L’épopée ferroviaire américaine

Apogée et déclin d’un mode de transport qui a façonné les Etats-Unis (1820-1970).

D'après : Revue d’histoire des chemins de fer, Association pour l’histoire des chemins de fer, (à paraître. HAL, archives-ouvertes,0209812) - Matthieu SCHORUNG, Laboratoire Ville, Mobilité, Transport, Université Paris-Est Marne-la-Vallée - 17 avr 2019.

.            Le chemin de fer est immanquablement associé à l’histoire des Etats-Unis tant cette innovation a contribué à façonner le territoire étatsunien et à incarner la révolution industrielle au XIXème siècle. L’expansion du réseau ferroviaire dans ce contexte géographique est remarquable et connaît, des années 1840 à 1920, une période de domination incontestée. Le train est alors le seul mode de transport capable de déplacer les marchandises et les personnes sur des distances importantes. Il est associé à la fois à l’expansion de la frontière vers l’Ouest, d’abord au-delà des Appalaches puis en direction du Pacifique, et à la conquête et au peuplement des territoires ouest-américains.

Jusqu’aux années de la Grande Dépression, dans l’entre-deux guerres, le chemin de fer rythme encore la vie de la plupart des bourgades des Etats-Unis. Le sifflet dans le lointain, la cloche à l’approche des gares et des passages à niveau, le courrier, les colis, les départs vers les lointaines métropoles et un ailleurs prometteur. Mais avec l’arrivée de l’automobile et d’autres modes alternatifs s’ouvre une période de crise profonde du secteur ferroviaire dès les années 1920, qui s’aggrave après 1945.

Introduction

.            En 1917, les Etats-Unis comptent près de 450.000 kilomètres de voies ferrées, le réseau atteint alors son pic historique. Un peu moins d’un siècle plus tard, il s’est contracté de moitié et s’étend sur 228.000 kilomètres. Bien que de nombreux pays aient connu au XXème siècle des périodes de restructuration voire de déclin de leur réseau ferroviaire, le cas étatsunien étonne par l’ampleur de son évolution et ses conséquences très marquées sur le transport de passagers.

.            Le train, qui connaît une période d’expansion et de prospérité exceptionnelles quasi-ininterrompue entre 1830 et 1940, a révolutionné l’organisation économique et territoriale des Etats-Unis. Et dans le contexte d’abord de la conquête de l’Ouest et du déplacement de la Frontière, puis de la guerre de Sécession et de la Reconstruction, le chemin de fer a joué un rôle essentiel dans l’unification du pays et dans le maillage et l’intégration de son immense territoire.

.            Sa position quasi-monopolistique sera remise en cause par l’arrivée de l’automobile, la motorisation rapide de la société américaine, puis l’arrivée de l’avion. Aux yeux des Etatsuniens, le chemin de fer devient alors un objet archaïque, appartenant au passé, et suscitant chez certains la nostalgie d’un temps désormais révolu.

.            Le cas étatsunien est original tant le déclin du transport ferroviaire y est précoce et brutal. Les transformations du système de transports et des pratiques de mobilités des Etatsuniens seront profondes.

Un siècle d’apogée et d’essor du transport ferroviaire étatsunien (1830-1920)

L’implantation du chemin de fer aux Etats-Unis : une logique d’appropriation et de mise en valeur du territoire.

.            Le train à vapeur apparaît comme le mode de transport terrestre le plus adapté aux nécessités de la société agraire américaine en cours d’industrialisation. Le pays a besoin d’un mode de transport peu cher et rapide qui puisse surmonter les distances et les obstacles naturels du territoire étatsunien. Le chemin de fer est introduit en 1827 aux Etats-Unis par la Baltimore & Ohio Railroad Company qui inaugure sa première ligne en 1833. L’utilisation de la vapeur comme force motrice permet au train d’afficher des vitesses plus élevées que le bateau et l’installation de rails permet de relier davantage de villes et de communautés rurales. De nombreuses compagnies locales essaiment et construisent de petites lignes d’abord destinées à assurer des liaisons entre une ville et des territoires agricoles ou des bassins miniers. En 1835, les Etats-Unis comptent plus de 1.600 kilomètres de voies ferrées sur 39 lignes ferroviaires. L’engouement pour les chemins de fer ne gagne pas encore beaucoup d’investisseurs et de gouvernements locaux alors que l’Etat fédéral, embryonnaire, reste en retrait.

.            Avant le milieu du XIXème siècle, le chemin de fer en est encore à une organisation primitive et se limite à des distances courtes et des vitesses très limitées. Plusieurs obstacles persistent : la faiblesse des financements privés, le manque d’une force de travail disponible et suffisamment formée et l’absence de cadres juridiques pour sécuriser le développement des chemins de fer. Les acteurs politiques, administratifs et économiques ne savent pas encore comment gérer cette innovation. Toutefois les Américains sont rapidement convaincus par cette nouvelle technologie et le train est perçu alors comme une innovation révolutionnaire qui va transformer la vie économique et urbaine du pays. Cette innovation s’implante dans un pays très récent, dynamique, jeune et fortement marqué par l’esprit du front pionnier. Un parallèle s’installe dans les esprits entre le train et l’esprit américain.

.            Trois éléments favorisent le développement du chemin de fer : l’accroissement de la population et de la force de travail – par l’immigration et l’esclavage – l’augmentation des capitaux privés, et les améliorations techniques. Toutes les lignes construites entre 1830 et 1850 sont de petits tronçons isolés, peu interconnectés et dépassant rarement les frontières étatiques. La première ligne de longue distance de l’histoire des Etats-Unis est l’Erie Railroad. Il s’agit d’une ligne de 720 kilomètres visant à connecter les ports de l’Atlantique et le canal Erié, inaugurée en mai 1851 après plus de vingt ans de travaux. Parallèlement à cette ligne de l’Erié, d’autres grands chantiers sont lancés pour étendre le réseau au-delà de la côte Est vers l’intérieur des terres. Les grandes compagnies sont encore une exception au milieu du XIXème siècle. On en dénombre trois principales : la New York Central Railroad, l’Erie Railroad et le Pennsylvania Railroad.

.            En 1850, les Etats-Unis comptent près de 14.500 kilomètres de voies concentrées pour l’essentiel dans les Etats de l’Est avec quelques rares extensions au-delà des Appalaches. Mais, dès les années 1850-1860, la morphologie du réseau ferroviaire étatsunien se transforme et celui-ci s’étend vers l’Ouest. La situation évolue rapidement à mesure que Chicago se développe. Les cow-boys commencent à amener par train leurs troupeaux des ranchs du Texas vers Chicago qui s’est dotée de grands abattoirs. Une gare à été ouverte en 1867 par la Kansas Pacific Railroad sur une ligne qui sera prolongée dès 1870 jusqu'au Colorado ; la station est située dans une petite bourgade primitivement appelée Mud Creek, puis rebaptisée Abilene en 1860, qui va devenir grâce au train la plaque tournante du commerce des bovins. Ainsi Chicago sera la grande ville du Midwest qui dispose d’une position stratégique au carrefour entre les Grandes Plaines, le Midwest, les Grands Lacs et les territoires déjà développés du Nord-Est.

.            Malgré cette implantation du chemin de fer vers l’ouest, les grands tronçons du Nord-Est vers la région de Chicago sont encore peu nombreux. Les centaines de tronçons construits avant la guerre de Sécession sont de taille modeste et très mal interconnectés, constituant un réseau « fin et fracturé ». Les conditions de voyage sont désastreuses à cause de la lenteur des trains – en moyenne 30 km/h – ou des changements et des ruptures de charge nombreux, puisque cinq trains sont nécessaires pour aller de New York à Washington.

La « fièvre des chemins de fer » (1860-1910) : une croissance du réseau suivant des logiques spéculatives et politiques.

.            En 1860, dix ans plus tard,  la longueur du réseau a triplé : les Etats-Unis comptent déjà près de 48.000 kilomètres de voies ferrées bien que seulement 15.000 dans le Sud qui souffre d’un sous-équipement généralisé.

.            La guerre de Sécession (avr.1861-avr.1865) est la première guerre moderne avec le chemin de fer comme partie intégrante du dispositif militaire. Le chemin de fer dans les Etats du Nord apporte un avantage logistique majeur notamment pour le transport de troupes alors que les installations ferroviaires deviennent également des lieux d’affrontements et des cibles stratégiques. En 1865, les Etats-Unis comptent près de 50.000 kilomètres de voies ferrées – très peu de nouvelles lignes sont construites pendant la guerre – qui relient toutes les villes de l’Est avec des liaisons jusqu’au Midwest à Chicago et St. Louis.

.           Après la guerre de Sécession, le gouvernement veut consolider l'unité du pays et le réseau ferré va y contribuer de manière essentielle. L’optimisme est de rigueur quant à l’avenir du pays pour plusieurs raisons : les ressources immenses à exploiter, les millions de km² à valoriser, un vaste marché intérieur en pleine croissance, une démographie dynamique grâce à l’immigration, une place toujours plus favorable dans le commerce mondial.

L'État fédéral concède en 1862 la construction de la première ligne transcontinentale à deux compagnies privées, l'Union Pacific et la Central Pacific Railroad, en leur accordant tout le long du futur tracé des terres dont la vente à des colons est destinée à rentabiliser les travaux (il procèdera de la même façon avec les lignes suivantes). En 1869, après l’achèvement de ce premier transcontinental, (à l’issue de six années de travaux sur les 2.826 km séparant Sacramento (Californie) et Omaha (Nebraska) s’ouvre une période inédite d’expansion du chemin de fer.

Comme prévu, la colonisation de l'Amérique intérieure et l'unité nationale... ainsi que l'éradication des derniers Indiens libres vont être accélérés par cette transcontinentale et les suivantes, le Santa Fe Pacific (New York-Los Angeles, 1881), le Great Northern Pacific (Chicago-Seattle) et le Southern Pacific (La Nouvelle Orléans-Los Angeles). On parle de « railroad mania » – folie des chemins de fer – pour caractériser cette période de l’histoire ferroviaire des Etats-Unis, des années 1870 à 1910. Le réseau étatsunien atteindra ainsi une longueur de 193.000 km en 1882 avant d’atteindre 267.000 km en 1890, puis 320 000 km en 1900.

.            Le dernier tiers du XIXème siècle est véritablement la période de triomphe du chemin de fer aux Etats-Unis. Cette croissance fulgurante est due à la fois à la construction des transcontinentaux vers l’Ouest et à la densification des réseaux historiques dans le Nord-Est et dans le Midwest. Au cours des années 1870, le maillage y est de plus en plus fin et les interconnexions de plus en plus nombreuses.

.            Dans les territoires de l’Ouest incorporés ou non à l’Union, seules des lignes locales destinées à améliorer le commerce et l’installation de nouvelles populations sont construites et le lien avec le Nord-Est est assuré uniquement par un transcontinental pendant une décennie. Alors que le maillage dans les Grandes Plaines et dans la vallée du Mississippi s’étoffe rapidement, le Midwest, autour de Chicago, confirme sa position de carrefour ferroviaire des Etats-Unis. La situation est plus contrastée dans les Etats du Sud où l’heure est avant tout à la reconstruction du réseau existant détruit pendant la guerre, avant d’envisager de nouvelles liaisons.

.            La plupart des lignes, dont les transcontinentaux, ont pour but premier de relier le Pacifique et la côte ouest, avant de desservir l’intérieur du continent. En 1880, près d’un tiers des chemins de fer dans les Etats de l’Ouest ont dans leur nom les mots « pacific » ou « western ». Avant les décennies 1880-1890, les compagnies de chemins de fer avaient peu d’intérêts à marquer des arrêts intermédiaires dans les Grandes Plaines alors qu’elles souhaitent rapidement rejoindre les villes de la côte pacifique et les villes minières des Rocheuses. Aussi, très peu de lignes ferroviaires desservent les territoires dans un axe nord-sud.

.           La situation change au tournant du siècle, les Grandes Plaines sont bien mieux desservies par le chemin de fer. Le premier transcontinental, le Central Pacific, est achevé en 1869. Quatre autres transcontinentaux sont construits au cours des décennies suivantes : le Southern Pacific (Nouvelle-Orléans-Los Angeles) en 1882, le Northern Pacific (Chicago-Portland) en 1883, le Santa Fe (Kansas City-Los Angeles) inauguré en 1884 et enfin le Great Northern (Duluth-Seattle) en 1893.

.            La réalisation de ces lignes a un impact politique et territorial majeur. Les liaisons transcontinentales ont pour conséquence d’accroître fortement la richesse des compagnies ferroviaires et de quelques grands capitalistes. Elles permettent également de réunir et de fédérer à nouveau le pays après les ravages de la guerre de Sécession. Elles ouvrent surtout l’Ouest et l’immensité des terres intérieures au peuplement et à l’exploitation. Malgré les soupçons de corruption et les innombrables difficultés techniques et politiques, le premier transcontinental permet d’unifier symboliquement par une infrastructure le territoire étatsunien. Le chemin de fer est un élément majeur de l’entreprise de colonisation de l’Ouest américain.

.            La spéculation foncière et financière, à cette époque, est largement à l’origine de l’essor des chemins de fer. Il n’existe pas de politique cohérente ni au niveau fédéral, ni au niveau des Etats fédérés. Chaque Etat développe ses propres actions et chaque compagnie définit sa stratégie commerciale et financière. Les compagnies ferroviaires bénéficient de l’aide fédérale via des prêts et des concessions foncières. Près de 530.000 km² de terres fédérales sont concédés aux compagnies de chemins de fer d’après un décompte réalisé en 1943, dont 90% à l’ouest du Mississippi. Il faut en outre ajouter à cela les prêts et les concessions foncières accordés par les Etats. Ces lots de terres, désormais à la main des compagnies, sont vendus à bon prix aux candidats à la colonisation.

.            La mise en valeur des Grandes Plaines est absolument nécessaire pour rentabiliser les investissements dans les infrastructures. Les capitaux privés sont incontournables dans l’entreprise de développement du réseau ferroviaire. En 1890, les revenus des compagnies ferroviaires sont deux fois et demie supérieurs à ceux de l’Etat fédéral américain. Au début du XXème siècle, tout ce secteur ferroviaire est détenu par quelques grands capitalistes « rois du chemin de fer » dont James Hill, Edward H. Harriman, Jay Cooke, Cornelius Vanderbilt, Jay Gould. En 1906, les deux tiers du réseau se trouvent entre les mains de sept compagnies. Ce mouvement spéculatif reflète le côté anarchique de l’extension du réseau ferroviaire. C’est une période au cours de laquelle le capitalisme sauvage triomphe.

Les années 1900-1920 : le triomphe du chemin de fer et une position monopolistique problématique.

.            Dès les années 1870-1880, des innovations techniques sont adoptées progressivement par les compagnies ferroviaires : locomotives plus puissantes, rails en acier, systèmes de signalisation, coupleurs automatiques et freins à air comprimé. Les trains sont plus nombreux, plus réguliers grâce à des grilles horaires plus fiables, et plus confortables grâce aux wagons Pullman. Le réseau ferroviaire se consolide surtout à partir des années 1890. Avant la panique financière de 1893 (note), le réseau américain souffre de surcapacité, de sous-investissement chronique et d’une fragmentation trop importante entre plusieurs centaines de compagnies. Une consolidation du secteur est nécessaire et la crise de 1893 sert de déclencheur.

.            Au milieu du XIXème siècle, le réseau ferroviaire n’était en effet ni intégré ni efficace : diversité des écartements, manque de connexions dans certaines villes, maintien d’opérations manuelles, signalétique et systèmes de contrôle des trains hétérogènes, infrastructures médiocres comme les rails en fer et les ponts en bois. L’uniformisation du réseau passe essentiellement par l’adoption d’un même écartement des voies, 1.435 mm (même standard qu’en France). Au cours des années 1890, d’autres améliorations viennent encore moderniser et faciliter le transport par rail : multiplication des jonctions en villes, construction de lignes périphériques qui contournent les centres urbains, multiplication des gares centrales ou encore diffusion du matériel roulant standard. Au début du XXème siècle, le réseau ferroviaire des Etats-Unis est totalement intégré et uniformisé, ce qui renforce encore sa position dominante pour le transport de marchandises et de voyageurs.

.            Entre 1896 et 1916, la construction des chemins de fer reprend pour atteindre une extension historique du réseau en 1917 avec plus de 408.000 kilomètres de voies ferrées contre 364.000 douze ans plus tôt. Au début du siècle, le réseau est achevé dans l’Est et le Midwest, et la plupart des lignes construites dans les Etats de l’Ouest sont des sections secondaires aux transcontinentaux. Aussi le rythme de construction diminue considérablement par rapport à la fin du XIXème siècle, ce qui permet aux compagnies d’investir davantage dans le réseau existant et de le moderniser presque totalement.

.            Pour la période 1895-1916, Albro Martin parle d’un âge d’or des chemins de fer grâce à la consolidation financière du secteur, aux nombreuses améliorations techniques – la vitesse moyenne des trains passe de 40-45 km/h en 1865 à 65-75 km/h en 1910 – et à l’augmentation des revenus des compagnies. Les voyages en train triplent, résultat de la forte croissance économique et démographique et de l’essor du tourisme. A défaut d’un autre moyen de transport disponible et aussi efficace, le train s’impose partout pour le transport des marchandises comme des voyageurs. Les chemins de fer sont à leur apogée quand la Première Guerre mondiale commence en Europe. Ils traversent alors une période délicate alimentée par une forte augmentation du trafic marchandise et un manque d’investissements des petites compagnies auxquels s’ajoutent plusieurs hivers rudes.

.            Le gouvernement décide donc la nationalisation des chemins de fer en décembre 1917 sous l’autorité d’une administration fédérale spécifique. Mais la nationalisation temporaire, nécessaire pour répondre aux besoins de la guerre, n’a fait que mettre entre parenthèses les problèmes structurels des chemins de fer étatsuniens. A cette époque, les plus grandes compagnies ferroviaires sont parmi les entreprises les plus puissantes des Etats-Unis et leurs principaux propriétaires deviennent des hommes riches et influents. Cette situation tend à éveiller les soupçons et les inquiétudes de la population américaine. D’ailleurs, les hommes qui les contrôlent – Cornelius Vanderbilt, Daniel Drew, Jay Gould – deviennent vite impopulaires et sont appelés les « barons voleurs ». Cette génération d’hommes d’affaires apparaît davantage intéressée par la spéculation financière et l’enrichissement personnel.

.            En 1920, le train est en situation de monopole à la fois dans le fret et dans le transport de voyageurs. Les compagnies ferroviaires se considèrent comme inébranlables tant elles sont puissantes et florissantes, une forme d’orgueil et de suffisance apparaît quand les premières automobiles commencent à circuler dès le milieu des années 1920.

Un mode inadapté aux contraintes modernes de transport en concurrence féroce avec l’autoroutier et l’aérien

Un effondrement rapide du monopole des chemins de fer malgré des efforts de productivité (1920-1960)

.            Les années 1920 marqueront le début du déclin ferroviaire aux Etats-Unis. Le train perd sa position monopolistique avec l’émergence de ce nouveau mode de transport, qu’est la route, à la fois dans le fret et dans le transport de passagers, à cause des avantages comparatifs qu’offre l’automobile. Le camion assure à la fois un service plus adapté aux besoins des clients et de meilleurs tarifs. Le développement du transport routier profite de ses avantages en termes de flexibilité de l’offre, de desserte et d’adaptabilité aux besoins, avec la livraison de marchandises au plus près du client. De 4% en 1929 à 10% en 1940 de la part modale globale de fret, la tendance ne fait que s’accentuer les décennies suivantes.

.            Le chemin de fer entame dès lors une longue phase de déclin : de 88.000 wagons de fret en 1922 à 31.000 en 1960, de 63.000 wagons réfrigérés à 25.000 au cours de la même période. Par conséquent, une part substantielle du réseau ferroviaire est abandonnée puisqu’il se contracte continuellement passant de 409.000 km en 1917 à 343.000 en 1966.

.            Malgré le déclin et la contraction du réseau ferroviaire après la Première Guerre mondiale, les compagnies ferroviaires essaient de maintenir leur compétitivité face aux nouveaux modes de transport par des progrès considérables en termes de productivité − nouvelles méthodes opérationnelles, utilisation de la radio comme moyen de communication et effort sans précédent en recherche et innovation avec la réunion de plusieurs centaines de comités de l’Association of American Railroads. Entre 1940 et 1960, la capacité moyenne d’un wagon de fret augmente de 11%, le tonnage net moyen d’un train de marchandises progresse de 73% et la vitesse moyenne des trains de fret s’accroît de 17%.

.            Ces chiffres illustrent le fait que le XXème siècle est malgré tout une période de progrès et d’innovations pour les chemins de fer. Les compagnies ferroviaires, en réponse à la concurrence très rude du transport routier, cherchent à améliorer leur fonctionnement et à demeurer compétitives. Une modernisation de la manutention du fret – diffusion de la commutation rapide, standardisation des remorques de poids lourds – contribue à faciliter le transport ferroviaire de marchandises, tout comme l’adoption des locomotives diesel plus rapides et plus puissantes. Au milieu du XXème siècle, les locomotives à vapeur et électriques sont rapidement remplacées, au point qu’en 1960, plus de 90% du fret ferroviaire est déplacé par des engins diesel.

.            Par ailleurs, le transport de passagers n’est pas oublié dans cette course à l’innovation. L’accent est mis à la fois sur la rapidité des trains et sur le confort des voyageurs avec l’adoption de l’air conditionné et l’introduction des trains-couchettes. De nouveaux trains profilés, parfois à double niveau, sont mis en circulation pour améliorer les performances tout comme des wagons à toit panoramique pour attirer les touristes.

.            Malgré tous ces efforts déployés, le train perd des parts de marché dans le fret mais surtout dans le transport de passagers. La voiture individuelle, le camion, l’autocar, l’avion constituent tous dans la seconde moitié du XXème siècle des concurrents redoutables pour le train. Les pertes dans le transport de passagers sont catastrophiques pour les compagnies ferroviaires, passant d’une situation de quasi-monopole avant 1917 à seulement un tiers du trafic commercial en 1950. Depuis les années 1920, en dehors de la Seconde Guerre mondiale, les services aux voyageurs sont en déficit chronique pour atteindre 723 millions de dollars de pertes cumulées en 1957. Ceci s’explique par la combinaison d’une forte augmentation des coûts de fonctionnement et d’un recul net des revenus et de la fréquentation.

.            Les compagnies n’ont pas d’autres choix que de réduire le service. En 1920, plus de 90% du réseau ferré national, soit près de 362.000 kilomètres, desservent le transport des passagers, mais en 1939, cette desserte s’effondre à moins de 275.000 kilomètres et même 124.000 en 1965. Les onze premières compagnies n’assurent plus de service aux passagers dès le milieu des années 1950. A cette même période, 1.274 trains sont supprimés à travers tout le pays, et par conséquent, les fermetures de gares se comptent par centaines.

Les Etats-Unis : pays de l’automobile et de l’engagement fédéral exceptionnel en faveur du mode autoroutier

.            Au début du XXème siècle, les déplacements en ville se font à pied, en transports en commun – trolleys, tramways – ou encore en voiture hippomobile. Le réseau routier existant est en très mauvais état : en 1921, sur les 5,1 millions de kilomètres de routes, seulement 720.000 kilomètres sont considérés comme « améliorés » avec du gravier ou des pavés. Le transport de fret par la route ne menace pas encore le rail à cause de la faiblesse du réseau routier – les routes à péage ont fortement décliné quand le chemin de fer s’est imposé – et les modèles de camions sont encore rudimentaires. A l’inverse, dès l’entre-deux-guerres, le développement des routes, les améliorations techniques des camions, et ses avantages comparatifs notamment la flexibilité permettent un développement rapide du mode routier.

.            Les cadres politiques, économiques et sociaux d’une société tout-automobile sont en place bien avant la Seconde Guerre mondiale. D’abord la culture des loisirs et du tourisme, qui se diffuse au tournant du siècle, incite les Américains à s’intéresser à la voiture comme objet d’évasion et de liberté. Ensuite, l’industrie pétrolière contribue également à cette motorisation précoce. En outre, l’essor et le perfectionnement de l’industrie automobile encouragent cette diffusion de la voiture. En 1900, environ 8.000 voitures circulent aux Etats-Unis et demeurent un objet de luxe pour les plus fortunés. Henry Ford révolutionne cette industrie grâce au principe de la chaîne d’assemblage, au design innovant de la Modèle T et à l’abaissement remarquable des coûts de production et donc du prix de vente de celle-ci. L’objectif d’Henry Ford est de produire une automobile pour l’Amérique moyenne.

.            La motorisation prend une ampleur unique au monde : de 8.000 véhicules enregistrés en 1900, on passe à 458.000 en 1910, 8,1 millions en 1920. Au début du XXème siècle, la société automobile s’installe aux Etats-Unis. En seulement deux décennies, la motorisation de la société américaine est en marche et ne cessera jamais de progresser jusque dans les années 1990. Dès 1925, avec 150 véhicules motorisés pour 1.000 habitants, le pays compte 20 millions de voitures immatriculées. L’engouement pour la route a d’abord pour origine la mobilisation des premiers propriétaires d’automobiles, parmi la population la plus aisée du pays, qui ont « demandé » l’amélioration du réseau routier.

.            Les prémices d’un réseau routier moderne sont marquées par la surreprésentation des territoires ruraux et la priorité donnée à l’amélioration des routes de campagne et des routes de poste. Au cours des années 1910, des entrepreneurs reconnaissent que la médiocrité du réseau routier interurbain entrave le développement économique et ils élaborent des projets d’autoroutes pour les trajets moyens et longs. Les associations, les particuliers propriétaires de voitures et les autorités locales défendent vigoureusement l’engagement du pays dans ce mode de transport, et l’Etat fédéral ne fait à cette période-là que suivre et accompagner le mouvement.

.            Le rôle du gouvernement fédéral évolue progressivement jusqu’au lancement des Interstates en 1956, qui sera le paroxysme de l’engagement fédéral en la matière. La première étape de la législation fédérale en faveur du mode routier, le Federal-Aid Road Act (Woodrow Wilson), est votée en 1916. Par cette loi, le financement fédéral favorise les routes rurales et les Etats les moins urbanisés. Jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, la priorité est toujours donnée au réseau routier rural, celui qui permet d’assurer les liaisons entre les exploitations agricoles et les marchés urbains. Le paradigme commence à évoluer avec l’entrée en guerre des Etats-Unis en avril 1917. Les besoins liés à l’économie de guerre relancent le débat entre le soutien aux routes rurales dites secondary routes et celui aux routes interurbaines dites primary routes.

.            Ce changement d’état d’esprit est symbolisé par l’adoption du Federal Aid Highway Act (W. Wilson) en 1921. Cette loi a pour ambition de créer un système de voies rapides interurbaines. Celles-ci reçoivent 60% des sommes allouées et sont achevées à la fin de l’année 1923. Alors que le chemin de fer entame une première phase de déclin, les réseaux routiers locaux et régionaux ne cessent de s’étoffer et les investissements augmentent sensiblement. Le New Deal (politique mise en place Franklin Delano Roosevelt, de 1934 à 1938, pour lutter contre les effets de la Grande Dépression aux Etats-Unis) vient renforcer cet engagement fédéral envers le système routier et autoroutier. Au total, près d’un tiers des investissements engagés dans le cadre du New Deal va en direction de ce mode de transport.

.            Les progrès sont sensibles. Le pays compte 720.000 kilomètres de routes « améliorées » en 1920, 1,3 million en 1930 et plus de 2,7 millions en 1945. Par ailleurs, l’idée de créer un réseau national de voies rapides permettant de desservir toutes les grandes villes des Etats-Unis progresse. Cela aboutit en 1944 au Federal-Aid Highway Act (F.D. Roosevelt) qui a pour ambition de créer un réseau d’autoroutes nationales interurbaines, les Interstates. L’idée est de construire un réseau de 64.000 kilomètres pour relier les grandes métropoles et les principaux bassins économiques des Etats-Unis, ainsi qu’un réseau moderne de routes secondaires qui nourrit le trafic des Interstates. Mais en raison de fortes tensions au sein de l’administration fédérale et du Congrès et de la résistance acharnée de ceux qui veulent continuer à privilégier les zones rurales, très peu d’argent est réellement dépensé.

.            Le président Eisenhower décide par le Federal-Aid Highway Act de 1956 de reprendre la situation en main : un réseau autoroutier de 66.000 kilomètres avec un budget initial de 25 milliards de dollars. Entre 1956 et 1995, 39.000 kilomètres d’autoroutes sont construits. La construction de ce vaste réseau routier et autoroutier dans tout le pays encourage davantage encore la motorisation de la société étatsunienne. Les Américains se tournent massivement vers la voiture – nouveau symbole de liberté, d’aventure et de progrès – alors que le train s’éloigne de leur horizon quotidien et de leurs nouvelles pratiques de mobilité.

Les racines du déclin : un réseau ferroviaire surdéveloppé et inadapté aux contraintes modernes de transport

.            La Première Guerre mondiale a laissé les chemins de fer dans une situation difficile. En effet, dans le cadre de l’effort de guerre, les installations ferroviaires sont sur-utilisées tout en souffrant de sous-investissements. Mais la situation demeure viable tant que le réseau est sous contrôle fédéral. Une fois la guerre achevée, le gouvernement fédéral réfléchit à l’avenir du réseau ferroviaire : maintien de la nationalisation, privatisation avec consolidation du secteur en quelques grandes entreprises, ou privatisation simple ? Il s’agit de savoir si le chemin de fer doit être considéré comme une entreprise privée comme une autre, soumise aux logiques du marché, ou s’il faut reconnaître une fonction sociale et territoriale au train qui nécessiterait donc une intervention publique.

.            Finalement, en mars 1920, le vote du Transportation Act (W. Wilson) met fin au contrôle fédéral des chemins de fer. Cette privatisation, qui ne fait que revenir à la situation antérieure, et la disparition de fait de la puissance publique dans le mode ferroviaire, ne font qu’accentuer les difficultés après 1945. Face à l’essor de l’automobile, les réactions des barons des chemins de fer sont mitigées. D’un côté, les sceptiques qui pensent que l’automobile n’est qu’un effet de mode. De l’autre, les réalistes qui s’inquiètent pour leur position monopolistique et qui prennent conscience de la nécessité d’améliorer encore le service.

.            Pour la plupart des compagnies, les branches « voyageurs » ne représentent qu’un quart voire moins de leurs bénéfices. Il s’agit peut-être là de l’une des explications à ce désintérêt rapide pour le train. Les compagnies elles-mêmes ne dépendant pas du transport de passagers, elles n’y ont qu’un intérêt limité et se préoccupent peu de prendre en considération réellement les exigences des voyageurs et d’adapter les trains aux nouvelles attentes de la société américaine. Toutefois, l’adoption d’innovations technologiques démontre que les dirigeants des compagnies ne sont pas restés totalement passifs dans l’entre-deux-guerres et ont néanmoins investi des sommes assez considérables pour moderniser leurs services.

.            Bien que la Seconde Guerre mondiale ait donnée une bouffée d’oxygène au train, le déclin du mode ferroviaire reprend, voire s’accélère, à partir des années 1950. Tous les handicaps structurels qui ont émergé lors des décennies précédentes réapparaissent une fois la parenthèse de prospérité de la Seconde Guerre mondiale refermée. Le nombre de déplacements interurbains annuels en train passe de 600 millions en 1944 à 105 millions en 1966.

.            La décennie 1950 est catastrophique pour le chemin de fer. L’aviation commerciale est en plein développement et menace les services ferroviaires pour la longue distance. L’Etat fédéral contribue à déstabiliser encore davantage le transport ferroviaire de passagers avec le soutien financier à la construction d’aéroports, avec le Federal Aid Highway Act de 1956 qui soutient la construction d’un réseau national d’autoroutes, et avec la fin de la distribution du courrier par rail à partir de 1967. Le transport ferroviaire de passagers dessert environ 172.000 kilomètres cumulés du réseau ; en 1970 cette desserte s’effondre à moins de 79.000 kilomètres. On passe de 20.000 trains interurbains en 1929 à 500 en 1970. Les compagnies enregistrant des pertes historiques sur leurs services voyageurs décident de diminuer le nombre de trains et tendent à supprimer de plus en plus de lignes.

.            Tout au long de la décennie 1960, les fermetures – ou réductions drastiques – de services par les compagnies se multiplient. Plusieurs fusions ont lieu au cours des années 1960 pour que ces compagnies se consolident et réalisent des économies d’échelles. La plus grande fusion-acquisition de cette période est celle du New York Central et du Pennsylvania Railroad en 1968. Cette nouvelle compagnie, Pennsylvania Central, devient la plus grande compagnie de chemins de fer de l’histoire américaine. Toutefois, cette fusion déstabilise la nouvelle entité et ampute sa rentabilité financière dans un contexte global déjà difficile. Elle enregistre un million de dollars de pertes par jour en 1970. Le 21 juin 1970, moins de trente mois après la fusion, l’entreprise se déclare en faillite. Le secteur ferroviaire s’en trouve profondément affecté et ouvre la voie à une restructuration historique du secteur qui passe notamment par la séparation entre les activités de fret et de voyageurs.

Conclusion

.            Le réseau ferroviaire aux Etats-Unis connaît en seulement deux siècles une croissance fulgurante et un déclin brutal. Les chemins de fer ont contribué à assurer la mise en valeur du territoire et à matérialiser l’unité du pays lors de la conquête de l’Ouest puis lors de la période de la Reconstruction qui a fait suite à la guerre de Sécession. Le train à vapeur a été l’un des éléments moteurs de l’industrialisation des Etats-Unis dans le dernier tiers du XIXème siècle. Son rôle territorial, politique et économique est indéniable. Néanmoins l’arrivée de l’automobile et le développement d’un réseau routier et autoroutier dense a bouleversé la position monopolistique du train, particulièrement dans le transport de voyageurs. Son déclin déstabilise tout le secteur – malgré un maintien certain du fret – et les entreprises ferroviaires cherchent dès les années 1960 à se débarrasser de leurs services déficitaires.

.            Il est fréquent d’attribuer à la voiture l’entière responsabilité du déclin du transport ferroviaire interurbain de passagers. Or la dégradation rapide de ses avantages comparatifs, le surdimensionnement du réseau, l’inadaptation aux nouveaux besoins de transport sont autant de causes endogènes qui expliquent la gravité de la crise ferroviaire aux Etats-Unis. Les années 1970 marquent une césure profonde dans l’histoire des chemins de fer étatsuniens. Les entreprises ferroviaires sont déjà affaiblies lorsque survient la crise liée à la faillite de la Penn Central en 1970. S’ensuit une période de restructuration profonde organisée par l’Etat fédéral avec la création d’Amtrak qui récupère un réseau ferroviaire minimal pour les déplacements interurbains, puis la création de Conrail qui permet de sauver une partie du réseau de fret de l’Est du pays. Ces premières évolutions annoncent une nouvelle ère du secteur ferroviaire étatsunien à partir des années 1980 marquée par l’assouplissement du cadre réglementaire, la consolidation industrielle et la restructuration des entreprises et du réseau de fret.

.            En 2020, le réseau ferré américain ne compte plus que 150.000 kilomètres, parfois dans un état alarmant, dont une portion seulement est utilisée pour le transport de passagers ; seuls 32 millions de voyageurs sont montés à bord des trains d'Amtrak.

7.000 trains acheminent quotidiennement environ 30% (en termes de poids) des marchandises et denrées qui font tourner l’économie américaine, soit l’équivalent de près de 500.000 camions semi-remorques.

Trains de marchandises dans une gare de triage d’Atlanta (Géorgie), le 14 septembre 2022

.            Le nouveau président Joe Biden a présenté début avril 2021 un vaste plan de 2.300 milliards de dollars destiné à améliorer les infrastructures aux États-Unis, dont 80 milliards (66,2 milliards d'euros) doivent être consacrés au chemin de fer. Le plan «Amtrak Connects US» prévoit notamment la construction de 30 nouvelles lignes, la desserte de 160 nouvelles communautés, ou l'ouverture de gares à Phoenix, Las Vegas ou Nashville. L'objectif annoncé est d'augmenter de 62% le nombre de passagers d'ici à 2035.

.            Il y a tout de même un grand absent: le train à grande vitesse. Il n'existe qu'une seule ligne de ce type aux États-Unis reliant Washington et Denver, et encore le train n'y roule qu'à 240 km/h sur une seule petite portion de 54,6 km. Il existe un tel arriéré de réparations à effectuer sur ses lignes existantes que les 80 milliards devraient être engloutis bien avant d'avoir construit le moindre kilomètre de ligne à grande vitesse.

.            Note - La panique de 1893 est un krach financier qui se déroule aux États-Unis. Semblable à la panique de 1873, elle est marquée par l'effondrement du financement des sociétés de chemins de fer qui ont construit trop et trop vite. Il en est résulté une série de faillites bancaires. La dépression économique engendrée est alors la pire qu'avait alors connu le pays et cause un taux de chômage de plus de 10 % et un nombre de faillites record. Lors de cette crise, le Trésor américain en difficulté est en partie sauvé par le financier J. P. Morgan, président de la banque du même nom, la J.P. Morgan & Co., puis, en 1897, par la ruée vers l'or du Klondike (vers l'or de l'Alaska ou vers l'or du Yukon qui attira environ 100 000 prospecteurs dans la région du Klondike dans le territoire canadien du Yukon entre 1896 et 1899). En 1873, avait débuté une période de ralentissement économique mondial, la « Longue dépression », avec ses crises bancaires, qui dura une vingtaine d’années.

L’épopée ferroviaire du Far West

D'après : Herodote.net - André Larané – 05 mar 2018

.           Le 10 mai 1869, les États-Unis sont enfin traversés d'est en ouest par une ligne de chemin de fer. Les deux équipes chargées de sa construction, l'une partie de Sacramento, en Californie, l'autre d'Omaha, dans le Nebraska, opèrent une jonction triomphale en un lieu appelé Promontory Point, dans l'Utah.
Les États-Unis forment désormais un ensemble humain unifié. Il s'ensuit la fixation des fuseaux horaires afin de pouvoir établir des horaires rigoureux pour les trains transcontinentaux (les fuseaux horaires seront adoptés au plan international en 1884, lors de l'International Prime Meridian Conference, à Washington).

Rencontre des cheminots à Promontory Point (Utah), le 10 mai 1869

.            Après la guerre civile, le gouvernement veut consolider l'unité du pays et le réseau ferré va y contribuer de manière essentielle. L'État fédéral concède la construction de la première ligne transcontinentale à deux compagnies privées, l'Union Pacific et la Central Pacific, en leur accordant tout le long du futur tracé des terres dont la vente à des colons est destinée à rentabiliser les travaux. Il procèdera de la même façon avec les lignes suivantes.
Les deux compagnies joignent leurs efforts pour relier New York et San Francisco, via Sacramento et Omaha. 17 000 ouvriers, dont beaucoup de Chinois sous contrat, travaillent à sa construction dans des conditions très difficiles, notamment dans le franchissement des montagnes Rocheuses et de la Sierra Nevada. 33 bateaux font de leur côté une chaîne ininterrompue par le cap Horn, à l'extrême sud du continent, pour apporter à l'Ouest le matériel et les outils nécessaires.
Comble de malchance, les deux voies, mal orientées, se croisent sans se rencontrer sur une longueur de 320 km ! Il faut reprendre les calculs avant d'arriver enfin à la jonction de Promontory Point.
.            Comme prévu, la colonisation de l'Amérique intérieure et l'unité nationale... ainsi que l'éradication des derniers Indiens libres vont être accélérés par cette transcontinentale et les suivantes, le Santa Fe Pacific (New York-Los Angeles, 1881), le Great Northern Pacific (Chicago-Seattle) et le Southern Pacific (La Nouvelle Orléans-Los Angeles).

Le Transcontinental, le chemin de fer qui a fait l’Amérique

D'après : GEO - Antoine Bourguilleau – 07 déc 2018 

.             C’est le chemin de fer qui a fait l’Amérique. En 1863, le président Abraham Lincoln décide la construction d’une voie ferroviaire transcontinentale, reliant la côte Pacifique à celle de l’Atlantique. Six ans de travaux titanesques pour venir à bout de ce défi.

Pour relier les côtes est et ouest du pays, les ouvriers des deux compagnies du Transcontinental, l’Union Pacific Railroad et la Central Pacific Railroad, étaient pour la plupart des chercheurs d’or, des soldats démobilisés et des immigrants essentiellement chinois et irlandais. Ici pour ouvrir des passages dans les collines, les contremaîtres exigeaient des Chinois, main-d’oeuvre à bon marché. © Library of Congress

.             Le projet n’était pas nouveau. Depuis les années 1830, les Américains envisageaient un chemin de fer transcontinental, qui traverserait le pays d’est en ouest. En 1845, un entrepreneur de New York, Asa Whitney, entreprit, à la tête d’un groupe de huit hommes, de recenser les ressources disponibles sur le tracé. Ils évaluèrent aussi le nombre de ponts à construire et de tunnels à creuser. Ce chantier titanesque ne découragea pas Whitney, qui tenta alors de convaincre le Congrès de financer son rêve. En vain.

Trois ans plus tard, en 1848, de l’or est découvert en Californie. Les colons affluent par milliers et la vallée de la Sacramento River se dote d’une ligne de chemin de fer. Son concepteur, Theodore Judah, souhaite rejoindre l’Est, à travers la Sierra Nevada, le désert du Grand Bassin, les Rocheuses puis les plaines pour se connecter au réseau ferroviaire déjà existant à Omaha, la plus grande ville du Nebraska surnommée «la porte d’entrée de l’Ouest». Cette fois, des investisseurs acceptent de financer les recherches et vont devenir les barons du rail dans l’Ouest.

Mais le projet n’avance pas. Il faut attendre 1862 et le vote du Pacific Railroad Act pour lancer le chemin de fer transcontinental. Le projet est colossal : près de 3 000 kilomètres de lignes, sans compter les lignes annexes. Deux compagnies se constituent : l’Union Pacific, qui partira vers l’ouest depuis Omaha, au Nebraska, et la Central Pacific, qui partira de Sacramento, en Californie. Cette dernière, qui franchira la Sierra Nevada puis le Grand Bassin, doit poser un millier de kilomètres de rails. L’Union Pacific, qui traversera beaucoup de plaines, doit construire les 2 000 kilomètres restants.

.            Les travaux de construction ne débutent qu’en 1865, à la fin de la guerre de Sécession : capitaux et main-d’oeuvre sont enfin disponibles. L’Etat fédéral se montre généreux avec les deux compagnies privées, leur octroyant 16 000 dollars par mile construit dans les plaines, 24 000 dans le Grand Bassin et 48 000 dans les Rocheuses et la Sierra Nevada. Il cède aussi aux compagnies des terres situées le long de la voie, que ces dernières peuvent exploiter ou revendre à des prix élevés à des colons pour rentabiliser les travaux. Il procèdera de la même façon avec les lignes suivantes.

Malgré cela, les travaux piétinent sur le tronçon de l’Union Pacific, et Washington décide de changer les règles. Désormais, chaque compagnie peut aller aussi loin qu’elle le peut. Depuis la Sierra Nevada et le Nebraska, une course folle commence, bientôt interrompue, à la fin de 1866, par un hiver terrible qui bloque les travaux. A North Platte, dans le Nebraska, sur le chantier de l’Union Pacific, une ville sort de terre en quelques jours, avec ses saloons, ses hôtels… Le printemps revenu, North Platte devient une ville fantôme. Les ouvriers repartent – ainsi que le personnel des tripots et des bordels, qui suit le convoi partout et va gagner le surnom de «Hell on Wheels» («Enfer sur roues»)…

Les ouvriers de la Central Pacific posent 16 kilomètres de rails en une journée

.             L’avancée dans les plaines est difficile pour les employés de l’Union Pacific. Il faut trouver du bois et le couper pour faire des traverses, tandis que les rails sont acheminés sur le devant de la voie. Sitôt une section de rails posée, le train des ouvriers l’emprunte. Et ces ouvriers, il faut les nourrir. La compagnie s’alloue les services de plusieurs chasseurs de bisons, dont le célèbre William Cody, plus connu sous le nom de Buffalo Bill. Il faut aussi affronter les Indiens et, cette fois, faire appel à l’armée. Environ 25 % des ouvriers travaillent à la pose de rails. Les autres sont bûcherons, forgerons, cuisiniers.

Les employés irlandais, chassés de leur pays par la famine, sont nombreux. Présents en nombre dans les mines de la Californie, du Nevada et du Colorado, ils ont également joué un rôle clé dans l’épopée ferroviaire. De 1860 à 1869, les fidèles de saint Patrick ont construit depuis Omaha, dans le Nebraska, le tronçon «est-ouest» de la première ligne de chemin de fer transcontinentale de l’Union Pacific. Mais lorsque l’Union Pacific arrive dans l’Utah, elle loue les services de milliers de Mormons installés autour de Salt Lake City.

33 bateaux font de leur côté une chaîne ininterrompue par le cap Horn, à l'extrême sud du continent, pour apporter à l'Ouest le matériel et les outils nécessaires.

.             Recrutés en masse (près de 12 000) les ouvriers Chinois se distinguèrent par leur endurance sur le chantier de la Central Pacific. Une âpreté à la tâche qui, en 1863, en faisait les candidats parfaits pour la construction du chemin de fer. « Après tout, n’ont-ils pas bâti la Grande Muraille ? », lança Charles Crocker, le fondateur de la Central Pacific Railroad. Leur efficacité était telle que les recruteurs n’hésitèrent pas à se rendre jusqu’en Chine pour grossir ces bataillons. Au total, 250 000 Chinois débarquèrent en Californie entre les années 1849 et 1882. Ce qui ne fut pas du goût des ouvriers américains et européens qui les accusèrent d’accepter des salaires de misère et d’être des briseurs de grève. Emeutes, lynchages… Moins bien payés que les Blancs, ils se mettront en grève.

.             Pour franchir la Sierra Nevada, il faut bâtir des ponts, creuser des tunnels, au pic ou à l’explosif. Parfois, on n’avance que de 30 centimètres par jour. D’autres fois, et ce sera le record, les ouvriers de la Central Pacific posent 16 kilomètres de rails en une journée. Contrairement à l’Union Pacific, qui avance sans grande visibilité, le tracé du tronçon de la Central Pacific est bien établi. Et certains tunnels sont creusés à plusieurs dizaines de kilomètres de la tête de ligne, pour gagner du temps. Malgré la faim, le froid, les éboulements, qui tueront près de 10 % des ouvriers, le chantier avance. C’est donc essentiellement grâce à la force sino-irlandaise que New York ne se trouva plus qu’à une semaine de trajet de San Francisco – au lieu de six mois jusqu’ici.

Fin 1868, les deux lignes sont sur le point de se rencontrer mais les compagnies font tout pour retarder le moment de la jonction. Elles poursuivent leur tracé en parallèle sur 300 kilomètres – pour continuer à toucher les primes au mile parcouru ! Le président Ulysses S. Grant finit par être mis au courant. Il siffle aussitôt la fin de la récréation. Le 8 mai 1869, à Promontory Summit, les lignes se rejoignent. Les présidents des deux compagnies sont absents. Celui de la Central Pacific a vu son train retardé par la chute d’un arbre. Celui de l’Union Pacific a été retenu en otage par des ouvriers non payés depuis plusieurs mois !

.             L’inauguration a finalement lieu deux jours plus tard. Le 15 mai, un train parti de la côte Est arrivé à Sacramento. Il a mis une semaine pour parcourir une distance que les chariots mettaient six mois à couvrir. Le rêve est devenu réalité.