Les guerres indiennes : de Paspahegh (1610) à Wounded Knee (1890)

L’impossible « vivre-ensemble » ?

.            L'expression « Guerres Indiennes » est le nom donné aux conflits qui ont opposé les Indiens autochtones aux colons européens venus occuper leurs terres, du XVIIème au XIXème siècles. Si l’expression laisse sous-entendre que les Amérindiens formaient un bloc uni contre les principaux envahisseurs (colons britanniques, puis américains), c’est loin d’être le cas ! Sioux, Apaches, Cheyennes, et d’autres centaines de tribus vivaient alors sur le territoire des actuels États-Unis.

Dès l’arrivée des premiers colons, les Indiens ont tenté de résister à la dépossession de leurs terres, parfois en unissant leurs forces. En vain. Estimés entre 9 et 12 millions à la fin du XVème siècle, les Indiens d'Amérique du Nord ne seront plus que 250 000 à la fin du XIXème siècle.

Représentation des différents Amérindiens : Aleut, Tlingit, Inuit (homme et femme), Crow Indians (2), Blackfeet, Ojibwa, Shoshone (3), Dakota Sioux, Mandan (2), Apache, Pueblo, Mexican Indian, Omaguas (2), Botocudo (homme et femme), Ticuna (homme et femme), Peruvian from Cerro de Passo (2), Moxos people (4), Patagonian (2), Mapuche, Fuegians.

État des lieux de l’Amérique du nord avant l’arrivée des colons

.            On les imagine galopant à grandes chevauchées dans les plaines américaines. Le visage peint en rouge, des plumes dans les cheveux et des cris déformant leurs visages de sauvages, ils sont prêts à tout pour scalper les blancs qui occupent leur territoire. Une fois leurs guérillas achevées, ils se réunissent en fumant le calumet de la paix. Décidément, les clichés répandus sur les Indiens d’Amérique, que les westerns ont fortement contribué à véhiculer, ne rendent pas justice à l’infinie complexité des quelques cinq-cents nations indiennes qui vivent en Amérique du nord avant l’arrivée des colons.

.            L’Amérique n’a jamais été ce que le puritain William Bradford en disait en 1620 : « de vastes régions vides d’hommes qui, bien que fertiles et propices à l’habitation, sont dépourvues de tout habitant civilisé et occupées seulement par quelques brutes sauvages qui parcourent le pays en tous sens et diffèrent peu des bêtes sauvages qui font de même. » Comparable à l’Europe médiévale, l’Amérique comptait en réalité 80 millions de personnes environ, dont neuf à douze sur l’actuel territoire des États-Unis.

Diversité des peuples d’Amérique du Nord (1914)

Indiens d’Amérique, Amérindiens, autochtones, les natifs vivent en tribus. Dans les plaines côtières de l’Est et du Sud-est, on trouve des Indiens sédentaires, agriculteurs comme les Iroquois, Delaware, Cree, Cherokee. À l’ouest des Appalaches, dans la forêt orientale américaine, on rencontre les Potowatomi, Sauk ou Fox qui cultivent des céréales mais sont surtout des chasseurs semi-nomades. Encore plus à l’ouest, il y a les Indiens des plaines comme les Sioux, les Crow, les Cheyennes, les Pawnee ou les Arapaho. De l’autre côté des montagnes rocheuses et en Californie, les Yurok, Hupa, Pomo vivent de la pêche et de la chasse. Au sud-ouest entre les prairies du Centre et la Californie vivent des peuples agriculteurs sédentaires, les Hopi, Pueblos.

.            Une majorité de tribus a en commun de vivre presque exclusivement du bison. En abondance à travers toute l’Amérique du nord, ces imposants ruminants que les Américains appellent « buffalos », défilent en masse. Avec la peau du bison, les Indiens font des tentes, des vêtements d’hiver, des pirogues, des coffres, des courroies, des couvertures de lit. Avec leurs os, ils confectionnent des outils, des aiguilles, des pointes de flèches. Avec les tendons et les intestins, ils fabriquent des liens, des lacets et des cordes pour les arcs. La bouse séchée leur fournit un combustible. La cervelle servait à tanner le cuir. Bref, tout est bon dans le bison.

.            Les Indiens d’Amérique partagent aussi une spiritualité forte. Ils croient en un être supérieur, le « Grand Esprit », auquel ils rendent un culte et dont ils espèrent obtenir des visions. Animistes, ils vénèrent la nature, les saisons, la terre et donnent des noms d’animaux à leurs enfants. Chaque clan a son chaman (sorcier, prêtre), son guérisseur, dont le statut est aussi important que celui du chef. Le concept d’argent leur est inconnu, ils pratiquent le troc et ce peut être avec des perles ou des coquillages qu’ils mesurent la valeur des choses.

Loin d’être pacifistes, les Indiens se livrent des guerres intestines permanentes. Chaque clan a son chef, lui-même fils de chef ou désigné comme tel après s’être distingué au combat. L’étendue du territoire nord-américain fait que certaines tribus ne se rencontrent jamais. À chacune sa culture, sa langue, ses coutumes, malgré les quelques similarités évoquées.

Le vrai choc des cultures que vont connaître ensemble les Indiens d’Amérique est celui qui résulte de la rencontre avec la culture occidentale des Européens.

Tribus indiennes en Amérique du Nord

Possessions européennes en Amérique du Nord en 1750.

Les Indiens, ces sauvages

« Bestial ou démoniaque, dépourvu de toute civilisation ou plongé dans une culture archaïque, l’Indien figure, dans la mythologie, le folklore et la littérature américaine, l’obstacle que la nature ou Satan a placé sous les pas du pionnier pour éprouver sa valeur, la mauvaise herbe qu’il faut arracher pour faire fructifier le sol ; il est, au mieux, le propriétaire abusif d’un territoire dont les États-Unis doivent se rendre maîtres » (Eloïse Marienstras, La résistance indienne aux États-Unis, Gallimard, 2013).

Et les Blancs arrivèrent…

.            Tout commence avec cette phrase : « Christophe Colomb a découvert l’Amérique en 1492 ». Une affirmation erronée, bien sûr. Déjà, parce qu’on ne peut pas découvrir un continent déjà peuplé, et ensuite parce qu’il ne fut pas le premier Européen à mettre le pied sur le continent. Avant lui, il y eut de source sûre les Vikings.

La colonisation espagnole, vue par le peintre mexicain Diego Rivera (fresque murale, Palacio Nacional Mexico)

Les véritables découvreurs de l’Amérique, ce sont les ancêtres des Amérindiens. Ils sont venus d’Asie plusieurs dizaines de milliers d’années avant notre ère. À l’époque glaciaire, la Sibérie et l’Alaska étaient reliées par une bande de terre. Ces peuplades ont ainsi franchi le détroit de Béring et colonisé, les premiers, l’Amérique du nord au sud. Mais l’arrivée de Colomb, qui s’inscrit dans l’ère des Grandes Découvertes, est perçue, jusqu’à nos jours, comme une découverte et c’est ce qui légitime alors la colonisation européenne et l’appropriation des terres indiennes.

.            Après la découverte vint la conquête du Nouveau Monde.

Les Espagnols débarquent sur le littoral de l’Amérique du nord dès la première moitié du XVIème siècle mais ne parviennent pas à s’implanter durablement. Les Français délaissent eux les régions de la côte atlantique et pénètrent à l’intérieur du continent en remontant le fleuve Saint-Laurent. Depuis Québec, ils étendent leur autorité sur un immense territoire, de la baie d’Hudson jusqu’aux Grandes Plaines centrales, qu’ils appellent Louisiane (1682) en l’honneur de Louis XIV.

C’est le 14 mai1607 que les Anglais débarquent en Virginie et fondent une première colonie anglaise qu'ils baptisent Jamestown en l'honneur du roi Jacques Ier. C'est le début de la colonisation britannique. En Virginie, comme en Floride, les colons parviennent à s’implanter durablement grâce à une stratégie de diplomatie, en signant alliances et traités avec les tribus locales.

Jamestown (Virginia)

Le fort de Jamestown en 1607.

Un esprit pacifique que perpétue l’arrivée des Pères Pélerins et des colons du Mayflower en 1620.

Le Mayflower dans le port de Plymouth (William Halsall -1882)

Le chef wampanoag Massasoit et John Craver, passager du Mayflower, fumant le calumet de la paix.

La course à la conquête fait rage entre les puissances européennes. La Nouvelle-Angleterre occupe en ce début du XVIIème siècle un espace bien plus restreint sur le littoral atlantique que la Nouvelle-France et la Nouvelle-Espagne. L’émigration britannique se poursuit tout au long du XVIIème siècle entraînant la création d’autres colonies comme le New Hampshire (1629), le Rhode Island (1644) ou encore le Connecticut (1662).

Pour maintenir son empire, la France, qui contrôle l’Acadie, la vallée du Saint-Laurent et la vallée de l’Ohio qui s’étend du fort Détroit jusqu’en Louisiane à l’embouchure du Mississipi, s’allie avec les autochtones : les Algonquins, les Cris, les Eriés, les Pieds Noirs, les Illinois, les Miamis ou encore les Sioux. Son objectif principal étant de commercer des matières premières et des fourrures, la Nouvelle-France se concentre sur l’établissement des relations diplomatiques et amicales avec les Indiens car ce sont eux qui détiennent les fourrures ainsi que leur monopole. De Jacques Cartier (1534) au traité de Paris (1763) les relations franco-indiennes sont relativement apaisées.

Danse rituelle des indiens Powhatan dans l’île de Roanoke (John White, 1585)

Les Indiens se soulèvent les uns après les autres (1610)

.            Les Indiens sont doublement les ennemis des Britanniques : ils habitent les terres à conquérir et sont alliés aux Français. Car contrairement aux Français qui privilégient l’établissement de comptoirs, les Anglais comptent bien s’installer durablement grâce à leurs colonies de peuplement.

Les premières échauffourées entre autochtones et Anglais ont lieu dès l’arrivée des premiers colons. La première guerre anglo-powhatan débuta le 9 août 1610, lorsque 70 hommes commandés par Georges Percy tuèrent de manière horrible les habitants (de 65 à 75) de Paspahegh (près de Jamestown) et brûlèrent leur ville considérée comme la capitale des Powhatans. Une guerre qui s’acheva en 1614 avec le mariage entre Pocahontas et le colon John Rolfe. Les tribus Kicoughtan et Paspehegh étaient éradiquées et d’autres peuplades dispersées. Les Anglais contrôlent alors une grande partie de la rivière James.

22 mars 1622 – les Amérindiens attaquent la colonie de Jamestown, tuant 347 colons lors des guerres anglo-pawathan.

.            En 1636, l'empire britannique signe un décret sur l'esclavage à vie à la Barbade, dans les Caraïbes. C'est la première trace écrite de légalisation de cette pratique par les Anglais. Le recours à l’esclavage, qui concerne le nègres et les Indiens bien sûr, ne fait donc qu’accroître en Nouvelle-Angleterre les tensions avec les tribus du nord-est des futurs États-Unis.

Prenant le prétexte du meurtre d’un marchand de Boston, les Britanniques s’attaquent aux Pequots, une tribu du peuple Powhatans déjà victime d’une épidémie de variole dans les états actuels du Connecticut et du Rhode Island. Ils sont en réalité coupables aux yeux des Britanniques d’avoir commercé avec les Hollandais. La chasse est lancée, des récompenses sont attribuées si leurs têtes sont rapportées. Les autorités coloniales souhaitent anéantir la tribu et c’est chose faite avec le traité de Hartfort du 21 septembre 1638. L’emploi du nom « Pequot » devient hors-la-loi. Pour mener à bien cette éradication, les Anglais se sont alliés à une autre tribu indienne, celle des Narragansett. Quarante ans plus tard, ces derniers subiront le même sort et seront décimés à leur tour.

John Smith, capturé par des chasseurs Powhatans, est épargné à la demande de la jeune Pocahontas en 1607. Mais quelques années plus tard, alors que celle-ci apporte des nouvelles aux colons de Jamestown, elle est faite prisonnière. Forcée de s’habiller comme une Européenne, baptisée « Rebecca », elle est mariée de force en 1614 à un planteur de tabac veuf du nom de John Wolfe. Cet événement, perçu comme le triomphe de la civilisation sur la sauvagerie, calme les tensions entre Powhatans et Anglais.

Pocahontas sauve la vie de John Smith (illustration américaine de 1870)

Les Wampanoags, eux, se soulèvent après avoir apporté la paix. En 1620, le chef Massassoit contribuait en effet à sauver les Pères pèlerins de la famine. Un siècle et demi plus tard, George Washington célébrera cet événement avec la fête de Thanksgiving. Pourtant, cet esprit pacifique n’a pas duré bien longtemps. Comment les Indiens pourraient-ils cohabiter avec des colons qui prétendent acheter leurs terres alors qu'eux-mêmes n’ont pas la notion de la propriété privée, et comment admettre d'être condamnés à mort s'ils tuent des colons, tandis que les colons ne risquent rien pour le meurtre d’Indiens ? L’injustice est flagrante.

En 1675-1676 se déroule la guerre du « roi Philip », surnom donné au chef indien Metacomet, fils de Massassoit, dont la tribu vit dans les actuels états du Massachusetts et de Rhode Island. Elle fait suite à la pendaison de trois Indiens, qui ont eux-mêmes tué un Indien christianisé. La guerre éclate le 24 juin 1675. Les Wampanoags attaquent et tuent neuf colons et ravagent les plantations des puritains du Massachusetts. En décembre 1675, les Anglais remportent une bataille à la suite de laquelle les Indiens fuient vers le nord pour demander asile à la tribu des Iroquois, sans savoir que ces derniers sont alliés aux Britanniques. Trahi par des Indiens, Metacomet est tué et décapité en août 1676. Sa mort signe le déclin de la puissance indienne en Nouvelle-Angleterre. La guerre a coûté la vie à 800 colons anglais et 3 000 Amérindiens. Les survivants Wampanoags sont vendus comme esclaves.

La bataille de Bloody Brook, lors de la guerre du roi Philip, le 18 septembre 1675.

L’incendie de Jamestown (Howard Pyle, 1905)

Cette même année éclate la révolte de Nathaniel Bacon. Sans en référer au gouverneur William Berkeley, il met en place des détachements armés pour combattre les amérindiens. Le gouverneur l’accuse de rébellion et le fait emprisonner mais le libère rapidement car, pour soutenir Bacon, 2.000 colons de Virginie marchent sur Jamestown. Dès sa libération, Bacon reconstitue ses milices et harcèle les Amérindiens de Virginie avant de mourir à 26 ans de la dysenterie.

Les Tuscaroras mènent une guerre de deux ans, entre 1711 et 1713, contre les colons de Caroline du nord avec qui ils vivaient jusqu’alors en paix. Leur territoire est complètement envahi. En réponse à cette invasion, ils multiplient les raids. Mais en mars 1713, les colons alliés à des tribus indiennes (Yamasees, Cherokees, Creeks) attaquent plusieurs villages tuscaroras donc celui du chef Nohoroca. Ce massacre met un terme au conflit et chasse les Indiens vers le nord-est. Les Tuscaroras se retrouvent au Canada actuel dans le territoire des cinq tribus confédérées aux côtés des Iroquois et deviennent la sixième tribu de cette confédération.

Deux ans plus tard, les Yamasees s’attaquent aux colons de Caroline du sud, parviennent à tuer 7% d’entre eux avant que les Anglais ne reprennent l’avantage.

L’esprit de résistance du roi Philip

« Frères — Voyez ce grand pays qui s’étend devant nous : c’est celui que le Grand Esprit a donné à nos pères avant nous ; voyez le bison et le daim qui font notre subsistance. — Frères, voyez nos femmes et nos enfants qui attendent de nous la nourriture et le vêtement ; et voyez maintenant comment l’ennemi devant vous s’est fait fier et insolent; nos antiques coutumes sont méprisées; les traités conclus par nous et par nos pères sont violés; et tous nous subissons l’affront. [...]; nos frères sont tués devant nos yeux et leurs esprits crient vengeance. Frères, ces hommes venus d’un monde inconnu abattront nos forêts ; ils détruiront nos chasses et nos plantations et ils nous éloigneront, nous et nos enfants, des tombes de nos ancêtres et des feux de nos conseils ; ils réduiront nos femmes et nos enfants à l’esclavage » (paroles du roi Philip rapportée par l’Indien William Apes en 1836, à Boston).

La première guerre bactériologique de l’Histoire

.            Les Ouataouais (Ottawa en anglais) se soulèvent à leur tour dans la région de Grands Lacs. C’est la guerre de Pontiac, du nom de leur chef qui rejette l’influence des Européens et veut se défaire de la dépendance à l’alcool et au commerce. En 1755, avec un millier d’Amérindiens dont 300 Ouataouais, il aide les défenseurs français du fort Duquesne à mettre en déroute les Britanniques puis entreprend la destruction des forts des Grands Lacs.

Pontiac appelant à la rébellion devant le Grand Conseil du 27 avril 1763 (Alfred Bobbet, XIX° siècle)

Pontiac se résout à faire la paix mais le général britannique Jefferey Amherst n’est pas de cet avis. En 1764, il ordonne à ses hommes de donner aux Indiens des couvertures infestées de petite vérole pour les exterminer. C’est la première guerre bactériologique de l’Histoire. L’épidémie de variole va faire des dizaines de milliers de victimes chez les autochtones. Pontiac est assassiné en 1769. La garnison l’enterre avec les honneurs dus à son rang sur les rives du Mississipi.

Dans la seconde moitié du XVIIème siècle, la colonie de Charleston est fondée et la traite des Amérindiens de Caroline vers les Antilles s’accélère. En 1703, le scalp (mot d’origine scandinave apporté par les Anglais) d’un autochtone est rémunéré 40 livres. En 1750, le scalp d’un Indien adulte (de plus de douze ans) est rémunéré 100 livres et celui d’une femme ou d’un enfant 50 livres. Une chasse à l’homme ? Pas tout à fait. Les Anglais considèrent leurs ennemis comme des sauvages, voire des créatures infernales.

En 1774 éclate la guerre de Dunmore, du nom du gouverneur des colonies de New York et de Virginie. Elle oppose les colons britanniques aux Shawnees et aux Mingos désireux de conserver le droit de chasser dans cette zone et se termine par la victoire des Virginiens à la bataille de Point Pleasant en avril 1774. Les Amérindiens perdent le droit de chasser et reconnaissent la rivière Ohio comme frontière entre terres amérindiennes et colonies britanniques.

Le chef Pontiac déterre la hache de guerre

Le 5 mai 1763, devant un conseil réunissant les émissaires de dix-huit nations indiennes, Pontiac dénonce l'ennemi anglais : « Il est important pour nous, mes frères, que nous balayions de nos terres cette nation qui ne cherche qu’à nous détruire. Vous voyez comme moi que nous ne pouvons plus recevoir d’approvisionnement des Français comme autrefois. Les Anglais nous vendent la marchandise deux fois plus cher et leur matériel ne vaut rien. À peine avons-nous acheté une couverture pour l’hiver qu’il nous faut la remplacer. Lorsque nous devons nous ravitailler avant nos quartiers d’hiver, ils ne nous font pas crédit comme le faisaient les Français. Lorsque je dis à un chef anglais que quelques-uns de nos camarades sont morts, au lieu de pleurer les morts comme nos frères les Français le faisaient avec nous, il se moque de moi et de vous. [...] Eh bien, mes frères, il nous faut jurer leur ruine ! Nous n’attendrons pas plus longtemps et rien ne nous arrêtera. Ils sont peu nombreux et nous pouvons les vaincre facilement. Toutes les nations qui sont nos amies leur ont porté des coups, pourquoi ne pas faire de même ? Ne sommes-nous pas des hommes comme eux ? Ne vous ai-je pas montré les ceintures de guerre que j’ai reçues de notre père très grand, le Français ? Il nous a dit de combattre ; pourquoi ne pas écouter ses paroles ? Qui craignons-nous ? [...] Combattons tous ensemble ! [...] Rappelez- vous ce que le Maître de Vie a dit à notre frère, le Loup, à leur propos et au nôtre. J’ai envoyé un message et des ceintures de guerre à nos frères les Sauteux de la Saginaw et à nos frères les Ottawas de Michelimakinah, ainsi qu’à ceux qui habitent à l’embouchure de la rivière, pour qu’ils se joignent à nous. En les attendant, commençons l’attaque !»

1763, l’année charnière 

.            S’ils sont traqués, les Indiens sont aussi très appréciés en ce milieu du XVIIIème siècle car l’Europe dispute un de ses conflits majeurs, la guerre de Sept ans (1756-1763) que les Anglais dénomment « French and Indian War » (la guerre contre les Français et les Indiens). Cette première guerre mondiale voit s’opposer le royaume de Grande-Bretagne et ses alliés, le royaume de Prusse et le Portugal, et le royaume de France allié aux Saint Empire romain germanique et à la Russie.

Les nouveaux empires coloniaux concluent des alliances avec différentes tribus et l’Amérique du Nord devient l’affrontement des combats. Les Français s’allient aux Iroquois et les Anglais aux Mohicans. Les clans se retrouvent embarqués dans les guerres des Européens. Les Indiens d’Amérique vont donc se massacrer au nom des guerres d’un autre peuple.

En 1763, le conflit se conclut à Paris par la victoire de l’Angleterre et ses alliés. Son issue marque un tournant dans l’histoire de la colonisation américaine car les Britanniques deviennent maîtres de l’actuel territoire des États-Unis. La France renonce à ses possessions en Amérique du nord. Tout revient à l’Angleterre, sauf la rive gauche du Mississipi qui est aux mains de l’Espagne.

Après la Guerre de Sept ans naissent les rêves d’indépendance des nouveaux colons américains. Le roi George veut à tout prix éviter un conflit avec les natifs américains, surtout ceux qui les ont aidés dans la guerre contre la France. Pour éviter les frictions et massacres dans les colonies, il interdit aux colons de s’établir au-delà des Appalaches en 1763. Une décision qui renforce bien sûr leur envie d’indépendance.

C’est dans des déguisements d’Indiens que les colons montent sur les bateaux anglais lors de la Tea Party de Boston. Alors, le mouvement des insurgents prend de l’ampleur. En 1776, les treize colonies du Nouveau Monde, qui comptent trois millions d'Européens - et un million d'Africains -, proclament leur indépendance, au grand désarroi des Indiens qui vont faire face à leurs pires ennemis : les Étasuniens.

Carte des opérations en Amérique du Nord de 1754 à 1760.

Le choix de l’extermination

.            Avec l’indépendance des États-Unis, les guerres indiennes prennent une tournure plus agressive. Les Treize colonies, devenues autant d'États, ambitionnent de s'étendre vers les territoires de l'Ouest. Mais que faire de leurs premiers occupants ? On négocie d'abord avec eux de simples droits de passage avant de finalement les parquer dans des réserves. Mais les Indiens ne se laissent pas faire et déterrent à l'occasion la hache de guerre. Sioux, Apaches, Cheyennes multiplient raids, pillages et embuscades contre les envahisseurs.

Après la guerre de Sécession (1861-1865), le major-général Sheridan prend la direction des guerres indiennes. Sa formule apocryphe : « Un bon Indien est un Indien mort » reflète l’état d’esprit dominant chez les Étasuniens en cette fin de siècle. Renonçant à civiliser ou assimiler les Indiens, ils entreprennent de les exterminer. Et ils vont pratiquement y parvenir grâce à trois méthodes : la chasse aux bisons, les épidémies et les massacres. 

The silenced War Whoop – Charles Schreyvogel, 1908 – American Museum of Western Art, Denver.

Impossible cohabitation entre pionniers et Indiens

.            Le « vivre-ensemble » et la volonté d'une cohabitation pacifique avec les Indiens d’Amérique s’incarnent dans les innombrables traités que signent les jeunes États-Unis avec les Amérindiens. Mais les pionniers ont du mal à respecter les promesses de leur gouvernement au point que, comme l’a écrit l’historien Howard Zinn, « les gouvernements américains ont signé plus de quatre cents traités avec les Amérindiens et les ont tous violés, sans exception. » 

En pleine guerre d’Indépendance, en 1779, George Washington, qui commande l’armée des insurgents, ordonne le massacre des Iroquois qui se sont alliés aux loyalistes anglais. Cela fait, plein de bonnes intentions, le futur premier président américain se veut rassurant : « considérant que ce pays est assez grand pour nous contenir tous et que nous sommes disposés à faire commerce et à lier amitié́ avec eux, nous jetons un voile sur le passé et décidons de tracer une frontière entre eux et nous, au-delà̀ de laquelle nous nous efforcerons d’empêcher notre peuple de chasser ou de s’établir, et en deçà de laquelle les Indiens s’abstiendront de pénétrer sauf pour commercer ou signer des traités ».

Il n'empêche que dans le traité de Paris de 1783 qui reconnaît l'indépendance des Treize colonies, aucune mention n'est faite des droits indiens. Et l'année suivante, le 22 octobre 1784, les Iroquois subissent violemment la loi du vainqueur avec le traité de Fort Stanwix (État de New-York). Les Six Nations iroquoises sont dépossédées d'une immense partie de leurs terres en échange de quoi le Congrès promet de les ravitailler, ce qui créera, en plus de la soumission, une relation de dépendance.

.            Jusqu’au milieu du XIXème siècle, la politique américaine oscille entre les trois solutions qui s’offrent à elle : une cohabitation dans le respect mutuel, un partage du territoire entre les deux civilisations ou la réduction des indigènes à un statut subordonné. « Le plus souvent, les gouvernements penchent pour la solution du partage mais ils sont débordés par les populations européennes - colons, fermiers, négociants, spéculateurs, hommes de la milice - qui agissaient directement pour qu'une « solution finale » soit donnée à la question indienne », écrit Élise Marienstras dans La résistance indienne aux États-Unis (Gallimard, 2013).

Une partie du village iroquois d’Oka - 1872, O.Dieker, musée McCord, Montreal.

Groupe de Mohawks, accompagnés du maire de Montreal William Workman Kahnawaké - 1869, musée McCord Montreal.

.            Le 13 juillet 1787, le Congrès proclame l’ordonnance du Nord-Ouest dont les principes seront réaffirmés dans la Constitution de 1789. Comme son nom l’indique, elle ouvre à la colonisation les territoires du Nord-Ouest, entre les Appalaches, les Grands Lacs, le Mississippi et le Tennessee tout en interdisant aux pionniers de s'installer sur le territoire des tribus : « Une bonne foi sans défaut sera toujours observée envers les Indiens ; leurs terres et leurs propriétés ne leur seront jamais enlevées sans leur consentement et ils ne subiront jamais la moindre atteinte dans leurs propriétés, leurs droits et leurs libertés, sauf en cas de guerres justes et légales autorisées par le Congrès. » 

Aucune guerre ne sera jamais déclarée par le Congrès, pourtant les territoires indiens vont bel et bien être extorqués. En effet, du fait de l’immigration et surtout d'une forte natalité, les colons européens occupent toujours davantage de terres de sorte que, très vite, les États-Unis d'Amérique repoussent leur frontière jusqu’au Mississipi. Grignotant les territoires indiens, ils forment de nouveaux États : Ohio en 1803, Kentucky en 1792, Tennessee en 1796, Vermont en 1791, etc.

Carte des batailles qui se sont déroulées dans la région de l’Ohio.

.            Le 03 mai 1803, Bonaparte, qui a besoin d’argent pour mener la guerre en Europe, cède la Louisiane aux États-Unis d'Amérique pour 80 millions de francs (15 millions de dollars, soit 8 cents l'hectare). Ce territoire, qui occupe à peu près tout le bassin du Mississippi, est alors plus vaste que les États-Unis et à peine peuplé de 50.000 habitants (colons européens et esclaves africains), non compris les Amérindiens. Du coup, l'année suivante, le Congrès autorise le président des États-Unis à négocier avec les tribus autochtones pour échanger leurs territoires contre des réserves situées au-delà vers l'Ouest. Cela ne va pas sans violence. En 1810, la tribu Cherokee refuse d’être évacuée. Mais face aux armes à feu de la cavalerie étasunienne, les arcs et les flèches des Indiens ne font pas le poids. Le soulèvement échoue et se termine par le massacre d’hommes, femmes et enfants aux chutes d’Ywahoo le 10 août 1810.

Confrontation entre Tecumseh et William Henry Harrison à Vincennes (Indiana), au sujet du traité de Fort Wane - 1810, John Reuben Chapin, Public Library New York.

.            Lors de la seconde guerre anglo-américaine (1812-1815) (la première qu'aient livrée les Etats-Unis et aussi aussi la seule de l'Histoire moderne qui ait mis aux prises deux démocraties), Tecumseh, chef d’une tribu des Chaouanons dans l’actuel Ohio, s'allie aux Britanniques. Il tend une embuscade à des soldats étasuniens et en tue 20, ce qui permet aux Britanniques de s'emparer de Fort Detroit. Tecumseh y gagne le surnom de « Wellington des Indiens ». Mais sa mort en 1813 marque la fin de la résistance dans le Middle-West. Les tribus sont déplacées au-delà du Mississipi, où nomadisent déjà d'autres tribus. Voilà ces Amérindiens qui ne s'étaient jamais rencontrés obligés de cohabiter !...

Au même moment, en aval du Mississipi, dans l’actuel Alabama, les Bâtons Rouges, une branche de la tribu des Creeks, attaquent un avant-poste américain en août 1813, faisant 250 prisonniers et tués. En représailles, le général Andrew Jackson (le futur 7ème président des Etats-Unis) et ses fantassins massacrent 3.000 Creeks à la bataille de Horseshoe Bend, le 27 mars 1814. Les derniers résistants creeks se rendent l’année suivante. Le traité de Fort Jackson leur impose la cession de 20 millions d’acres, soit 81.000 km2, et ouvre la porte à l’Alabama Fever (la « ruée vers l'Alabama »). En dix ans, la population du territoire est multipliée par 14 et dès 1819, l’Alabama est incorporé aux États-Unis.

Entrevue entre le général Jackson et Lamochattee (William Weatherford) – 1859, John Reuten Chapin, Library of Congress, Washington.

Le général Andrew Jackson se distingue ensuite dans les guerres séminoles, tout comme un autre futur président américain (d’un jour !), le général Zachary Taylor. Au nombre de trois (1817-1818, 1835-1842 et 1855-1858), ces guerres séminoles se déroulent en Floride, colonie espagnole cédée aux États-Unis en 1819. La première est déclenchée en vue de récupérer des esclaves noirs en fuite qui se sont réfugiés parmi les Séminoles. La seconde fait suite au refus des Séminoles de se parquer dans une réserve à l’ouest du Mississipi. Elle est la plus coûteuse et la plus longue des guerres indiennes. Les Séminoles luttent vaillamment à coup de guérillas depuis les marais des Everglades mais ils doivent capituler après la capture de leur chef Osceola. La troisième guerre séminole vise à éliminer toute poche de résistance en Floride qui devient, en 1845, un nouvel État des États-Unis d’Amérique.

Attaque du fort par les Séminoles, Gray and James of Charleston, 1837 – Archives de Floride.

Incendie du village de Pilak-li-ka-ha par le général Eustic, 1837 – Archives de Floride.

L’Indian Removal Act (1830)

.            En 1824, un Bureau des affaires indiennes (BIA) qui dépend du ministère de la Guerre prend en charge la gestion des réserves qu'ont dû rejoindre, contraintes et forcées, pas moins de cinquante tribus.

.            Sous la présidence d’Andrew Jackson (1829-1837), le congrès autorise officiellement les déportations en adoptant le 28 mai 1830 l’Indian Removal Act (« loi sur le déplacement indien »). Toutes les tribus vivant à l'ouest du Mississippi sont ainsi déplacées vers le « Territoire indien », l’actuel Oklahoma.

Le 29 décembre 1835, une poignée de chefs de la Nation cherokee, signent avec le gouvernement des États-Unis un traité à New Echota (Géorgie). Par ce traité proposé par le président Andrew Jackson, les Indiens acceptent de renoncer à leurs terres ancestrales de Géorgie et de Caroline du Nord, en échange d'argent et de nouvelles terres à l'ouest du Mississipi, en Oklahoma. Dès lors, malgré une vaillante résistance, les Creeks, les Cherokees, les Choctaws, les Séminoles, les Chickasaws, cinq tribus dites « civilisées » car sédentaires et pratiquant l’agriculture, sont à leur tour contraintes de rejoindre leurs réserves à l’ouest du Mississippi. Sous escorte militaire, elles empruntent le « Chemin des larmes » (Trail of tears), un nom qui viendrait des larmes de compassion qu’auraient versées les Américains qui les voyaient traverser !

Carte des itinéraires des Trails of Tears entre 1830 et1835 (L’Oklahoma en marron)

L'Amérique a changé avec la présidence d'Andrew Jackson (1829-1837). C'en est fini de l'« ère des bons sentiments » qui a inspiré à Tocqueville son chef-d'oeuvre, De la démocratie en Amérique.

Tocqueville décrit la situation des Indiens en Amérique.

« Les Espagnols, à l’aide de monstruosités sans exemple, en se couvrant d’une honte ineffaçable, n’ont pu parvenir à exterminer la race indienne. Les Américains des États-Unis ont atteint ce résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement légalement, philanthropiquement, sans violer un seul des grands principes de la morale aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l’humanité » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835)

« Destinée manifeste »

.            En janvier 1845, un journaliste new-yorkais du nom de John O'Sullivan, proche du Parti démocrate de Jackson, publie un plaidoyer en faveur de l'annexion du Texas, dont les habitants ont héroïquement résisté à l'armée mexicaine à Fort Alamo (le 06 mars 1836, plus de 5.000 soldats mexicains s'emparent de Fort Alamo, au Texas, après des combats acharnés. Le fort improvisé n'était défendu que par 187 ressortissants texans ou américains. Tous succombent au terme de l'assaut non sans avoir mis hors de combat, dit-on, 1.500 ennemis). Il écrit : « C'est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent confié par la Providence pour le libre développement de notre grandissante multitude. » (« It is our manifest destiny to overspread the continent alloted by Providence for the free development of our yearly multiplying millions »).

Son appel est entendu par le nouveau président, James Knox Polk, un disciple de Jackson. Il accueille le Texas au sein de la fédération et, sous un prétexte inique, entre en guerre contre le Mexique. Une promenade militaire aboutit au traité de Guadalupe Hidalgo en 1848, par lequel le Mexique cède rien moins que la Californie, le Nevada, l’Utah et l’Arizona. Les États-Unis atteignent alors les frontières qu’on leur connaît à l'exception de l’Alaska et des îles Hawaï. Comment les Américains pourraient-il encore douter de leur « destinée manifeste », à savoir occuper et peupler l'Amérique du nord ?

.            La même année 1848, le Bureau des affaires indiennes passe au ministère de l’Intérieur, alors chargé des relations entre l’État fédéral et les Indiens. Cette même année, une découverte incroyable pour les colons, sinistre pour les natifs, signe la reprise des tensions : de l’or est découvert en Californie. La ruée vers l’or entraîne le passage de milliers de colons par la piste de l’Oregon, qui avait été ouverte en 1842 en plein milieu des terres indiennes. Même s’ils ne font que passer, les colons rasent les arbres, font fuir le gibier et amènent une épidémie de choléra qui décime les Indiens.

Camp sur le sentier de l’Oregon, 1863, Albert Bierstadt.

Emigrants traversant les plaines de l’Oregon, 1869, Albert Bierstadt, Joslyn art Museum, Omaha (Nebraska)

Pour négocier leur droit de passage en échange d’argent, les colons signent avec neuf tribus indiennes Dakota (alliées en langue amérindienne) le premier traité de Fort Laramie (Wyoming), ou traité de Horse Creek, le 17 septembre 1851. Par ce traité, le gouvernement américain laissait le contrôle des Grandes Plaines aux Amérindiens (un territoire délimité sur une carte le long de la Minnesota River) et payait annuellement une somme de cinquante mille dollars pendant cinquante ans en échange du droit de construire des routes et des forts sur le territoire amérindien ainsi que le libre passage des colons sur la piste de l'Oregon. Mais c'est un traité que les prospecteurs (la ruée vers l’or ne date que de deux ans !) ne respecteront pas davantage que les précédents. La misère et la faim se répandent chez les Dakotas orientaux (les Santees). Les colons à qui ils sont contraints d'acheter de la nourriture refusent de leur faire crédit.

Fort Laramie – Alfred Jacob Miller, ~1858, Walters Art Museum, Baltimore

Les Sioux déterrent la hache de guerre

.            Depuis le milieu des années 1850, les relations entre les pionniers et les Sioux se dégradent. Ces derniers formaient une confédération de 7 peuples chasseurs-cueilleurs qui dirigèrent un empire grand comme trois fois la France, entre le Missouri et les Grandes Plaines. Anciens nomades ils se sont sédentarisés et installés dans leurs montagnes sacrées, les Black Hills, dans l’actuel Dakota du Nord où leur nation est désormais composée de trois tribus : Lakota, Dakota de l’Ouest et Dakota de l’Est.

Tipis sioux

Alors que quelques-uns d'entre eux campent non loin de Fort Laramie en attendant les marchandises promises par le traité, une vache s’échappe d’une caravane qui passait par là et s’égare dans le camp indien. Un jeune Sioux la tue. Le pionnier à qui elle appartenait s'en plaint auprès du lieutenant Grattan. Ce dernier saisit le prétexte pour donner une bonne leçon aux sauvages. Las, le 19 août 1854, près de Fort Laramie, le voilà avec seulement 29 soldats face à 1.200 guerriers sioux. Le lieutenant et 500 de ses hommes sont tués. Côté Sioux, le chef Conquering Bear est également tué.

Sioux, 1845, Charles Deas, Museum Amon Carter, Texas.

.            Le théâtre des guerres indiennes glisse vers l’ouest avec le pionner front. Une nouvelle ruée vers l'or de Pikes Peak (Colorado), entamée en 1859, déclencha des convoitises sur de nouveaux territoires des Amérindiens et l'arrivée de près de 100.000 chercheurs d'or faisant pression sur les autorités pour obtenir des terres, les amena à signer le traité de Fort Wise le 18 février 1861, aboutissant à diviser par treize les territoires amérindiens.

.           À partir des années 1860, les affrontements vont donc se dérouler dans les Grandes Plaines du Far West. Du Dakota au Texas Texas, du Kansas à la Californie, les guerriers attaquent les convois de migrants, les mineurs, les bûcherons et les chasseurs de bisons. Ils ont de bonnes raisons à cela. C'est que les Américains violent impunément les traités, ne livrent pas les marchandises promises et, pire que tout, déciment les troupeaux de bisons, base de l'alimentation des Indiens.

En 1862, victimes de la famine, ils dépêchent des représentants auprès du Bureau des affaires indiennes, pour réclamer des vivres. Mais en temps de guerre de Sécession, qui se préoccuperait d’une poignée d’Indiens affamés ? Les Sioux Dakotas, menés par le chef Little Crow, se soulevèrent le 17 août en tuant une famille de cinq colons en revenant d’une expédition de chasse dans les collines du Minnesota. Le signal de la révolte est lancé. Cette même nuit, anticipant les représailles, le Conseil indien vota aussitôt la guerre et décida d’attaquer les villages de Blancs dans toute la vallée du Minnesota. Le chef sioux Little Crow, qui avait tenté jusque-là de temporiser, déterre la hache de guerre et ne tarde pas à prendre la direction des combats.

Dès le lendemain, des centaines de guerriers menés par Little Crow attaquent les villes et les fermes voisines, massacrant sans distinction hommes, femmes et enfants. Bien que le président Lincoln évoqua la mort de près de 800 colons, en pleine guerre de Sécession le gouvernement était davantage préoccupé par l’avancée des Confédérés vers la capitale, et il décida de laisser les milices locales remédier au problème. Devant le peu de réaction fédérale, la révolte sioux se transforma en une guerre totale, la "guerre des Sioux", ou "guerre de Little Crow".

Habitants fuyant le massacre indien de 1862 dans le Minnesota, Library of Congress, Washington.

.            Le 02 septembre, après la bataille de Birch Coulee où, une fois de plus, les Américains subirent de lourdes pertes, Lincoln prit enfin la mesure de la situation. Il nomma à la tête d’un nouveau régiment le général John Pope qui s’était juré de traiter les Sioux « comme des bêtes sauvages et de les exterminer ». Il tint parole ! Les Blancs dès lors remportent bataille sur bataille, et en vingt jours, il mata le soulèvement. Fin 1862, les Dakotas se rendent et plus d’un millier sont faits prisonniers. Après la tenue d’un procès, 392 d’entre eux sont jugés par une commission militaire et 303 condamnations à mort sont prononcées. Chargé de statuer sur cette décision, Lincoln était pris entre deux feux : les colons et … la démocratie. Après deux mois de tergiversations, il fit réduire, le 11 décembre, la liste des condamnés à 38, qui furent pendus en public le 26 décembre 1862 à Mankato (Minnesota). C’est la plus grande exécution de masse de l'histoire des États-Unis. Quatre mois plus tard, en avril 1863, le peuple des Sioux du Minnesota fut expulsé vers le Nebraska et le Dakota du Sud. Quant à sa réserve, elle fut dissoute manu militari par le Congrès. Little Crow, qui put s'enfuir au Canada, sera assassiné et scalpé par des colons le 03 juillet 1863.

Exécution de 38 indiens Sioux à Mankato, Minnesota, le 26 décembre 1862 – Library of Congress, Washington.

La guerre des Apaches

.            Plus au sud, vers la frontière mexicaine, les Apaches règnent sur le sud-ouest des États-Unis et sur l’état de Chihuahua, au Mexique. Leur nom signifie « ennemi » car ils sont les ennemis de tous ceux qui n’appartiennent pas à leur race.

Apaches dans les montagnes – Henry François Famy, 19° siècle, Musée des Beaux-Arts, Houston

Ces chasseurs-cueilleurs nomades du désert et des montagnes sont plus expérimentés que les autres Indiens du fait de leur passé conflictuel avec les Espagnols et les Mexicains. Ils lancent des raids contre les colons et s’approprient chevaux et bétail. Le chef Mangas Coloradas rançonne les prospecteurs des mines de cuivre, ses principaux ennemis.

En octobre 1860, une bande d’Apaches dérobe des chevaux ainsi qu’un enfant dans le ranch d’un Irlandais nommé Ward, lequel se rend au fort Buchanan pour demander de l’aide. Le commandant du fort, le colonel Pitcairn Morrison, envoie le lieutenant George Bascom à Apache Pass pour rechercher les chevaux et l’enfant. Bascom fait venir le chef Cochise dans sa tente en vue de le prendre en otage. Une bagarre éclate.

Le chef indien reçoit une balle dans la jambe et des membres de sa famille sont capturés. Par la suite, pour obtenir la libération de ces derniers, Cochise prendra lui-même en otage quatre Américains. Des deux côtés, les otages seront finalement exécutés. La mort par pendaison de son frère et de deux de ses neveux déclenchent la colère de Cochise qui entre dans une guerre ouverte. Il s’allie avec son beau-père Mangas Coloradas et devient chef de 200 guerriers Chiricahuas et Mimbrenos. Ensemble, les deux chefs apaches vont rendre la vie impossible aux colons de la région, du moins jusqu'à ce qu'éclate la guerre de Sécession.

En juillet 1862, des soldats de l’Union se rendent en renfort au Nouveau-Mexique. Pour éviter un détour dans le désert, ils empruntent l’étroit boyau d’Apache Pass. C’est alors que retentissent les cris de guerre des Apaches. Mangas Coloradas et Cochise fondent sur les Américains avec 500 guerriers.

Face à l’artillerie du général James Henry Carleton, les Apaches sont impuissants. Les soldats de l’Union prennent alors le dessus et les contraignent à rebrousser chemin sous le feu de leurs canons. À cet endroit sera érigé Fort Bowie, du nom d'un commandant d’infanterie.

Fort Bowie en 1883.

Au plus fort de la guerre de Sécession, les confédérés sudistes ne montrent pas plus d'aménité pour les Indiens que les nordistes. Vers la fin de l’année 1862, le colonel John R. Baylor, gouverneur de l’Arizona pour les confédérés, propose que tout Apache soit tué à vue et les femmes emmenées en esclavage. En janvier 1863, Mangas Coloradas est assassiné et son corps mutilé. Cochise lui succède à la tête des Apaches.

En avril 1871, un détachement venu de Tucson attaque 300 Apaches, dont une majorité de femmes et enfants, qui travaillent au champ de Camp Grant. Le massacre ravit l’opinion publique américaine mais le président Ulysses Grant n’est pas du même avis. Il ordonne l’arrestation et le jugement des responsables de l’attaque, que le jury déclare non-coupables. Un désir de paix anime le président américain. Il envoie le général Howard négocier avec Cochise et offre des réserves aux Apaches en Arizona.

Une majorité d’Apaches Chiricahuas accepte de s’y laisser transférer. Cochise, désespéré, choisit le chemin de la paix. Après sa reddition, il meurt dans une réserve en juin 1874, cependant que Geronimo et sa bande se retirent au Mexique pour poursuivre le combat.  Après de nombreux raids et pillages destinés à assurer leur survie, les derniers résistants apaches et Geronimo, 57 ans, se rendent en 1884 au général Miles. S’ensuivra la déportation des Apaches en Floride en 1886 puis dans les réserves de l’Oklahoma, où le chef Geronimo mourra en 1909.

Buste de Cochise – Betty Butts, Fort Bowie (Arizona) / Geronimo, Library of Congress, Washington.

C'en est fini de la résistance indienne dans le Sud-Ouest américain. Les Navajos ont enterré la hache de guerre en 1864 et pratiquent l’élevage dans leurs réserves. Les Comanches ont été vaincus en 1874. C’est au nord, dans les Grandes Plaines, où vivent Sioux, Cheyennes et Arapahos, que va dès lors se poursuivre la lutte.

Prisonniers Apaches au fort Bowie, Maryland, 1884 – National Archives at College Park.

 Le désespoir de Cochise

« Je désire une paix bonne, forte et durable. Lorsque Dieu a créé le monde, il en a donné une partie aux hommes blancs et une partie aux Apaches. Pourquoi en fut-il ainsi ? Et pourquoi en sont-ils venus à se rencontrer ? [...] Les hommes blancs m’ont cherché longtemps. Me voilà ! Que me veulent-ils ? Ils m’ont cherché longtemps. Pourquoi ai-je une telle importance à leurs yeux ? [...] Je ne suis plus le chef de tous les Apaches. Je ne suis plus riche. Je suis un homme pauvre. Le monde n’a pas toujours été ainsi. [...] Lorsque j’étais jeune, je traversais ce pays d’est en ouest et je ne rencontrais pas d’autre peuple que les Apaches. Après beaucoup d’étés, je traversai à nouveau le pays et je vis qu’une autre race d’hommes était venue pour le prendre. Pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi les Apaches attendent-ils de mourir, portant leur vie au bout des ongles ? Ils errent dans les collines et dans les plaines et souhaitent que le ciel s’écroule sur eux. Les Apaches ont été un jour une grande nation, maintenant il n’en reste que quelques-uns, et c’est pour cela qu’ils souhaitent la mort et qu’ils portent leur vie au bout des ongles. [...]
Je n’ai plus ni père ni mère ; je suis seul dans le monde. Personne ne se soucie de Cochise. [...] Parlez, Américains et Mexicains. Je ne veux rien vous cacher ; ne me cachez rien, vous non plus. Je ne vous mentirai pas ; ne me mentez pas. Je veux vivre dans ces montagnes. Je ne veux pas aller à Tularosa. C’est à une longue route d’ici. Les mouches de ces montagnes dévorent les yeux des chevaux. Les mauvais esprits y vivent » (
Discours de Cochise en 1873).

Le massacre des Cheyennes à Sand Creek (1864)

.            Les Cheyennes vivent en paix avec les Blancs sur un territoire défini par le traité de Fort Laramie de 1851, la Prairie que le gouvernement a promis de leur laisser « aussi longtemps que les arbres croîtraient et que les eaux couleraient." En novembre 1858, une nouvelle découverte d’or dans les Montagnes Rocheuses du Colorado a conduit à la ruée vers l’or de Pikes Peak. Près de 100.000 prospecteurs ont participé à cette ruée vers l’or à travers le territoire des Cheyennes.

Chefs Arapaho et Cheyenne rencontrant l’armée américaine le 28 septembre 1864 à camp Weld, Colorado

En 1864, Cheyennes et Arapahos se rendent à Fort Lyon pour négocier un traité de paix. Ils installent leur campement à Sand Creek. Rassuré par les promesses de paix du gouvernement des États-Unis, le chef Black Kettle envoie la plupart de ses guerriers à la chasse. Une soixantaine d'hommes restent au camp, la plupart trop jeunes ou trop vieux pour chasser.

On lui a promis qu'aussi longtemps qu'il ferait flotter la bannière étoilée au-dessus de son camp, lui et son peuple ne seraient pas inquiétés par les soldats. Mais voilà que le 29 novembre 1864, le colonel John Chivington et ses 675 cavaliers qui se sont enivrés pendant la nuit, déboulent à Sand Creek. Les Indiens, à moitié endormis, accueillent les Blancs avec des gestes de bienvenue quand Chivington ordonne à ses hommes d’ouvrir le feu. C’est un massacre. Environ 200 hommes, femmes et enfants sont tués, scalpés, mutilés.

Représentation du massacre de Sand Creek par un témoin oculaire cheyenne et artiste Howling olf, vers 1875.

.            La résistance ne faiblit pas, et pour la première (et unique) fois, les États-Unis (le général William Shermann) sont contraints de signer avec les Indiens Lakota (Sioux), un traité en leur défaveur à Fort Laramie (le second !) le 6 novembre 1868, garantissait la possession par les Indiens de la région des Black Hills à cheval sur le Dakota du Sud, le Wyoming et le Montana, au nord de la rivière North Platte et à l’est des montagnes de Big Horn. Les Etats-Unis renoncent formellement à toute nouvelle intrusion en pays sioux ; le territoire des Black Hills devra être évacué et sera considéré désormais comme territoire indien incessible. « Aucun homme blanc ne sera autorisé à s’installer dans cette région, ni même à la traverser sans le consentement des Indiens. »

Le traité prévoyait également la protection (dans la réserve) de la population amérindienne et de sa culture et aussi différentes formations permettant aux Amérindiens de développer leur agriculture. En réalité, les tribus perdent la quasi-totalité de leurs terrains de chasse saisis et vendus à des blancs, les Indiens étant de fait obligés de vivre dans des camps et des forts bâtis par l'administration américaine.

.            Pourtant, à la tête du 7ème régiment de cavalerie, le lieutenant-colonel Custer repère la piste de guerriers indiens. Le 27 novembre 1868, il ordonne de faire feu sur un village cheyenne près de la rivière Washita, dans l’actuel Oklahoma. Les Indiens sont vaincus et le chef cheyenne Black Kettle est tué. Cette bataille de la Washita est l’un des premiers succès significatifs contre les Indiens des Plaines.

.            À la suite du massacre de Sand Creek et de la bataille de la Washita, les Cheyennes rejoignent les autres tribus des plaines. Ils s'allient aux grands chefs Red Cloud et Crazy Horse. Les hostilités s’intensifient quand les Américains construisent des forts militaires le long de la piste Bozeman. Cette route qui relie les territoires gagnés dans le Montana avec la ruée vers l’or à la piste de l’Oregon, tracée en 1865, traverse les Black Hills, terres sacrées des Sioux Lakota. Ce tracé empiétant sur les terres des Indiens, le chef Red Cloud demande sa fermeture, bien que le traité de Fort Laramie de 1851 permette aux Américains de construire des routes sur ces terrains. Durant les négociations, les Américains construisent trois forts (Reno, Phil Kearny et C.F. Smith) pour protéger la route ; ces constructions déclenchent les représailles des Indiens, et déclenche la guerre de Red Cloud. 500 Lakotas, Cheyennes et Arapahos, conduits par Crazy Horse anéantissent un détachement américain de 80 hommes au Fort Phil Kearny, à la bataille de Fetterman le 21 décembre 1866.

La piste Bozeman

.            En novembre 1868, les Américains accepteront d’abandonner la piste et les forts construits (second traité de Fort Laramie de 1868). Mais en 1876, après la guerre des Black Hills, l’armée américaine rouvrira la piste.

Chefs Sioux et membres de la commission indienne de la paix à Fort Laramie en 1868 – Alexandre Gardner.

Coalition indienne à Little Bighorn (1876)

.            C’est alors que le major-général Philip Henry Sheridan (1831-1888), héros de la guerre de Sécession, se voit confier le Department of Missouri, un immense territoire où nomadisent les derniers Indiens libres. Il va engager contre eux une guerre impitoyable.

Il attaque les camps d'hivernage et ne ménage pas les femmes et les enfants, détruit systématiquement les abris, les réserves de nourritures et les troupeaux de chevaux. Il quadrille aussi le territoire avec des forts. C’est à lui qu’on attribuera la célèbre formule : « un bon indien est un indien mort », apocryphe mais cruellement conforme à l'esprit de l'époque.

Fait aggravant, les pionniers et cow-boys s'en prennent à la principale réserve de nourriture des Indiens, les troupeaux de bisons (buffalos) qui migrent de saison en saison à travers la Prairie. Ils les abattent sans retenue pour le plaisir et pour nourrir les équipes d'ouvriers qui posent les premières voies de chemin de fer (Le 10 mai 1869, les États-Unis sont enfin traversés d'est en ouest par une ligne de chemin de fer). C’est un carnage. Le plus célèbre de ces chasseurs, William Frederick Cody, surnommé Buffalo Bill, est employé par la compagnie Pony Express (le service de distribution rapide du courrier, entre le 3 avril 1860 et le 24 octobre 1861, reliant en une dizaine de jours Saint-Joseph dans le Missouri à Sacramento en Californie en passant par les Grandes Plaines, les montagnes Rocheuses et la Sierra Nevada). Il se flatte d'avoir tué 69 bisons en une journée. En un siècle, la population de bisons va passer de centaines de millions à moins de mille individus.

La grande chasse au bison royal – 1895, Louis Maurer

.           Le second traité de Fort Laramie est sans surprise une nouvelle trahison. Le gouvernement, sous prétexte d’études d’installation d’un nouveau fort, envoie le 7e régiment de cavalerie dans la région concédée aux Sioux. Quand le général Custer revient, c’est avec une sinistre nouvelle pour les Indiens : les Black Hills, terres sacrées des Sioux, regorgent d’or. Une seconde expédition confirme la découverte. Dès lors, des milliers de prospecteurs envahissent les Black Hills.

De son côté, le chef sioux Red Cloud a compris qu’il est inutile de s’opposer à la civilisation des Blancs. Mais ce n’est pas le cas de Sitting Bull, chef des Lakotas, l'un des seuls chefs Sioux à avoir refusé de signer le second traité de Fort Laramie, ni de Crazy Horse, chef des Cheyennes, qui créent une grande coalition indienne comprenant presque la totalité des Sioux et des Cheyennes.

Crazy Horse affronte le général américain George Crook à la bataille de Rosebud Creek le 17 juin 1876. À la tête d’une coalition de 750 guerriers sioux et cheyennes, il se défend vaillamment face aux 1.300 soldats de l’armée américaine. Si la victoire n’est pas décisive, Crazy Horse empêche toutefois Crook de rejoindre le général Custer avant la bataille de Little Bighorn.

Le dimanche 25 juin 1876, les éclaireurs du 7ème régiment de Custer repèrent Sitting Bull (45 ans) dans la gorge de la rivière Little Bighorn (Montana). Les Crows qui combattent aux côtés des Américains préviennent le général américain George Armstrong Custer (36 ans). Les 2.500 guerriers Sioux, sont bien trop nombreux, mais désireux de redorer son prestige militaire déclinant, le général y va quand même. Le carnage démarre. Si les Sioux, pris par surprise, essuient une défaite lors du premier assaut, malgré leurs armes à feu, les 285 soldats de Custer sont chassés comme des bisons par les guerriers sioux, à coup de massues, de couteaux et de flèches. Leurs cadavres sont ensuite mutilés, décapités, castrés et bien sûr scalpés. Parmi eux, le corps de Custer. Les Sioux ne le savent pas mais ils viennent de tuer leur plus célèbre ennemi, et de remporter une victoire, indéniablement la plus grande des forces amérindiennes face à l'armée américaine,

Dernier combat de Custer – 1899, Edgar Samuel Paxson, Buffalo Bill Historical Center, Wyoming.

.            Cet épisode cruel des guerres indiennes va profondément bouleverser l'opinion américaine en raison de la mort, non des Indiens mais de ceux qui avaient mission de les tuer. Il demeure comme l'une des batailles mythiques de l'Histoire américaine. L’année même de Little Bighorn, la veuve de Custer écrit une première biographie qui le fait entrer dans la légende. Quelques semaines après, Buffalo Bill se produit à New York et mythifie la bataille. Il fait de Custer un martyr de la cause du progrès américain. Chaque année, plus de mille livres sont consacrés à la bataille de Little Bighorn. Custer est encore aujourd'hui l’Américain le plus sujet à des biographies, en deuxième position derrière Lincoln.

Sitting Bull, victorieux bien qu’il n’ait pas pris part à la bataille de Little Bighorn, craint les représailles. Non seulement il n’y aura pas de traité de paix, mais l'administration américaine persiste dans ses exigences. Le général Miles se lance à ses trousses. La grande victoire indienne de Little Big Horn a semé l’allégresse parmi les tribus des Plaines. Toutes veulent maintenant se joindre aux guerriers de Sitting Bull pour bouter les Blancs en dehors de leurs territoires. Mais rien ne se passe comme prévu. Les guerriers sont fatigués et affamés, le bison est devenu une denrée rare.

Crazy Horse est assassiné en 1877. La même année, les Cheyennes contraints à la reddition rendent les armes et rejoignent leur réserve. Sitting Bull prend alors la décision de partir pour le Canada avant de revenir dans le Dakota du Nord en 1881, après que le gouvernement canadien ait refusé de créer une réserve pour son peuple. Le chef Sioux est fait prisonnier de guerre jusqu’à ce que les autorités américaines lui ordonnent de retourner dans sa réserve de Standing Rock, dans l’actuel Dakota du Nord.

 

La reddition de Crazy horse et des siens – 1877, Washington Library of Congress.

La Ghost Dance et le massacre de Wounded Knee (1890)

.            Les guerres indiennes sont réputées terminées, les tribus indiennes soumises, la « paix » semble malgré tout définitivement installée chez les derniers Sioux, 20 000 tout au plus. Et pourtant leur sort empire, en particulier pour les peuples lakotas établis dans le Dakota du Nord et du Sud. En l'espace de quelques décennies, avec l’Allotment Act de 1877, le territoire de ces peuples a été divisé par 10 et a perdu plus de 24 millions d'hectares. En 1889, les Lakotas étaient relégués sur cinq réserves distinctes dans le Dakota du Nord et le Dakota du Sud ; ils étaient désormais contraints de partager ce qu’il en restait avec de nombreuses autres tribus. La même année 1877, le sénateur Dawes avait défendu une loi visant à les mettre sous tutelle économique, sans droit civique.

.            Un mouvement de la Ghost dance (Danse des esprits) s'etait propagé à travers les tribus amérindiennes à partir des années 1870. Il s'appuyait sur une série d'enseignements de guérisseurs païutes, dont les prophéties annonçaient un soulèvement à venir qui entraînerait l'éradication de l'Homme blanc et la résurgence des peuples natifs de l'Amérique. Un jour, parmi les tribus de la prairie naît la rumeur de la venue d’un Messie indien. Nommé Wovoka, cet Indien paiute aurait été influencé par les presbytériens et les mormons. En 1889, il prétend avoir une vision divine et répand une prophétie : les Indiens retourneront sur les terres de leurs ancêtres, avec leurs territoires de chasse et les bisons décimés par le chemin de fer et les massacres de l’armée fédérale. Il s’est chargé d’enseigner à ses frères la Ghost Dance que le Grand Esprit lui a appris.

Les adhérents au mouvement pensaient que les chants et les cérémonies pouvaient précipiter le soulèvement annoncé, ramener les morts à la vie et garantir la récupération de leurs terres. Chez les Lakotas, les adeptes portaient des chemises spéciales censées repousser les balles et certains atteignaient un état de transe suscité par les chants répétitifs et les longues danses circulaires auxquelles participaient les fidèles.

.            À l'espoir porté par ces danseurs des esprits, les colons répliquèrent par la peur, craignant que ces rituels n'incitent à la violence contre l'Homme blanc. À l'époque, un agent fédéral était affecté par le gouvernement des États-Unis à la surveillance des peuples natifs. Pour les Lakotas, cet agent était Daniel F. Royer. En stationnement dans la réserve de Pine Ridge au cœur des Badlands dans le Dakota du Sud, Royer, en décembre 1890, envoya un télégramme à ses supérieurs du Bureau des affaires indiennes à Washington : « Les Indiens dansent dans la neige, ils sont sauvages et agités, » écrivait-il. « Envoyez protection le plus vite possible. »

Les autorités fédérales des autres réserves lakotas étaient également préoccupées par l'identité du plus éminent adhérent à la Danse des Esprits : le chef Sitting Bull. Bien que techniquement retenu prisonnier à la Standing Rock Agency dans le Dakota du Sud, Sitting Bull avait reçu l'autorisation de voyager à travers le pays en tant que membre du Wild West Show de Buffalo Bill Cody en 1885. Cependant, lorsque Royer envoya le télégramme à ses supérieurs en 1890, Sitting Bull était retourné à Standing Rock et avait annoncé son intention d'autoriser les Danses des Esprits sur son campement (bien qu’en réalité, il ne s’était pas converti à cette mouvance mais y voyait un espoir).

Danse des esprits Arapaho et Cheyenne vers 1893 – Mary I. Wright.

.            Convaincue de la menace que représentait le mouvement pour les colons, l'armée des États-Unis ordonna l'interdiction de la Danse des Esprits dans toutes les réserves à compter de décembre 1890 et commença à déployer des troupes à travers la région. Le gouvernement fédéral avait initialement prévu de solliciter Buffalo Bill Cody pour convaincre Sitting Bull d'apaiser les danseurs, mais il fut intercepté par des soldats qui lui ordonnèrent de rebrousser chemin. L'armée envisageait désormais d'arrêter Sitting Bull.

.            Le 15 décembre 1890, une quarantaine de policiers natifs employés par l'Indian Agency se rendent auprès de Sitting Bull pour tenter de le placer en détention. Lorsqu'il résiste, une escarmouche éclate et Sitting Bull est abattu par Bull Head, le lieutenant de la police. Une partie du groupe conduite par Big Foot, le chef charismatique qui a succédé à Sitting Bull, persuadé que les troupes fédérales vont s'en prendre à d'autres chefs, prend la fuite pendant la nuit, pour rejoindre Pine Ridge en quête de protection et où doit se tenir la « Ghost Dance ».

Sitting Biull © David F. Barry, Photographer, Bismarck, Dakota Territory

Après avoir été ralentis par les conditions hivernales et la maladie, ils vont pour installer leur campement au bord de la rivière Wounded Knee, en Dakota du Sud, à la frontière du Nebraska, non loin des Blacks Hills, les terres sacrées des Sioux. Mais la rumeur s’amplifie et alentour la population blanche prend peur : les Indiens vont faire irruption hors de leurs réserves et les massacrer !

.            Le 28 décembre, leur chemin croise celui des troupes militaires qui leur demandent de se diriger vers Wounded Knee Creek. Cette nuit-là, alors que les Lakotas y ont installé leur camp, près de 500 soldats encerclent les 300 hommes, femmes et enfants. Le 7ème régiment se mobilise. La cavalerie installe 4 canons (Hotchkiss Rapid Fire Mountain Gun) à feu roulant avec des obus explosifs, l’arme la plus récente de l’arsenal américain.

.            Le lendemain matin, le colonel James W. Forsyth ordonne aux Lakotas de déposer leurs armes et leur annonce qu'ils vont être emmenés vers un nouveau camp. Les Lakotas supposent qu'ils vont devoir quitter leur territoire et certains se mettent alors à fredonner les chants de la Danse des Esprits.

Aux yeux des troupes qui entourent les Lakotas, la Danse des Esprits et ses rites sont un préambule à la guerre. Lorsque l'un des danseurs ramasse de la poussière pour la jeter au vent, les soldats interprètent ses mouvements comme une sorte de signal et ouvrent le feu. Ils se lancent à l’assaut en hurlant : « Souvenez-vous de Custer ! ».

L’affrontement qui dure plusieurs heures est totalement inégal entre des guerriers armés de quelques winchesters, de couteaux et de tomahawks et des soldats équipés de canons. Si l’enfer existe, il doit ressembler au champ de bataille de Wounded Knee. Les Indiens et leur chef Big Foot, bien qu'ils se soient défendus et en infériorité numérique et militaire, sont massacrés. Le résultat fut un véritable carnage. Quelques heures plus tard, lorsque les coups de feu cessent, le sol est recouvert de cadavres. La plupart ont été abattus à bout portant, y compris des femmes et des enfants. Certains corps sont retrouvés à plus de cinq kilomètres du camp, ceux de Lakotas pourchassés par des soldats hors de contrôle.

L'armée des États-Unis a récupéré ses propres victimes et abandonné les cadavres des Lakotas à la tempête de neige qui allait balayer la région pendant trois jours. Avant de jeter les corps gelés dans une fosse commune, de nombreux soldats ont dépouillé les Lakotas afin de garder en souvenir leurs chemises des esprits.

Pendant le massacre, 25 soldats ont trouvé la mort, la plupart sous le feu ami. Malgré l'absence de données fiables sur les victimes lakotas, les historiens modernes estiment que plus de 300 d'entre eux ont perdu la vie ce jour-là.

Bif Foot, chef des Sioux, capturé lors de la bataille de Wounded Knee, pétrifié par le froid -1890, National Archives at College Park, Maryland.

.            Le lendemain, le New York Herald commente : « 75 cavaliers américains ont été tués et blessés, alors que 110 guerriers indiens et 200 femmes et enfants ont été massacrés. ». Le premier jour de l’an 1891, les soldats se font photographier pour la postérité devant le mausolée, où 144 hommes, 44 femmes et 16 enfants, parmi plus de 300 exterminés, sont enterrés dans une fosse commune.

.            Aussitôt la nouvelle de l'incident arrivée aux oreilles de la population, les débats ont éclaté à travers le pays pour savoir comment qualifier ce qui était survenu à Wounded Knee. Forsyth a été démis de son commandement après le massacre. Sa conduite a fait l'objet d'une enquête, mais après s'être défendu il a promptement été réintégré. Les journaux américains qui avaient suivi sans relâche le déploiement des troupes à travers les Dakotas ont qualifié l'épisode de bataille nécessaire ; les colons blancs l'ont célébré telle une victoire sur un peuple guerrier.

La mort de Custer, le martyr de Little Bighorn, est vengée. Wounded Knee est érigée en gloire de l’armée. Les récompenses pleuvent : en 1891, 20 soldats reçoivent une médaille d’honneur ; un prestige exceptionnel, jamais autant de médailles d’honneur n’avaient été attribuées pour un seul combat.

.            Les derniers espoirs des Sioux de se réapproprier leurs territoires de chasse dans les Blacks Hills sont morts. Wounded Knee sonne le glas des guerres indiennes dans les Grandes plaines américaines.

.            Jusqu'au début du XX siècle, l’idée que les Indiens sont responsables de leur massacre prédomine. Puis peu à peu l’opinion se partage entre le soutien massif à l’armée qui a réduit les « sauvages » et l’horreur du massacre. À partir des années 1960, à la faveur d’une volonté de reconnaissance des Amérindiens, le gouvernement américain temporise et parlera plutôt "d’incident regrettable".

Au fil du temps et des études menées par les historiens sur les événements gravitant autour de l'incident, l'opinion publique a évolué. En 1970, Dee Brown publie Enterre mon cœur à Wounded Knee dans lequel il décrit les exactions commises par les Américains blancs à la Frontière et leurs terribles conséquences pour les peuples autochtones. L'ouvrage se vend à plusieurs millions d'exemplaires et fait entrer le douloureux souvenir de Wounded Knee dans les foyers américains. Dans le cadre de la lutte pour la souveraineté des peuples natifs aux États-Unis, les membres de l'American Indian Movement attirent également l'attention sur le massacre, notamment lors de l'occupation de Wounded Knee en 1973 où deux activistes sont abattus.

.            En 1990, le Congrès des États-Unis présente officiellement ses excuses pour le massacre. Les appels à révoquer les médailles se font de plus en plus pressants. En janvier 2021, le Sénat de l'État du Dakota du Sud a adopté un projet de loi appelant le Congrès des États-Unis à ouvrir une enquête officielle sur les médailles. Dans le même temps, un groupe d'avocats américains tente de relancer une précédente proposition visant à révoquer les médailles.

.            Le génocide amérindien vu par un journaliste américain

« Peut-être la cruauté́ de nos tueurs d’Indiens n’était-elle pas aussi froide que celle des nazis, ni aussi scientifiquement concertée. Elle fut brutalement effective malgré́ tout. Nous ne mîmes pas les Indiens dans des chambres à gaz ni dans des fours crématoires. Nous abattîmes des hommes, des femmes et des enfants sans défense en des endroits comme Sand Creek et Wounded Knee. Nous fîmes manger de la strychnine aux guerriers rouges. Nous obligeâmes le peuple de villages entiers à périr gelé́ dans les hauteurs glacées du Montana. Nous reléguâmes des centaines d’individus dans des camps de concentration. » (Paul I. Wellman).

Et les Amérindiens devinrent Américains…

.            Cinq ans après le massacre de Wounded Knee, en 1896, un recensement dénombre environ 250.000 Indiens sur tout le territoire américain. L’estimation haute portait leur nombre à 12 millions avant l’arrivée des colons. Et pour réduire encore les effectifs, les Indiens sont victimes des stérilisations contraintes mises en place aux États-Unis dans le cadre des politiques eugénistes.

Bien que premiers habitants de l’Amérique, les Amérindiens nés aux États-Unis n’obtiendront la citoyenneté américaine qu’en 1924, soixante ans après les esclaves noirs. Il leur faudra attendre encore près de vingt-cinq ans pour bénéficier du droit de vote dans des États comme l’Arizona, en 1948.

En 1934, l’Indian Reorganization Act met fin au processus de parcellisation des terres indiennes et reconnaît leur droit à l’autonomie. Du milieu des années 1940 au milieu des années 1960, une série de lois intègrent la politique indienne d’assimilation. Le Termination Act de 1954 par exemple libère les Indiens de la tutelle fédérale américaine et supprime les réserves pour fondre les tribus dans la société américaine. Incapables de s’adapter à la vie urbaine, les Indiens se retrouvent à vivre dans des taudis, des ghettos, et sont touchés de plein fouet par le chômage et l’alcoolisme.

Navajos dans le canyon de Chelly – 1904, E.S. Curtis

Cérémonie du Lever du Soleil à Alcatraz en 2011

Seul point positif : cette politique d’assimilation engendre la rencontre de différentes tribus, qui s'unissent et donnent naissance à des associations panindiennes. Aujourd’hui, des ONG se battent pour que soit qualifié de génocide le sort infligé aux Amérindiens. Une idée que rejette le gouvernement américain.

Pour l’historien Jean-Jacques Tur, spécialiste de l’histoire américaine, il faut parler de « démocide » ou « ethnocide » car les Indiens sont principalement morts des famines et épidémies. Ils n'ont pas pour autant disparu. Au recensement de 2013, les autochtones étaient plus de 2,8 millions, soit quatre fois plus qu’en 1960. Les projections pour 2050 sont de 8,6 millions, soit 2% de la projection pour l’ensemble de la population à cette date. Une croissance démographique qui correspond à l’éveil des nations amérindiennes.

Wounded Knee : 130 ans après, la vérité sur le massacre des Amérindiens ?

France Culture – Elsa Mourgues – 18 mai 2021

.            Depuis 130 ans, deux versions de l’histoire s’affrontent : l'officielle, celle des soldats américains et celle des Sioux. De récentes découvertes remettent en cause la version officielle et placent ce massacre au cœur du combat des Amérindiens. L’archéologue et historien Laurent Olivier a enquêté sur les archives de ce drame et en a fait un livre Ce qui est arrivé à Wounded Knee. L'enquête inédite sur le dernier massacre des Indiens (Flammarion, mai 2021).

Deux versions qui s'opposent

.            En 1890, alors que les guerres indiennes sont terminées depuis 15 ans, les Indiens sont parqués dans des réserves. L’armée américaine cherche à affaiblir "la danse des esprits", un mouvement messianique qui pourrait fédérer les tribus indiennes. À Wounded Knee, dans le Dakota du Sud, la septième cavalerie procède au désarmement des Sioux Lakotas. Officiellement, les Lakotas attaquent les soldats. 300 Indiens dont la moitié de femmes, d’enfants et de vieillards sont tués à coups de fusils et de canons, et 26 soldats sont morts.  

« Il y a deux versions qui s’opposent. L’armée américaine pour expliquer pourquoi il y avait eu tant de morts a dit : "Nous on a été surpris, les Indiens cachaient des armes sous leurs couvertures et au moment où on les a désarmés, visiblement, ils s’étaient donné le mot, ils ont sorti leurs armes de sous les couvertures, ils nous ont tiré dessus et on a bien été obligés de répliquer." Et la version des survivants Lakotas, complètement différente, est de dire : "On était assis en cercle en leur tournant le dos, on avait leurs fusils dans le dos à quelques centimètres, un coup de feu est parti accidentellement et il y a eu une fusillade massive des Américains, ils ont tiré les uns sur les autres et ensuite, il y a eu un mouvement de panique dans le campement, les femmes et les enfants ont essayé de s’enfuir et l’armée a tiré au canon sur eux." »  Laurent Olivier, archéologue et historien

.            De par la profusion de témoins, nombre de photos, récits, témoignages et articles documentent ce massacre. Fait d’exception, l’armée avait mené une enquête interne pour établir les circonstances de la mort de 26 de ses hommes. 

En comparant les archives et les témoignages, Laurent Olivier remet en question la version officielle : « Il y a beaucoup d’anomalies dans la version de l’armée qui n’ont pas été relevées par les enquêteurs eux-mêmes. La première anomalie c’est qu’on n’a interrogé que les officiers supérieurs, on n’a pas interrogé les hommes du rang, c’est-à-dire ceux qui ont tiré sur les Indiens. (...) Et puis il y a aussi des incohérences, quelques officiers supérieurs ont avoué que des Indiens avaient été tués hors du "champ de bataille". Ce qui montre que les femmes et les enfants ont été pourchassés alors qu’ils essayaient de s’enfuir. Ce n’est pas une opération militaire, on ne réduit pas à néant des ennemis qui vous tirent dessus, on pourchasse et on extermine une population civile qui tente de s’enfuir. »

Des soldats érigés en héros

.            Jusqu'au début du XX siècle, l’idée que les Indiens sont responsables prédomine. Wounded Knee est érigée en gloire de l’armée, 20 soldats reçoivent une médaille d’honneur, un prestige exceptionnel. 

À partir des années 1960, à la faveur d’une volonté de reconnaissance des Amérindiens, le gouvernement américain temporise et parle plutôt "d’incident regrettable".  

« En réalité, on voit que ce n’est pas du tout ça qui s’est passé, ça prend place dans un contexte beaucoup plus large dans lequel on prépare depuis l’arrivée des Américains sur le sol américain, l’exclusion et la ségrégation des populations autochtones pour s’emparer de leurs territoires. » Laurent Olivier, archéologue et historien

Une lutte toujours d'actualité

           Le 27 février 1973, Wounded Knee, au cœur de la réserve indienne de Pine Ridge, est occupé par 200 Sioux oglalas et des militants de l’AIM (American Indian Movement) afin de protester contre la corruption du président du conseil tribal Dicky Wilson et la brutalité de sa milice paramilitaire privée à l'encontre de la population. Ils réclament également une enquête sur la violation des traités signés avec le gouvernement fédéral.et la réouverture des négociations sur leur statut.

.            En quelques heures, plus de 2.000 agents du FBI, des policiers fédéraux et des représentants du Bureau des affaires indiennes cernent la localité et organisent un blocus avec des véhicules blindés, des mitrailleuses, etc. La présence massive de médias internationaux et le caractère symbolique dans l’imaginaire américain de Wounded Knee rendent l’assaut impossible pour l’administration américaine. Le siège dure 71 jours et fait deux morts dont Franck Clearwater, un Amérindien qui se reposait dans une église. Les Amérindiens finissent par se rendre et parviennent à échapper à la police (en réalité, filent à la barbe des autorités pendant la nuit).

.            Wounded Knee devient une place forte de la lutte pour la reconnaissance des droits des Amérindiens. Leurs survivants et leurs descendants ne cesseront de tenter d’obtenir des réparations matérielles et symboliques. Aujourd’hui encore, les Amérindiens réclament que les médailles soient retirées et que la lumière soit faite sur ce qui s’est réellement passé.