Une nation en gestation
Herodote.net - Béatrice Roman-Amat – 24 oct 2016 / Letters from an American – Heather Cox Richardson - 15 mars 2021
. Le 4 juillet 1776, à Philadelphie, les représentants des Treize Colonies anglaises d'Amérique du Nord proclament unilatéralement leur indépendance.
Bien que tous les habitants de ces Treize Colonies ne soutiennent pas l'indépendance - beaucoup sont loyalistes et la plupart attentistes - les armées insurgées (les Insurgents) prennent le dessus sur les Britanniques, grâce au soutien de la France de Louis XVI. En 1783, la Grande-Bretagne doit reconnaître l'indépendance des États-Unis par le traité de Versailles.
Les jeunes États-Unis d'Amérique réunissent un Congrès continental pour se doter d'un système de gouvernement. Ils adoptent les « Articles de la Confédération », qui laissent à chaque État la jouissance de sa souveraineté, à l'exception de la politique étrangère. Cette dernière est confiée au Congrès, composé d'un délégué par État.
En 1787, le Congrès déclare l'Ouest propriété fédérale, le découpe en parcelles qu'il pourra vendre aux enchères et y interdit l'esclavage.
Dès qu'un nouveau territoire atteint 60 000 habitants, il devient État de la fédération. Le Kentucky est le premier territoire à remplir cette condition. 1787 est également l'année de l'adoption de la Constitution, encore en vigueur aujourd'hui. Influencée par la philosophie libérale, elle crée un système de séparation des pouvoirs et un gouvernement central aux pouvoirs limités. En 1789, George Washington, l'ancien commandant en chef des troupes indépendantistes, devient le premier président des États-Unis d'Amérique.
George Washington, en 1797, par Gilbert Stuart.
« L’ère des bons sentiments »
Portrait of James Madison c. 1821, by Gilbert Stuart
. Bien que la jeune nation américaine souhaite initialement rester neutre dans les guerres qui opposent la France napoléonienne aux Britanniques, elle s'engage en 1812 dans une nouvelle guerre contre la Grande-Bretagne. Celle-ci arraisonne des navires américains accusés de continuer à commercer avec la France malgré le blocus des ports français, et soutient les Amérindiens opposés à la colonisation de l'Ouest.
Les Américains lancent un assaut sur le Canada mais doivent aussi combattre sur deux autres fronts : la côte Atlantique, dont la Royal Navy organise le blocus, et les États du Sud. En 1814, les Britanniques incendient Washington. En 1815, ce sont les Américains qui remportent une brillante victoire à la Nouvelle Orléans. Le traité de Gand aboutit à un retour au statu quo. Bien que les États-Unis n'aient pas remporté une claire victoire, cette « Seconde Guerre d'indépendance » contribue à souder la jeune nation.
La décennie suivante est marquée par une vie politique consensuelle (« l'ère des bons sentiments ») et l'affirmation de la doctrine Monroe de « l'Amérique aux Américains », refus de toute ingérence européenne au nord comme au sud du continent.
Pendant cette période d'apaisement de la vie politique, les États-Unis concentrent leur énergie sur l'expansion vers l'Ouest. Le pays a déjà doublé sa superficie en acquérant la Louisiane en 1803, achetée à la France pour 15 millions de dollars. En 1819, les Espagnols lui cèdent la Floride à l'issue des guerres opposant les Américains aux Indiens Séminoles.
L'expansion américaine se poursuit au détriment du Mexique, indépendant depuis 1821. Des colons y fondent la République du Texas pour échapper à la législation mexicaine anti-esclavagiste. Elle est reconnue, puis annexée par les États-Unis, malgré la réticence du Congrès à incorporer des États esclavagistes.
En 1846, les États-Unis fixent avec le Royaume-Uni, de façon avantageuse, la frontière du Nord-Ouest qui les sépare du Canada. Last but not least, la guerre américano-mexicaine de 1847-1848 aboutit à la cession aux États-Unis, par le traité de Guadalupe-Hidalgo, du Texas, du Nouveau Mexique et de la Californie, un État rendu particulièrement attractif par la découverte d'or.
La première moitié du XIXe siècle est également une période de forte croissance démographique, alimentée par l'arrivée massive d'immigrants, notamment néerlandais et irlandais, et de développement industriel. Dans les années 1830-1840 se succèdent les grandes inventions qui vont révolutionner le pays : la moissonneuse de Cyrus Hall McCormick, le revolver de Samuel Colt, la charrue en acier de John Deere, la vulcanisation du caoutchouc de Charles Goodyear, le télégraphe électrique de Samuel Morse.
La conquête des terres autochtones
. La conquête des terres indiennes et mexicaines s'appuie sur la théorie dite de la «destinée manifeste» (manifest destiny), développée dans les années 1840 par le journaliste John O'Sullivan, selon laquelle la mission des États-Unis consiste à répandre la civilisation en direction du Pacifique : « C'est notre destinée manifeste de nous étendre sur un continent qui nous a été donné par la Providence ».
En 1849, le Congrès a créé le ministère de l'Intérieur (Department of the Interior) pour coordonner la gestion des questions importantes pour la politique intérieure des Etats-Unis. Entre autres choses, le ministère de l'Intérieur a pris le contrôle des Affaires Indiennes et des terres et territoires fédéraux.
Les réformistes espéraient que le transfert des Affaires indiennes du ministère de la Guerre au ministère de l'Intérieur, où des civils plutôt que des officiers de l'armée contrôleraient les relations avec les Autochtones, conduirait à moins de guerres. Mais au lieu de cela, cette réorganisation a entraîné les peuples autochtones dans un système politique sur lequel ils n'avaient aucun contrôle.
Au fur et à mesure que les colons pénétraient les territoires autochtones, le gouvernement prit le contrôle des terres par le biais de traités qui promettaient aux tribus de la nourriture, des vêtements, un abri, une éducation, des soins sanitaires et aussi des outils et des semences pour en faire des paysans. De plus, les membres des tribus recevaient généralement un paiement annuel en espèces. Ces distributions de biens et d'argent en firent finalement des assistés qui délaissèrent les moyens de subvenir à leurs propres besoins et en vinrent à négliger leurs terres.
Que ce soit volontairement ou par la force, les tribus se sont dès lors peu à peu déplacées vers des réserves, de vastes étendues, qui, une fois les Affaires Indiennes passées sous le contrôle du ministère de l'Intérieur, étaient supervisées par un agent, une personnalité politique choisie par les sénateurs américains de l'État de la réserve concernée. Si certains des agents ont effectivement tenté de faire correctement leur travail, la plupart furent nommés dans le but de soigner les intérêts du parti politique au pouvoir. Alors, ils ont détourné l'argent alloué par le Congrès à la tribu qu'ils supervisaient, puis ont passé des contrats pour le bétail, la farine, les vêtements, les couvertures, etc., à leurs comparses, qui remplissaient leurs « engagements » avec de la nourriture avariée et des chiffons, et encore, … quand ils s’en donnaient la peine. Les agents empochaient bien évidemment le reste de l'argent, pour soutenir leur parti politique au pouvoir et à maintenir le leur.
En 1862, en pleine guerre de Sécession, le président Lincoln promulguera le Homestead Act qui permet à toute famille de revendiquer un terrain, dans la limite de 160 acres (soit 65 hectares) sur lequel elle réside depuis cinq ans au moins. Tant pis pour les derniers Indiens... En 1871, le gouvernement américain renoncera à la politique des traités - systématiquement violés -, qui tendait à concentrer les Indiens sur certaines terres, et affiche à la place une volonté d'assimilation. Elle se traduit par le massacre des bisons et les ravages des épidémies et de l'alcool introduits par les colons parmi les Indiens.
Lorsque les chefs tribaux se sont plaints, le législateur a souligné - souvent à juste titre - qu'ils avaient disposé de l'argent conformément aux traités. Pourtant le système était essentiellement devenu une vaste caisse noire, tandis que les tribus n'avaient aucun recours contre les agents corrompus, sauf à faire la guerre lorsque la famine menaçait. Alors les agents faisaient appel à la troupe. Le démocrate Grover Cleveland a bien tenté de nettoyer le système en 1885-1889, mais dès que le républicain Benjamin Harrison a repris la Maison Blanche, il a relancé l'ancien système.
La corruption était alors si importante que les chefs militaires ont tenté de retirer la gestion des Affaires Indiennes du ministère de l'Intérieur, furieux qu’ils étaient des politiciens qui causaient des conflits avec les tribus, qui entrainaient la mort de soldats et d’Indiens qui ne faisaient que se défendre. Les militaires étaient sur le point de faire réussir leur réforme, quand le massacre de quelque 200 Sioux par l'armée à Wounded Knee dans le Dakota du Sud, le 29 décembre 1890, mit fin à toute illusion de voir une gestion militaire meilleure pour les Amérindiens que la gestion politique. Les deux derniers grands chefs indiens, Sitting Bull et Geronimo, sont contraints de se rendre. Au terme d'un dernier massacre, la « pacification » du territoire américain est terminée.
La guerre de Sécession
. L'adoption en 1854 de l'acte Kansas-Nebraska autorisant ces deux États à se prononcer sur la légalité de l'esclavage met fin à une situation d'équilibre établie en 1820 par le compromis du Missouri. Celui-ci établissait une ligne de partage entre États du Nord et États du Sud, en interdisant l'esclavage au nord de la latitude 36°30'. En 1854-1856, le Kansas est déchiré par une querelle entre esclavagistes et anti-esclavagistes.
En 1860, l'élection à la présidence d'Abraham Lincoln, fondateur d'un nouveau parti républicain opposé à l'esclavage, met le feu aux poudres.
Le nord anti-esclavagiste est beaucoup plus peuplé que le sud et produit l'essentiel des biens manufacturés. Il représente le commerce, l'industrie et les affaires, alors que l'économie du sud se fonde quasi-exclusivement sur la production du coton, du tabac et de la canne à sucre. Le nord aspire à des protections douanières pour soutenir son industrie en expansion ; le sud a besoin du libre-échange pour vendre son coton.
En février 1861 sept États du Sud font sécession des États-Unis. Ils s'unissent au sein d'une nouvelle confédération, dont Jefferson Davis devient le président. Leur objectif est de préserver leur mode de vie aristocratique et leur « droit » à l'esclavage. Rejoints par d'autres États, les confédérés assiègent les forts tenus par l'armée fédérale.
C'est le début de la guerre de Sécession ou Civil War (« guerre civile »), qui va durer quatre ans, mettre pour la première fois face à face plusieurs millions de soldats et coûter environ 600 000 vies (davantage que de morts américaines pendant toutes les guerres du XXe siècle !).
Au prix de violents combats, les nordistes prennent le dessus, grâce au potentiel économique et financier du quart nord-est du pays. En 1865, les sudistes sont contraints de solliciter un armistice. Les plantations de coton du sud ne retrouveront jamais leur prospérité d'avant la guerre de Sécession, les importateurs européens s'étant tournés vers d'autres marchés pendant le conflit.
Abraham Lincoln après la bataille d’Antietam (17 septembre 1862)
Reconstruction et réconciliation nationale
. Les États du Sud sont réintégrés dans l'Union et l'esclavage aboli. Les Noirs obtiennent le droit de vote mais, dans les faits, les États du Sud réussissent à les écarter des scrutins en votant des lois d'exception (par exemple l'obligation d'avoir eu un grand-père citoyen américain pour pouvoir voter) et prennent des mesures de ségrégation dans les lieux publics.
Ils y sont encouragés par la Cour suprême qui, en 1876, autorise chaque État à organiser à sa guise le « cadre des relations interraciales ». Les anciens États esclavagistes mettent alors en place des législations surnommées « lois Jim Crow », d'après une chanson intitulée Jump Jim Crow et interprétée par un blanc grimé en noir. Elles instituent un système de « ségrégation » sur le principe : « séparés mais égaux » (ou « égaux mais séparés » !).
Le dernier tiers du XIXe siècle est marqué par l'achèvement de la conquête intérieure. L'agriculture s'industrialise et augmente sa productivité. En 1890, l'industrie dépasse pour la première fois l'agriculture en production de valeur, dopée par l'abondance des matières premières (charbon, cuivre, fer...).
La disparition de la « Frontière » et le renforcement du peuplement intérieur a pour première victime les Amérindiens.
. Au XXe siècle, une grande partie du travail du Département de l’intérieur s’est orientée vers la gestion des droits miniers et de pâturage, non seulement sur les terres autochtones, mais aussi sur les terres appartenant au gouvernement fédéral. Jusqu'en 1920, la loi fédérale permettait aux entreprises de revendiquer les minerais du sous-sol des terres qu'elles contrôlaient. La découverte du pétrole dans l'Ouest a déclenché une ruée et, en 1909, le directeur du US Geological Survey a averti le gouvernement que les prospecteurs s'appropriaient de fait tout le territoire et le président William Howard Taft signa un décret pour protéger plus de 3 millions d’acres (12.140 km2) de terres fédérales en Californie et dans le Wyoming, et en affecter les réserves d’huile à l’US Navy.
En 1920, le Congrès a adopté le Mineral Leasing Act, qui a chargé le ministère de l'Intérieur de la supervision des permis d’exploration pour le pétrole et les minéraux, des autorisations de forage et d'exploitation minière, et encaisser une redevance au prorata de la valeur des extractions.
. Peu de temps après l'entrée en fonction du président Warren G. Harding en 1921, son Secrétaire à l'Intérieur, Albert Fall, a commencé à toucher d'énormes pots-de-vin du magnat du pétrole Edward Doheny. En 1922, Fall réussit à persuader le Secrétaire à la Marine de lui transférer le contrôle du champ pétrolifère Teapot Dome dans le Wyoming, ainsi que de deux autres champs pétrolifères de Californie. Harding signé l'accord et Fall a rapidement concédé à Doheny des baux occultes, donc sans appel d'offres, pour l’exploitation des champs.
Le scandale Teapot Dome a envoyé Fall en prison pendant un an, faisant de lui le premier ancien responsable d’un cabinet à purger une peine. Bien que Doheny fut convaincu que le socialisme détruirait l'Amérique, Teapot Dome a marqué le début de l’influence de l'industrie pétrolière sur le gouvernement américain.
La bataille de Little Bighorn,
. Surnommée aux États-Unis Custer's Last Stand (« l'ultime résistance de Custer »), et en sioux la bataille de la Greasy Grass, elle opposa les 647 hommes du 7e régiment de cavalerie de l'armée américaine du lieutenant-colonel George A. Custer à une coalition de Cheyennes et de Sioux rassemblés sous l'influence de Sitting Bull.
Elle s'est déroulée les 25 et 26 juin 1876, à proximité de la rivière Little Bighorn (« petit mouflon », un affluent du Bighorn), dans l'est du Territoire du Montana. C'est l'épisode le plus célèbre de la guerre des Black Hills (aussi connue sous le nom de grande guerre sioux de 1876) qui se solda par une victoire écrasante des Amérindiens menés par Crazy Horse, le chef sioux Gall et le chef cheyenne Lame White Man. Custer et 267 de ses hommes périrent dans cette bataille. C'est l'une des batailles les plus célèbres de l'histoire des États-Unis.
Une nation d’immigrants
. Le recensement de 1790 révèle que les États-Unis abritent environ 3,2 millions d'habitants d'origine européenne et 700 000 esclaves d'origine africaine (sans parler de quelques millions d'Indiens ou Amérindiens). Dès le lendemain de l'indépendance, les Américains (ou Étasuniens) entament leur expansion territoriale vers l'Ouest et le Sud. Elle ne s'achèvera qu'au milieu du XIXe siècle, lorsque le pays atteindra ses frontières actuelles.
À partir des années 1840-1850, les États-Unis accueillent des vagues massives d'immigrants venus d'Europe. D'abord essentiellement anglo-saxonne, l'immigration s'étend progressivement à l'Europe du Sud (Italie, Grèce) et à l'Europe centrale. Entre 1880 et 1920, près de 25 millions d'immigrants viennent grossir la population américaine. Des lois votées dans les années 1920 établissent des quotas afin de limiter et maîtriser l'immigration par nationalité.
Depuis la fin du XXe siècle, l'immigration concerne surtout l'Amérique latine et l'Asie (Philippines, Vietnam...). L'immigration de source illégale est devenue plus importante numériquement que l'immigration légale et la composition ethnique du pays évolue rapidement. En 2006, les États-Unis ont franchi la barre des 300 millions d'habitants. Pourtant, avec une superficie de 9,160 millions de km2 (dont 1,480 pour l'Alaska), la densité de population y reste faible (33 habitants au km2 en moyenne).