06 avril 1917 : 5 choses à savoir sur l’entrée en guerre des États-Unis

Le Figaro - Camille Lestienne – 13 jul 2017

.            Le 6 avril 1917, les États-Unis déclaraient la guerre à l'Allemagne. Retour en cinq points sur cette étape décisive de la Première Guerre mondiale qui reste l'un des conflits les plus meurtriers de l'Histoire.

Un mot: «Neutralité»

.            Le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils ne voulaient pas y aller. Au nom de la doctrine Monroe développée par le président du même nom en 1823. C'est du donnant-donnant: la vieille Europe ne s'immisce plus dans les affaires américaines, en contrepartie les États-Unis ne se mêlent pas des questions européennes. C'est ainsi que le président Wilson dès le 4 août 1914 déclare la neutralité américaine.

Neutralité nécessaire également au maintien de la cohésion nationale avec une population essentiellement composée d'immigrés venus des pays belligérants. L'Amérique ne reste cependant pas neutre sur le plan des affaires. Elle devient le principal partenaire commercial et le créancier des pays de l'Entente exsangues après des années de guerre.

C'est le non interventionnisme que Wilson porte encore en slogan pour sa réélection en novembre 1916. «He kept us out of war» (il nous a préservé de la guerre) proclament ses affiches. Promesse de campagne qu'il ne pourra rapidement plus tenir.

Deux raisons d'y aller

.            Plusieurs événements rendent la position des Américains intenable.

Tout d'abord, la «guerre sous-marine à outrance» menée par les Allemands. Si le drame du Lusitania coulé en 1915 par les Allemands avec 128 Américains tués n'infléchit pas leur position, les attaques sous-marines relancées par les Allemands en février deviennent une véritable entrave à la navigation commerciale. Le 19 mars, un bâtiment américain, le Viligentia, est coulé.

Un autre incident renverse la situation. La correspondance du ministre allemand des affaires étrangères, Arthur Zimmerman, est opportunément révélée par les Britanniques. On y apprend qu'il propose aux Mexicains une alliance contre les États-Unis. La coupe est pleine. Le 6 avril 1917, le Congrès vote la guerre à 373 voix contre 50.

       Le Figaro – 07 avril 1917

 

Une phrase: «La Fayette, nous voilà!»

.            C'est sous le patronage de l'illustre La Fayette que se place l'intervention américaine, comme un juste retour des choses.

La légende est belle. Le 4 juillet 1917, sur la tombe du général La Fayette au cimetière de Picpus, le lieutenant-colonel Stanton, porte-voix du général Pershing, prononce cette phrase: «La Fayette we're here». Une phrase entrée dans l'Histoire mais qui n'aurait jamais été prononcée ainsi. Elle serait dûe à un journaliste du Petit Parisien résumant ainsi la tonalité des discours. Le Figaro, comme les autres quotidiens, ne la rapporte pas. En revanche, Stanton promet «sur cette illustre tombe» -plusieurs journaux l'attestent-, de mener les combats jusqu'à la victoire.

L'arrivée des Américains en France donne lieu à des cérémonies solennelles et déchaîne les passions. Que ce soit le 13 juin quand ils débarquent à Boulogne-sur-mer ou le 4 juillet pour la fête nationale américaine, des foules exaltées acclament les troupes. «Vive l'Amérique!» crient-elles pendant qu'une «pluie de fleurs tombe sur les soldats qui les attrapent au vol» raconte Le Figaro le lendemain.

Accueil solennel pour le général Pershing en juin 1917 à Boulogne-sur-mer, arrivant avec un premier contingent de soldats américains. - Crédits photo : Rue des Archives/© Granger NYC/Rue des Archives

Des hommes: 2 millions de «Sammies»

.            Combien d'hommes ? À la déclaration de la guerre le gouvernement américain ne dispose que d'une armée de métier de 200.000 hommes.

Après la conscription, ils sont 4 millions dont la moitié est envoyée en Europe. Avec leur uniforme vert olive et leur chapeau mou, les soldats yankees intriguent. On les surnomme affectueusement «Sammies» en référence à l'oncle Sam ou parfois «Teddies» (pour Teddy Roosevelt). Le Figaro évoque également le 28 août 1918 les surnoms de «Yanks» ou «Doughboys». Ils rejoignent ainsi dans le cœur des Français les Tommies britanniques.

Les «Sammies» tardent à rejoindre le champ de bataille. Il faut d'abord les former au terrain et acheminer l'armement. Ce n'est qu'à la fin de l'été 1918 que les premiers combats ont lieu. Sur les quelques 100.000 soldats américains tués, la moitié perdront la vie sur les champs de bataille. Un chiffre bien faible par rapport aux 9 millions de morts militaires de l'ensemble des pays belligérants. Leur arrivée cependant suffit à remonter le moral des troupes et convaincre les Allemands de leur défaite inéluctable.

Les soldats américains bien loin du bleu horizon des Français ou du casque à pointe des Allemands. - Crédits photo : Rue des Archives/©Rue des Archives/RDA

Un homme: Woodrow Wilson

  Thomas Woodrow Wilson, 28e Président américain (1856-1924).

.            Nul autre que le président Woodrow Wilson n'incarne mieux l'intervention américaine dans le conflit qui déchire la vieille Europe. Le 28e Président, ancien universitaire et gouverneur démocrate du New Jersey, est élu en 1912. Ce fils de pasteur presbytérien est un progressiste. Il met en place sous ses deux mandats des réformes importantes: renforcement de la loi antitrust, création de la Réserve fédérale, interdiction du travail des enfants, droit de vote des femmes mais aussi la prohibition. Sur le plan international, la ligne est moins claire. Partisan de la neutralité comme la majorité des Américains, il se trouve confronté à des événements qui l'obligent à rompre avec l'isolationnisme. Son célèbre «discours en 14 points» prononcé le 8 janvier 1918 servira de base aux négociations de paix. Il prône alors l'assainissement des relations diplomatiques, la liberté des échanges, l'auto-détermination des peuples et enfin la création de ce qui sera la Société des Nations (SDN). Il reçoit pour son action le prix Nobel de la Paix en 1919. Mais le temps des idéaux est terminé. Wilson assiste impuissant au refus de son pays de ratifier le Traité de Versailles et d'adhérer à la SDN. Epuisé, il quitte le pouvoir en 1921 et meurt trois ans plus tard à l'âge de 67 ans.

 

Qui a vraiment dit “La Fayette nous voilà !” ?

14 Mission CENTENAIRE 18

Le général Pershing lors de son hommage à La Fayette au cimetière Picpus, le 04 juillet 1917

.          … « La Fayette, nous voilà ! », la célèbre formule qu'aurait prononcé le général Pershing, le 4 juillet 1917, sur la tombe de La Fayette au cimetière de Picpus à Paris. D'autres attribuent plutôt ces mots au colonel Stanton, qui accompagnait le général américain ce jour-là... Alors, général ou colonel ? Ni l'un ni l'autre, selon une enquête méconnue des années 70, menée par le fils d'un journaliste parisien qui se trouvait à Picpus, ce jour-là ...

Le 4 juillet 1917, devant une foule nombreuse et enthousiaste, le général Pershing et le colonel Stanton ont rendu hommage au général La Fayette au cimetière de Picpus où celui-ci est enterré. Le jour est symbolique puisqu’il s’agit de la fête nationale américaine, date anniversaire de la déclaration d'indépendance des Insurgents, le 4 juillet 1776, et pour lesquels le marquis de La Fayette avait pris fait et cause, jusqu'à devenir le proche collaborateur de George Washington et le principal artisan de la victoire décisive des alliés franc-américains contre les Britanniques à Yorktown, le 17 octobre 1781.

Lors de cet hommage, le général Pershing a improvisé un discours après celui du colonel Stanton, comme il le raconte dans ses mémoires :

« On m’avait demandé de prononcer une allocution ; mais j’avais désigné pour parler à ma place le colonel C.E Stanton de mon Etat-major, un vieux compagnon d’armes, qui était quelque peu orateur (…) M. Painlevé, l’ambassadeur Sharp et moi-même, nous nous tenions à côté les uns des autres et écoutions les divers discours ; au moment où la cérémonie fut près d’être terminée, M.Painlevé me dit :

« Est-ce que vous n’allez pas parler ? »

Je répondis :

« Non, le colonel Stanton va parler pour moi. »

- Mais, dit-il, il faut que vous parliez.

Sharp le pressa tant d’insister que je fus poussé à la tribune et que je dus improviser un speech. Cette journée si remplie d’incidents était si bien faite pour vous inspirer que je n’eus pas de peine à trouver quelques mots »

.          Un jeune journaliste du Petit Parisien, Aristide Véran, devait alors couvrir l’événement. Il avait été informé tardivement de sa présence obligatoire sur les lieux. Il arriva en retard et rata une partie du discours de Pershing. Ne comprenant pas l’anglais, il prit des notes avec l’aide de ses camarades journalistes américains et britanniques bilingues. Lorsque le directeur du Petit Parisien l’interrogea sur le déroulé de l’événement, Aristide Véran aurait résumé et repris les propos du colonel Stanton « La Fayette, nous voilà ! ». Une allocution à prendre au conditionnel car il n’existe aucune source écrite qui prouve que cette phrase soit sortie de la bouche du colonel Stanton - aucun journal américain, britannique ou français n’en fait la mention...

Si la légende veut que ce soit le général Pershing qui ait prononcé cette célèbre formule, il suffit, pour la mettre en doute, de lire son autobiographie Mes souvenirs de guerre, dans laquelle il écrit noir sur blanc ne pas avoir « souvenance d’avoir dit quelque chose d’aussi beau », et où il soutient - non sans trop en être sûr - que c'est le Colonel Stanton qui en était à l'origine : « Ces mots, je crois pouvoir l'affirmer, ont été prononcés par le Colonel Stanton, et c'est à lui que doit revenir l'honneur d'une phrase si heureuse et si bien frappée. »

Voilà qui suffirait à mettre fin à toute discussion et démythifier le célèbre « La Fayette, nous voilà ! », sauf qu'il n'existe aucune preuve écrite qui puisse vérifier l'assertion du Général Pershing, comme le montre l'enquête détaillée du fils d’Aristide Véran, Géo-Charles Véran, réalisée en 1976, et dont une copie est disponible à la Bibliothèque Nationale de France. Dans ce dossier très fouillé, intitulé La Fayette Nous voilà ! Ou ce que les dieux seuls peuvent entendre, ce passionné d'histoire a inclus les retranscriptions des discours parus dans articles de journaux publiés au lendemain de l’événement, et constaté qu'aucune trace de cette fameuse expression n’existe, autre que dans le Petit Parisien ... Il a même retrouvé des journalistes témoins, présents à Picpus ce jour-là, mais sans qu'aucun ne se souvienne avoir entendu de tels mots venant du colonel...

Sur la base de cette enquête très documentée, qui va à l'encontre des mémoires de Pershing, faut-il par conséquent admettre que cette formule est une pure invention du journaliste du Petit Parisien ? L'hypothèse est plus que plausible... Mais les légendes ont la vie dure, et ces mots célèbres ayant déjà fait plusieurs fois le tour du monde, sont devenus un symbole fort de l'amitié franco-américaine au XXe siècle, et peu importe, au final, de savoir qui les a vraiment prononcés !

Le 4 juillet 1917 à Paris et le serment sur la tombe du marquis de La Fayette

.          Presque réalisées avec la technique du tourné-monté, ces images conservées à l’état brut relatent la célébration du 4 juillet 1917 à Paris.

Le 4 juillet, les Français célèbrent avec les Américains, tout juste entrés en guerre aux côtés de la Triple-Entente, la fête nationale des États-Unis qui commémore leur déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776. À cette occasion se déroulent diverses cérémonies (dépôt de gerbes, défilé , discours, etc.) devant une foule composée de civils et de militaires, nombreuse et enthousiaste.

Un grandiose défilé des troupes françaises et américaines a lieu sur la place de la Bastille, drapeaux en tête.

Au cimetière de Picpus, devant la sépulture du marquis de La Fayette, les autorités civiles et militaires prononcent des discours. Se succèdent notamment le colonel Stanton, commandant la mission militaire américaine, le général Pershing, commandant le corps expéditionnaire américain en France, Paul Painlevé, ministre de la Guerre, et William Graves Sharp, ambassadeur des États-Unis en France.

Informations sur la vidéo : Date de l'évènement : Juillet 1917 / Lieux : Paris / Équipe de tournage : Section photographique et cinématographique de l’armée / Référence : 14.18 A 1154 / Copyright : ECPAD

 

06 avril 1917 - Les Américains entrent en guerre

Herodote.net – André Larané – 01 avr 2017

Parade à Broadway, avant l’embarquement pour l’Europe (1918)

Guerre sous-marine à rebondissement

  .               Pendant trente mois, les combats opposant Allemands et Austro-Hongrois à la Triple-Entente (Français, Anglais, Russes et autres alliés) se sont enlisés dans les tranchées.
La lassitude commence à se faire sentir dans les deux camps et principalement chez les Puissances centrales, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, très affectées par le blocus de leurs côtes par la marine anglaise. Empêchés de s'approvisionner correctement depuis avril 1915, soit deux ans déjà, les citadins allemands souffrent de la disette.
L'empereur autrichien Charles 1er fait en vain des offres de paix séparée. Et l'empereur allemand Guillaume II lui-même demande au président Wilson de s'entremettre entre les combattants ! Le 22 janvier 1917, dans un discours retentissant devant le Sénat, Wilson propose une « paix sans victoire ». C'est un tollé dans les deux camps : personne n'imagine d'avoir autant souffert pour rien.
En désespoir de cause, l'état-major allemand joue son va-tout. Au risque de heurter les États-Unis, encore neutres, il décide de reprendre la guerre sous-marine à outrance et déclare les eaux territoriales britanniques zone de guerre.
Les Allemands avaient suspendu la guerre sous-marine dix-huit mois plus tôt, après le torpillage du Lusitania et la menace par Washington d'entrer en guerre contre l'Allemagne.
Il est vrai que les Allemands ne disposaient alors que de 25 sous-marins. Ils en ont désormais 150 et espèrent, en coulant l'équivalent de 600 000 tonnes par mois, desserrer le blocus, entraver l'approvisionnement des Alliés et obliger ceux-ci à la capitulation en six mois, avant que les États-Unis n'aient le temps d'entrer dans la guerre.
Le 31 janvier 1917, à contrecoeur, le comte Johann von Bernstoff, ambassadeur d'Allemagne à Washington, informe les Américains de la décision de son gouvernement.
Dans le même temps, à Berlin, le Secrétaire d'État allemand aux Affaires étrangères Arthur Zimmermann déclare, plein d'illusions, à l'ambassadeur américain : « Accordez-nous deux mois de guerre sous-marine : dans trois mois, nous aurons terminé la guerre et obtenu la paix ».

Un télégramme très opportun

  .               Le président Wilson est embarrassé car il a été réélu en novembre 1916 sur la promesse de maintenir son pays en-dehors du conflit. Le 26 février, il suggère une « neutralité armée » et propose au Congrès d'armer les navires de commerce en vue de les protéger.
Ce n'est pas encore la guerre mais ça y ressemble. Beaucoup d'élus et de citoyens s'indignent. Le scandale Zimmerman va tout faire basculer !
Dès le 16 janvier 1917, Arthur Zimmermann a adressé un télégramme secret à son homologue mexicain. Il lui a fait part de l'intention de son pays de reprendre la guerre sous-marine à outrance (la guerre sous-marine reprend en effet dès le 1er février 1917).
Zimmerman propose une alliance au Mexique, avec à la clé, en cas de victoire, l'annexion du Sud des États-Unis.
Le télégramme est intercepté par la Marine britannique et transmis au président américain. Celui-ci le fait opportunément publier dans la presse le 1er mars. Le scandale fait basculer l'opinion américaine, jusque-là neutraliste.
Le torpillage du paquebot Vigilentia, le 19 mars 1917, par un sous-marin allemand lui rappelle qui plus est le sort similaire fait au Lusitania le 7 mai 1915. L'affaire est entendue ! Les États-Unis entrent donc dans la guerre aux côtés des Alliés le 6 avril 1917.
Sur une caricature de l'époque, le Kaiser observe l'arrivée des soldats américains. « Combien de navires a-t-il donc fallu pour les amener en Europe ? » demande-t-il, incrédule. « Un seul, le Lusitania, » lui répond un conseiller.
L'intervention de la première puissance industrielle du monde s'avère décisive.
Français et Britanniques, au bord de l'effondrement, accueillent la nouvelle avec un soulagement d'autant plus grand qu'ils ne peuvent plus guère compter sur leur allié russe. Le front oriental est affaibli par les mouvements révolutionnaires et le coup d'État bolchévique du 6 novembre 1917 va conduire à sa rupture.

La guerre américaine

  .               Les premiers « Sammies » [1] débarquent le 26 juin 1917 au Havre.
Le 4 juillet 1917, le lieutenant-colonel Stanton lance au cimetière de Picpus, devant la tombe du héros des deux Mondes, la célèbre apostrophe : « La Fayette, we're here ! » . Ce n'est toutefois qu'un an plus tard que les premiers combattants américains seront engagés dans les combats...
À l'été 1918, sur les 211 divisions dont dispose le généralissime Foch, une douzaine seulement sont américaines et leur équipement, notons-le, est fourni par la France, celle-ci disposant des usines d'armement (chars, avion, canons) qui font encore défaut outre-Atlantique ! Mais la 1ère armée américaine du général John Pershing lance sa première offensive à Saint-Mihiel, près de Verdun, le 12 septembre 1918 et ce tardif engagement suffit à convaincre les Allemands de leur infériorité et de l'inéluctabilité de leur défaite.
Il faut dire que deux millions de Sammies sont à ce moment-là présents sur le sol français. Parmi eux deux cent mille noirs, cantonnés au moins au début dans les opérations de soutien. Deux millions de soldats s'apprêtent à traverser à leur tour l'Atlantique, tous en bonne santé et plein d'allant, à la différence des poilus et des tommies anglais, épuisés par trois ans de guerre.
Ils n'auront pas le temps de beaucoup combattre car leur premier engagement sérieux n'aura pas lieu avant juillet 1918, dans le saillant de Saint-Mihiel, dans la Meuse, mais il convaincra les Allemands de l'inéluctabilité de leur défaite.
Les États-Unis perdront au total 116 000 hommes dans le conflit, ce qui est peu en regard de leur population (95 millions d'habitants). Mais ainsi que le note l'historien André Kaspi, si la guerre ne s'était pas arrêtée le 11 novembre 1918, elle serait devenue l'affaire des Américains et aurait mené ceux-ci jusqu'à Berlin selon la volonté du général Pershing.


« Sammies » de retour du saillant de Saint-Mihiel (juillet 1918)

« And the winner is... »

  .               En dépit de leur intervention, les États-Unis ont le sentiment de participer à une guerre strictement européenne... Aujourd'hui encore, c'est ainsi qu'est appelée aux États-Unis la Grande Guerre : « European war ».
Sitôt après la fin des hostilités, en 1919, ils renouvellent leur tradition isolationniste , d'une part avec le refus du Sénat de ratifier le traité de Versailles, d'autre part en établissant pour la première fois des quotas d'immigration motivés par la crainte de perdre leur identité anglo-saxonne. Ces quotas resteront en vigueur jusqu'en 1967.
Les Européens, quant à eux, s'effraient de l'image que leur renvoie la société américaine. Quoi qu'il en soit, les États-Unis, qui faisaient auparavant figure de puissance lointaine, sont devenus avec leur entrée en guerre une puissance européenne, partie prenante des affaires du Vieux Continent.

Pourquoi entrer dans la guerre ?

  .               Quand éclate le conflit en Europe, les États-Unis, devenus depuis peu la première puissance mondiale, n'ont aucune envie de s'y associer. D'une part, ils veulent préserver la paix civile entre leurs ressortissants de diverses origines (Anglo-Saxons, Allemands, Russes...) et n'ont aucune sympathie pour la Russie autocratique et antisémite. D'autre part, ils ont bien plus à gagner en approvisionnant les belligérants à prix d'or en fournitures agricoles et industrielles.
De fait, à défaut de pouvoir commercer avec les Allemands et les Austro-Hongrois, soumis au blocus de la Royal Navy, ils multiplient les livraisons à destination de l'Entente (la Grande-Bretagne et la France). Ces ventes se font à crédit (2,3 milliards de dollars de prêts à l'Entente contre 26 millions seulement à l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie) et le souci d'en obtenir le remboursement va être déterminant dans le choix du gouvernement américain de s'engager aux côtés de l'Entente.
Un banquier américain anonyme en fait la confidence à un jeune journaliste français, Camille Ferri-Pisani : « J'ignore La Fayette. J'ignore si l'Allemagne attaqua la première. De l'histoire, je ne retiens que la statistique. Je sais une chose, c'est que la grande guerre a quintuplé le chiffre de nos affaires, décuplé nos bénéfices et tout ce trafic magnifique nous l'avons opéré avec les Alliés. (...) Notre stock or dépasse aujourd'hui le stock or de tous les Alliés réunis. Mais vous nous avez payé aussi avec du papier. Or vos traites ne vaudront que ce que vaudra votre victoire. Il faut que vous soyez victorieux à tout prix pour faire face à vos engagements. Je vois plus loin encore. Il vous faudra reconstruire tout ce qui fut détruit. Cet argent que nous avons gagné sur vous, nous vous le prêterons pour relever vos villes... » (Les Annales, 25 mars 1917).

[1] - Sammies, Doughboys, GI

 * Les soldats américains qui débarquent sur le Vieux Continent en 1917 sont surnommés « Sammies », en référence à l'Oncle Sam, surnom de Samuel Wilson, un homme d'affaires new-yorkais qui fit fortune en fournissant l'armée en viande de boeuf pendant la guerre anglo-américaine de 1812. Son surnom devint le symbole de l'Amérique paternelle.

 * Ils sont aussi appelés « Doughboys ». Cette appellation remonte à la guerre de Sécession. Elle vient de ce que les vareuses des soldats de cette époque portaient des boutons assimilables à des beignets (en anglais « doughnut »).

 * Quand survient la Seconde Guerre mondiale, vingt-cinq ans plus tard, c'est le surnom de G.I.'s qui s'impose pour désigner les fantassins américains, en référence à l'étiquette de leur uniforme : « Government Issue » (« Fourni par le Gouvernement »).


Quand les Sammies sont montés au front

  .               Le 6 avril 1917, les Etats-Unis, neutres depuis 1914, déclaraient la guerre à Berlin. « La Fayette, nous voilà ! » se serait écrié devant la tombe du héros de l’indépendance américaine, au cimetière de Picpus, le général Pershing, commandant du corps expéditionnaire américain tout juste arrivé en France, ou son adjoint le lieutenant-colonel Charles E. Stanton : la formule est peut-être controuvée. La guerre sous-marine à outrance engagée par le Reich en janvier 1917, qui mettait en péril la liberté du commerce, et la menace d’un soutien allemand au Mexique, traditionnel adversaire des Etats-Unis, avaient eu raison de l’isolationnisme de Washington. Un isolationnisme relatif puisque la banque et l’industrie américaines, depuis 1914, avaient tiré bénéfice des emprunts et des commandes que leur faisaient la France et la Grande-Bretagne.

Avec quels moyens les Etats-Unis allaient-ils affronter ­l’Allemagne ? Pour un pays d’environ 100 millions d’habitants, ils ne disposaient que d’une armée de moins de 200 000 hommes. Le 18 mai 1917, le président Wilson ­signait la loi rétablissant la conscription, abolie après la guerre de Sécession. Se mettait alors en marche une énorme mécanique qui, jusqu’en 1918, amènera 4,8 millions d’Américains à revêtir l’uniforme.

Cette armée rapidement constituée, encore fallait-il ­l’entraîner, ce qui fut fait dans les camps d’instruction ouverts sur le sol américain. Français et Anglais envoyèrent des instructeurs, mais les Américains, entrés dans le conflit comme « associés », tenaient à leur autonomie et, contrairement au vœu de Foch, refuseront l’intégration de leurs forces dans l’armée française.

En juin 1917 débarque un contingent symbolique, car le gros des troupes est en cours de formation aux Etats-Unis et les navires manquent pour les transporter. La montée en puissance sera longue : 40 000 Sammies en France en ­octobre 1917, 300 000 en mars 1918, 1,8 million avant ­l’armistice. Seulement 40 % d’entre eux servent comme combattants, les autres étant affectés à la logistique et à l’intendance, dont les Noirs, la ségrégation raciale sévissant toujours.

Débarqués à Brest, Bordeaux, Saint-Nazaire ou au Havre, les Américains poursuivent leur instruction dans des camps de l’arrière. Si de rares unités montent au front au cours de l’hiver 1917, c’est lors de la contre-offensive alliée commencée à l’été 1918 que les Sammies sont véritablement engagés : au bois Belleau en juin, dans le saillant de Saint-Mihiel en septembre et dans l’Argonne en octobre. De 1917 à 1918, sur 784 000 hommes présents par roulement en première ligne, les Américains auront 34 000 tués au combat, 53 000 morts en ajoutant les blessés n’ayant pas survécu et les disparus. En valeur absolue, un chiffre infiniment plus faible, à l’évidence, que celui des autres ­nations alliées (pour mémoire, la France a perdu 1,4 million d’hommes entre 1914 et 1918).

Certains s’en prennent par conséquent à l’idée selon laquelle la guerre aurait été gagnée grâce aux soldats américains, en rappelant que, en mars 1918, contre les 192 divisions allemandes engagées sur le front occidental, combattaient 110 divisions françaises, 56 britanniques, ­12 belges, 2 portugaises et seulement 2 américaines. Le fait est exact. Il ne faut pas sous-estimer, toutefois, la ­dimension psychologique de l’affaire : en 1917-1918, l’arrivée des jeunes Sammies a soutenu le moral des Français et des Anglais, qui se battaient depuis 1914.