Les Neuf de Little Rock - 1957

D’après : Les Inrockuptibles - Guillaume Narduzzi-Londinsky – 10 avr 2018 / Wikipedia / histoireparlesfemmes.com – 07 sep 2017 / L’Humanité – Michel Muller - 29 Sep 2017

 

.            04 septembre 1957, Little Rock, capitale de l’Arkansas, rentrée des classes sous le signe de la fin de la ségrégation scolaire. Les neuf enfants noirs inscrits au lycée jusque-là réservé aux seuls blancs sont encerclés par une foule hystérique. La photographie de l'une des Neuf, Elizabeth Eckford, 15 ans, huée et insultée, fait la une des journaux le lendemain. L'Amérique est bouleversée. Commence alors un bras de fer qui oppose le gouverneur de l'Arkansas Orval Faubus au président des États-Unis Dwight Eisenhower.

.            Dans les années 1950, le racisme est encore courant aux Etats-Unis, en particulier dans les anciens Etats confédérés du Sud, comme l'Arkansas (les Lois Jim Crow qui organisent le racisme ne seront abolies par le Civil Rights Act qu’en 1964 et le Voting Rights Act en 1965). Dans la petite ville de Little Rock, capitale de l'Etat, les Noirs ne peuvent pas aller au cinéma comme des Blancs. Certes, depuis peu, ils peuvent s'asseoir où ils veulent dans les transports en commun. Mais la ségrégation, en particulier scolaire, qui sépare Noirs et Blancs depuis la fin de la Reconstruction (période entre 1865 et 1877 ayant suivi la défaite des Sudistes à l’issue de la guerre de Sécession et la fin de l'esclavage), est toujours considérée comme « normale et provoque des incidents chaque année.

04 septembre 1957,

.            Mercredi à Little Rock devait être un grand jour pour Elizabeth Eckford, 15 ans. Elle et huit autres adolescents (Ernest Green, Jefferson Thomas, Terrence Roberts, Carlotta Walls Lanier, Minnijean Brown-Trickey, Gloria Ray Karlmark, Thelma Mothershed et Melba Pattilo Beals, soit six filles et trois garçons, âgés de 14 à 16 ans) avaient été admis au Central High School  (lycée). Ce devait être le début d’une révolution dans les États du Sud où la ségrégation sévissait. Tous étaient Afro-Américains. Tout devait se passer pour le mieux : la direction du lycée avait approuvé les neuf admissions et le maire de la ville, le démocrate Woodrow Wilson Mann, était très favorable à un processus de déségrégation des établissements scolaires.

Consciente des dérives possibles, la NAACP (Association nationale pour la promotion des gens de couleur), en la personne de Daisy Bates, décide de faire escorter les élèves ; mais la famille d’Elizabeth n’a pas le téléphone, et ne peut être prévenue. Donc, ce matin-là, Elizabeth était partie seule, à la différence de ses huit camarades qui étaient accompagnés.

« Je n’étais pas préparée à ce qui s’est passé. Je me préoccupais plus de ce que j’allais porter, si nous allions pouvoir finir ma robe … si ce que je portais serait joli (…) Ma mère s’assurait que tout le monde soit bien coiffé, ait son argent pour le déjeuner et ses affaires de classe. Mais elle est finalement devenue silencieuse, et nous avons prié ensemble. Je me souviens de mon père faisant les cent pas … »

Arrivée aux abords du lycée, elle doit affronter une foule de plusieurs centaines d’adultes, mais surtout des jeunes femmes en colère, vociférant des insultes racistes, prêtes à la lyncher. Elizabeth est agressée, insultée, humiliée. Face à elle, une rangée de gardes nationaux : ils viendraient à son secours, croyait-elle. Ils l’ont effectivement protégée de la foule, mais ils ont aussi croisé leurs armes pour l’empêcher d’accéder à l’école. Elle a dû se réfugier, sous les hurlements et les premiers coups, sur un banc, jusqu’à ce qu’une jeune femme blanche, courageuse, l’accompagne à un bus.

Photographie prise par le photographe Will Counts où on la voit marchant seule, entourée d'une foule de femmes blanches qui l'insultent.

Au cœur de l'histoire des États-Unis

.            Pourtant, des États du Sud, l’Arkansas était considéré comme le plus modéré. Il était donc possible d’y mettre en œuvre l’arrêt de la Cour suprême Brown v. Board of Education, du 17 mai 1954, déclarant, après des années d’instruction, la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques.

.            Le surintendant des écoles, Virgil Blossom, avait fait voter, le 24 mai 1955, à l’unanimité du conseil des écoles, un « plan » à long terme d’intégration scolaire « limitée ». Ce plan prévoyait certes une nouvelle carte scolaire « intégrée », mais accompagnée par « un système autorisant les élèves à se dégager de la zone scolaire à laquelle ils étaient assignés ».

.            Alors quand, grâce, entre autres, à la NAACP et au brillant avocat Thurgood Marshall, le prestigieux lycée Central High School de Little Rock, jusqu'ici réservé aux Blancs, devient accessible à tous, une grande partie de la population (blanche) s'insurge. Malgré les contestations et les innombrables recours en justice, ils seront bien neuf élèves noirs à intégrer Central High School dès la rentrée 1957.

.            Le gouverneur Orval Faubus – un démocrate, raciste dit modéré –, pourtant favorable en un premier temps au plan Blossom, pour ne pas trahir “l'esprit du Sud”, ni surtout ses électeurs, avait décrété le 2 septembre qu’il ferait appel à la garde nationale pour interdire l’accès du lycée Central aux élèves Afro-Américains afin de les « protéger », car « il y avait un risque de violence et d’effusion de sang ».

Inquiété par la dimension nationale prise par l’affaire, le président Dwight D. Eisenhower a demandé au gouverneur Faubus de retirer la garde nationale. Ce qui fut fait le 22 septembre. Ainsi ce serait la seule police municipale qui assurerait la sécurité de l’entrée des Neuf dans le lycée. Une première tentative échoua le 23, devant les menaces de la foule. Le lendemain, Eisenhower envoie sur place 1.200 parachutistes de la 101e division aéroportée avec mission d'escorter et de protéger les neuf élèves noirs (bientôt baptisés les "neuf de Little Rock") dans leur nouvelle école. De violentes manifestations racistes prônant la ségrégation, et appuyées par la garde nationale de Little Rock, feront rage pendant encore trois semaines.

25 septembre 1957

.            Pendant ces trois semaines, les Neuf de Little Rock étudient chez eux plutôt que d’essayer d’aller au lycée. Le 25 septembre fut leur premier jour de classe. Sous escorte de policiers de la ville, 7 des 9 étudiants noirs entrent au lycée par une porte secondaire. Quelques élèves blancs en sortent, refusant de s'asseoir à côté d'eux. La foule des anti-déségrégation hurle de rage et investit l’école, traînant les jeunes élèves au bureau du principal en les menaçant de mort. Devant la situation qui menace de dégénérer, l’un des Neuf entend un officiel dire :

« On va peut-être devoir laisser la foule avoir un de ces jeunes, pour les distraire suffisamment longtemps pour faire sortir les autres ! »

Constamment harcelés, les neuf élèves se voient affecter chacun un militaire de la 101e comme garde du corps. Cette protection des soldats permet aux Neuf d’accéder au lycée, mais n’empêche pas le harcèlement constant et les actes de haine et de violence à l’intérieur ; Elizabeth sera ainsi poussée dans les escaliers au sein de l’établissement.

Dès le lendemain, Eisenhower place sous l’autorité fédérale 11.500 gardes nationaux de l’Arkansas, une mesure très exceptionnelle dans la législation américaine.

Tout au long de cette première année scolaire, malgré la présence des militaires, ils seront victimes de harcèlement et de violences physiques, soutenus et défendus par la journaliste Daisy Bates durant l'intégralité de la crise de Little Rock.

12 septembre 1958

.            La Cour suprême ordonne l'intégration immédiate des étudiants noirs dans les écoles de Little Rock. Le gouverneur, s’appuyant sur un vote public favorable à plus de 70%, ferme pourtant les lycées de la ville pour empêcher l’intégration. Les tribunaux fédéraux ordonnent leur réouverture, décision confirmée par la Cour suprême des États-Unis. Les institutions politiques locales perdent alors leur crédit auprès des autres États. Sur injonction d’un tribunal fédéral, ils seront rouverts en août 1959.

Le maire de New York Robert Wagner félicitant neuf adolescents qui intègrent la Central High School de Little Rock en 1958.

Une honte nationale

.            Cette crise est considérée comme l'un des événements les plus importants du mouvement afro-américain des droits civiques ; elle fut une confrontation ouverte entre le pouvoir de l'État et le gouvernement fédéral. Un épisode, qui continue de hanter la mémoire des Etats-Unis, et qui envoya une désastreuse image au monde entier.

Après la crise

.            Elizabeth Eckford ne pourra pas poursuivre ses études à Little Rock et suivra des cours par correspondance avant d’obtenir un diplôme en histoire dans l’Ohio.

Par la suite, Elizabeth sert dans l’armée américaine pendant cinq ans comme spécialiste de l’information. Elle travaillera ensuite comme serveuse, professeure d’histoire, travailleuse sociale, contrôleuse judiciaire et journaliste. Elle reçoit la Spingarn Medal de la NAACP, le prix Father Joseph Biltz et la Médaillle d’or du congrès américain, la plus haute distinction civile accordée par le Congrès.

Les Neuf de Little Rock furent les invités d’honneur lors de la cérémonie de prise de fonction du président Obama, le 20 janvier 2009.

Le retour de la ségrégation

.            Malheureusement, aujourd’hui, les Américains doivent faire face à un contre-phénomène : la reségrégation scolaire. Depuis le début des années 2000, Noirs et Blancs sont à nouveau de plus en plus séparés lorsqu'ils vont à l'école. Le mal est bien plus profond qu'il y parait, et la plaie loin d'être entièrement cicatrisée.