Le mystère de la Colonie Perdue aux Etats-Unis

D'après National Geographic - Andrew Lawler – 01 jun 2018

Photographie de Carte National Geographic

.            Après le demi-échec de Humphrey Gilbert pour s'emparer de Terre-Neuve (1583), son demi-frère, Walter Raleigh, un courtisan, officier et explorateur, favori de la reine et captivé par l'ouvrage de Bartolomé de Las Casas (The Spanish Colonie, 1583), obtient le 25 mars 1584 une charte pour tenter de s'implanter au nord de la Floride espagnole. Walter Raleigh envoya en éclaireur une expédition menée par les capitaines Philip Amadas et Arthur Barlowe. Hésitant à s'engager dans le détroit de Floride, la flottille doubla le cap Fear et mit au mouillage dans l'île Roanoke, une île de l'archipel côtier des Outer Banks, le 5 juillet 1584. La taille de cette île fut estimée à 20 miles de longueur (environ 30 kilomètres) et 6 miles de largeur (environ 10 kilomètres). Barlowe et Amadas ramenèrent en Angleterre deux Indiens algonquiens de la tribu des Powhatans.

.            La richesse de la région décida Raleigh à lancer une seconde expédition, cette fois pour coloniser cette région baptisée Virginie (en hommage à Élisabeth Ire d'Angleterre, la « Reine-Vierge »).

Une flottille de sept navires commandée par Richard Grenville quitte Plymouth en avril 1585 avec 600 hommes à bord. Après une escale à Porto Rico, les Anglais arrivent en Caroline du Nord en juin. Grenville fait bâtir un fort avant de repartir pour l'Angleterre. Par manque de vivres, il ne laisse sur place qu'une centaine d'hommes, sous la direction de Ralph Lane. Ils explorent la région vers le nord à la recherche de mines ou d'un passage vers le Pacifique mais leur plus grande découverte est la baie de Chesapeake.

La situation se tend avec les Amérindiens au cours de l'hiver 1585-1586. Ceux-ci, ayant épuisé leurs réserves, ne peuvent bientôt plus échanger de nourriture avec les colons. Craignant un assaut général, Lane décide d'attaquer les villages des autochtones en juin 1586. Une semaine plus tard, Francis Drake, de retour d'une opération contre les Espagnols plus au sud, arrive avec des vivres. Lane décide alors de rentrer en Angleterre avec tous les colons.

En juillet 1586, Grenville revient avec des renforts et trouve le site abandonné. Il laisse néanmoins sur place une quinzaine d'hommes face à une population amérindienne hostile.

.            En 1587, Raleigh organise une nouvelle expédition. Signe que l'objectif est de fonder une colonie de peuplement, parmi les 110 colons, surtout des fermiers et des artisans, 18 femmes sont du voyage. John White, qui avait vécu dans la première colonie de Roanoke, située dans l’actuelle Caroline du Nord, est nommé chef de l'expédition et gouverneur de la future colonie. Les trois navires partent d'Angleterre en mai. Leur mission est de retrouver les 15 hommes laissés par Grenville et de s'établir ensuite dans la baie de Chesapeake jugée plus appropriée que Roanoke.

À leur arrivée en juillet, ils ne retrouvent personne mais décident de rester à Roanoke. Eleanore, la fille de White donnera naissance à Virginia Dare, premier enfant anglais né sur le sol des futurs États-Unis, le 18 août 1587 (20 ans avant la fondation du village de Jamestown en Virginie, le 14 mai 1607).

White décida de retourner en Angleterre en septembre 1587 afin de convaincre les autorités d'envoyer de nouveaux colons et surtout du matériel de construction. Durant ce temps, la centaine d’hommes, de femmes et d’enfants issus de la classe moyenne londonienne doivent se débrouiller seuls sur ce territoire sauvage inconnu. Mais à son retour – qui, par suite de l'attaque de l'Invincible Armada sur les côtes anglaises, ne put s'effectuer que trois ans plus tard le 18 août 1590, cette seconde colonie, pillée et abandonnée, avait aussi disparu.

Les colons n’avaient rien laissé derrière eux sauf deux indices de leur destination : les mots « Croatoan » gravé sur un poteau bien visible, et « Cro » sur un arbre. C’était un code laissé au gouverneur pour qu’il les rejoigne à Croatoan, une île située plus au sud, peuplée d’autochtones en bons termes avec les nouveaux venus d’Europe. Mais le gouverneur ne parvient pas à réunir les fonds nécessaires à une mission de recherche. De retour en Angleterre, il ne reverra jamais plus le Nouveau Monde.

Selon la légende, Eleanor Dare, la fille du gouverneur John White, grava dans la pierre l’histoire de la colonie perdue. De nombreuses « pierres de Dare » sont apparues, toutes se sont révélées fausses. Celle-ci pourrait toutefois dater de l’époque élisabéthaine. / Université Brenau

.            Depuis lors, explorateurs, historiens, archéologues et amateurs ont recherché ce qu’il était advenu des 115 hommes, femmes et enfants qui composaient cette toute première colonie d’Angleterre sur le Nouveau Monde. Les tentatives de résoudre le mystère historique le plus long de l'histoire des États-Unis, surnommé le mystère de la Colonie perdue, ont pris la forme de dizaines de théories mais n'ont pour le moment apporté aucune preuve tangible.

En 1993, un ouragan a fait sortir de terre de nouveaux indices, entre autres des poteries et les vestiges d’un village amérindien à Croatoan. Parmi eux, un ensemble d’artefacts européens datant de l’époque élisabéthaine (poignée d’épée, bouts de cuivre, canon de pistolet, chevrotine et fragment de tablette d’ardoise avec un crayon à mine de plomb) pourraient indiquer la présence des colons sur l’île Hatteras, à 80 kilomètres au sud-est de la colonie de l’île Roanoke, ainsi que sur un site continental à 80 kilomètres à l’ouest.

.            Aujourd’hui, plusieurs équipes indépendantes au vu de ces vestiges archéologiques suggèrent qu’au moins une partie des colons disparus pourraient avoir survécu, potentiellement en se scindant en deux camps et en s’installant avec les Indiens locaux. La preuve serait faite qu'ils se sont assimilés aux Amérindiens mais auraient sauvegardé leurs biens.

Dans le même temps, sur le site continental de la baie d’Albemarle près de la ville d’Edenton en Caroline du Nord, des poteries mises à jour aurait été utilisées par les colons disparus après leur départ de la colonie de Roanoke.

Toutefois, on n’est toujours pas en mesure d’affirmer avoir résolu cette énigme complexe, car il est hasardeux d’affirmer que ces artefacts puissent être associés de façon certaine aux colons infortunés, étant donné qu’il est difficile de les dater avec précision.

.            Les fouilles indiquent pourtant un important déplacement au départ de l’île Roanoke, où les chercheurs frustrés ne trouvent que peu de traces des premiers colons européens.

Niché dans une forêt de chênes près de la baie de Pamlico, Cape Creek fut le site d’une importante ville et d’un carrefour commercial pour les indiens Croatoans. Lors d’une fouille en juillet 2015, ont y a mis à jour de nombreux matériels amérindiens et européens, tels que des os de cerfs et de tortues, des briques artisanales et importées, des poteries amérindiennes, des gros morceaux de fer européen, les fragments d’un pistolet du 16e siècle, ainsi qu’un petit œillet de cuivre ayant certainement appartenu à un noble anglais.

En 1998, des archéologues ont trouvé une chevalière en or 10 carats gravée d’un lion ou d’un cheval bondissant. Cet artefact était parmi d’autres objets datant du milieu du 17e siècle, soit une génération ou deux après l’abandon de la colonie de Roanoke. Les membres de la Colonie perdue vivant parmi les Croatoans auraient donc pu garder quelques objets tout en assimilant petit à petit les coutumes indiennes.

Cette chevalière en or retrouvée sur le site de Cape Creek sur l'île Hatteras, gravée d’un lion ou cheval sautant, aurait appartenu à un membre éminent de la colonie de Roanoke. Photographie de Mark Thiessen, National Geographic

L’une des découvertes récentes les plus inhabituelles est une petite pièce d’ardoise utilisée comme tablette, accompagnée d’un stylet en plomb. Une petite lettre « M » se devine dans un coin. Une plaque d’ardoise similaire, mais bien plus grande, a également été mise au jour à Jamestown. « Cela appartenait à une personne qui savait lire ou écrire ; ce n’était pas utile au commerce, ça appartenait à un Européen éduqué. »

Parmi les autres artefacts récemment excavés à Cape Creek, on peut citer la poignée d’une rapière, un type d’épée légère utilisée en Angleterre à la fin du 16e siècle. Un gros lingot de cuivre, une longue barre de fer, ainsi qu’une poterie allemande en grès font également partie des découvertes datant vraisemblablement de la fin du 16e siècle. Ces objets peuvent signaler un travail métallurgique effectué par des Européens, possiblement des colons de Roanoke, puisque les Indiens ne connaissaient pas cette technologie. « Il y a des objets commerciaux ici ; mais il y en a également qui ne sont pas issus d’échanges commerciaux. »  Appartenaient-ils à des colons ?

.            Si l’anneau en or a dirigé les recherches vers Hatteras, c’est une carte en aquarelle de 1585 dessinée par White qui a incité les archéologues à aller voir du côté du continent.

La Virginea Pars, carte de la région datée de 1585 appartenant au gouverneur John White, de Cape Henry, Virginie, à Cape Lookout, Caroline du Nord, était d'une grande précision. En 2012, des chercheurs ont découvert un symbole caché sous un patch qui pourrait indiquer l'emplacement d'un fort. Photographie de The British Museum

Connue sous le nom de La Virginea Pars, la carte a fait la une des journaux en 2012 lorsque des chercheurs ont repéré une petite étoile à quatre branches cachée sous un « patch » ajouté sur la carte. La théorie veut que le symbole indique l’emplacement d’un fort continental.

Si un fort de la sorte a été construit à cet emplacement, voire seulement prévu ou envisagé, il aurait pu être la destination logique d’au moins une partie des colons déplacés de Roanoke.

En 2006, l’étude d’un site, repéré six ans plus tard dans les environs de l’image du fort sur la carte de White, a mis au jour des poteries amérindiennes en quantité remarquable. Les archéologues soupçonnent le site d’être la petite ville amérindienne de Mettaquem.

Plus récemment, non loin du village, on a découvert des poteries anglaises semblables à celles déterrées sur l’île de Roanoke et à Jamestown, mais pas typiques de la seconde moitié du 17e siècle, lorsque les colons anglais quittèrent la Virginie en direction du sud pour s’installer en Caroline du Nord.  Au total, 125 kilogrammes de poteries indiennes s’étalant sur plusieurs siècles, ont été déterrées. Les objets anglais, appelés Border Wares (« céramiques de Border »), ne constituent que quelques dizaines de pièces provenant de trois ou quatre pots.

.            Le premier colon anglais connu dans cette région n’est pas arrivé avant 1655, et contrairement au site de Cape Creek, il n’y a pas de traces évidentes de marchandises suggérant un possible échange. Les colons auraient pu s’installer dans ce lieu pour vivre avec des Indiens alliés après le départ de White.

Les tribus indiennes s’emparaient rapidement de tout matériel abandonné par les Européens et rapportaient avec eux tout ce qui pouvait leur être utile. Ils ne laissaient rien sur place. Même les bouteilles en verre pouvaient servir à sculpter des têtes de flèche. La présence d’objets européens ne signifie donc pas nécessairement la présence de colons européens.

L’intrigue n’est pas encore résolue. Il est difficile de dater les artefacts à la décennie près pour distinguer les colons des deux époques. Entre les découvertes à venir et les excavations en cours, les archéologues se disent optimistes sur l’existence de nouveaux indices permettant de résoudre le mystère des colons disparus.