte de mélodie qu'il s'empresse de noter. Ce n'est que quelques années plus tard que l'incident lui reviendra en mémoire.

.            Entre-temps, libéré de l’armée, Cash est devenu musicien professionnel, a signé chez Sun Records, le petit label de Memphis qui possède déjà dans son écurie des artistes comme Carl Perkins, Jerry Lee Lewis et un fringant jeunot nommé Elvis Presley. En 1956, Johnny a déjà enregistré trois singles, "Hey Porter", "Cry ! Cry ! Cry !" et "Folsom Prison Blues" qui ont remporté un honnête succès dans les charts country.

.            Au début de l'année, Johnny Cash partage l'affiche d'un concert avec Carl Perkins, à Gladewater, un bled du Texas. Dans les coulisses, il rejoue la fameuse mélodie et commence à y plaquer un texte. Il confiera plus tard : « Les paroles sont venues aussi vite que je pouvais écrire. En 20 minutes, j'avais terminé. » Un texte qui lui a été inspiré par les craintes de sa jeune épouse, Vivian, devant les tentations féminines auxquelles est exposé tout musicien en tournée ... même s'il lui a assuré (c'est elle qui le raconte, dans ses mémoires publiés en 2008, (I Walked the Line: My Life withJohnny Cash) que « ces femmes ne sont pour moi que des mannequins de cire ... » D'où la chanson, déclaration d'amour et gage de fidélité au refrain rassurant : "Tu es à moi, je file droit..." C'est Carl Perkins qui lui suggère alors le titre de la chanson, "I Walk the Line".

.            Le morceau est enregistré dans le studio Sun, le 2 avril 1956. Aux côtés de Johnny, ses deux fidèles musiciens, le guitariste Luther Perkins et le contrebassiste Marshall Grant. Comme il ne dispose pas de batteur, Cash utilise un truc que lui a appris Bill Carlisle, un musicien de country : placer un billet d'un dollar sous les cordes de la guitare, afin d'obtenir un chuintement qui rappelle le son d'une caisse claire jouée avec des balais. Au début, Johnny imagine le morceau comme une ballade. C'est Sam Phillips, le propriétaire du studio et du label, qui le persuade d'en accélérer le rythme : de country, la chanson devient rockabilly. Si les accòrds restent traditionnels, plus inhabituelle est l'alternance de tonalité à chaque couplet. Johnny avouera plus tard qu'il a été obligé de chantonner un "mmmm" avant chaque changement, pour s'assurer d'être dans le ton. Un petit subterfuge qui, avec l'extraordinaire voix de baryton du chanteur (Dylan la décrira comme 'venant des tréfonds de la Terre'), ajoute encore à la particularité de la chanson. Que certains interpréteront, plutôt qu'une traditionnelle ballade amoureuse, comme une prière adressée à Dieu. Cash lui même avouera, juste avant sa mort : « Sam Phillips ne l'a jamais su, mais ça a été mon premier tube gospel... »

.            Publié le Ier mai 1956, avec "Get Rhythm" en face B , le single s'écoulera à plus de 2 millions d'exemplaires, consolant Phillips de la perte d'Elvis parti batifoler chez RCA et procurant à Cash son premier numéro 1, qu'il réenregistrera quatre fois durant sa carrière. La chanson sera reprise par des artistes comme Dean Martin, les Everly Brothers, Waylon Jennings, Dolly Parton, Chris Isaak, et chez nous Eddy Mitchell ("Je file droit") et le DJ Laurent Wolf dans un remix house. Elle servira de titre à deux films, le premier, en 1970, de John Frankenheimer avec Gregory Peck (en français Le Pays de la violence), le second, en 2005, un biopic cette fois, de James Mangold, avec Joaquin Phoenix et Reese Witherspoon, dans le rôle de June Carter, sa seconde femme. À qui on attribuera désormais ce musical message de fidélité : Cash divorcera de Vivian en 1966, avant d'épouser deux ans plus tard la chanteuse de la Carter Family, qu'il avait rencontrée dès 1956 dans les coulisses du Grand Ole Opry de Nashville.

.            Le 12 septembre 2003, le Man in Black, ex-junkie alcoolique en quête de rédemption, a rejoint June, partie quelques mois plus tôt. Sûr qu'avec elle, là-haut, il file toujours droit.